Le metteur en scène joue avec les genres en mélangeant les éléments du thriller et de la comédie pour dérouter le public avec cette intrigue de vengeance, révélant en toile de fond des envies inavouées.
Présenté en avant-première durant le Festival de Cannes 2024, le film le plus récent d’Alain Guiraudie se déroule dans un village montagnard où se noue un drame fait de désirs anciens, ranimés par le retour de Jérémie venu pour l’inhumation de son ancien employeur boulanger. Miséricorde sera visible dans les salles à partir du 16 octobre 2024.
Jérémie, joué par Félix Kysyl, revient dans son village natal pour participer aux obsèques du boulanger local, qui avait été son employeur dans le passé et qui est également le père de Vincent, incarné par Jean-Baptiste Durand, son ami de jeunesse. Après les funérailles, Martine, jouée par Catherine Frot, la veuve de Jean-Pierre, propose à Jérémie de rester dormir à Saint-Martial. Ce dernier accepte et décide même de prolonger son passage au village.
Cet allongement de séjour commence à perturber Vincent, qui ne saisit pas bien les motivations de ces prolongations impromptues, ni les fréquentes visites de Jérémie chez Walter, un jeune paysan solitaire. La tension monte entre les deux anciens amis, jusqu’au jour où Vincent disparaît mystérieusement… Jérémie se retrouve alors pris au piège d’un réseau de désirs qu’il ne contrôle plus.
Enigmes et rebondissements
Alain Guiraudie, avec ce film, cultive avec subtilité l’ambiguïté, aussi bien au niveau de l’intrigue que de la réalisation. Que cherche exactement Jérémie en revenant à Saint-Martial? Quels liens avait-il autrefois avec les protagonistes de cette histoire, tels que Jean-Pierre, son ancien employeur à qui il confie à Martine qu’il « avait toujours de l’affection », ou encore Martine elle-même, avec qui il voudrait, selon Vincent, « être plus intime » ? Pourquoi Vincent éprouve-t-il de la rancœur envers Jérémie, et inversement ? Quels sont les véritables souhaits de Martine ?
Les mystères abondent sans jamais offrir de réponses claires. Le récit ouvre des avenues qui se referment aussitôt, ou restent partiellement ouvertes sans livrer leurs secrets.
Seul le personnage du curé se montre franc dans ses actions, révélant clairement ses intentions. Ce personnage excentrique, après avoir fait de discrètes apparitions au cours de l’histoire, finit par jouer un rôle central, autour duquel s’articule la trame narrative.
« J’ai tenu à entretenir un climat de mystère (…) C’est une façon efficace de ne pas s’ennuyer et c’est également une excellente représentation du désir. Ce dernier demeure, pour moi, l’un des grands mystères de la vie. »
Alain Guiraudieréalisateur
Bien que le film n’offre pas de certitudes, il est traversé de part en part par le thème du désir, lequel nourrit chaque scène et agit comme fil conducteur de l’évolution dramatique. Alain Guiraudie poursuit ainsi son exploration de ce sujet, qu’il analyse depuis ses débuts.
Un autre aspect récurrent : l’action se situe encore dans un village du sud-ouest de la France, une région qui lui est chère, et où il continue de scruter les réalités rurales et la pauvreté.
Une enquête dramatique empreinte d’humour
Quant au style du film, Guiraudie ne se contente pas d’un seul genre, évoluant avec aisance entre le polar et le film social, le drame psychologique et la comédie, laquelle frôle presque la farce vers la conclusion du film.
La mise en scène, rappelle les techniques théâtrales, avec ses entrées et sorties de scène, et les quelques lieux constamment revisités tout au long du film. La forêt joue le rôle principal, filmée avec majesté et tranquillité, créant un contraste avec la noirceur et la constance des comportements humains. S’ajoutent la cuisine de Martine, la chambre d’enfance de Vincent, la maison de Walter, et l’église, chaque lieu apportant sa propre charge émotionnelle.
Que représente la miséricorde ? Un geste de pardon, une aide désintéressée, qui, en principe, n’attend rien en retour. On constate cependant que cette notion s’accompagne souvent d’autres intentions, gouvernées par des sentiments tels que l’envie, la jalousie, et le désir, des émotions humaines incontrôlables.
Le film baigne dans une atmosphère nostalgique, un retour aux souvenirs et au passé des personnages qu’ils évoquent ou dissimulent à travers quelques clichés anciens. Guiraudie orchestre ce mélange de sérieux et de dérision avec une finesse impressionniste, utilisant les teintes de l’automne pour souligner la mélancolie de l’histoire. Il aborde ses thématiques avec une perspective quelque peu décalée et plaisante, rappelant que certains aspects de l’esprit humain sont faits pour rester mystérieux.

Fiche technique
Genre : Comédie, Drame Policière
Réalisateur : Alain Guiraudie
Acteurs principaux : Félix Kysyl, Catherine Frot, Jean-Baptiste Durand
Pays : France
Durée : 1h57
Date de sortie : 16 octobre 2024
Distributeur : Les Films du Losange
Synopsis : Jérémie revient dans son village pour assister aux funérailles de l’ancien boulanger, son précédent employeur. Invitant la mélancolie, son court séjour chez Martine évolue vers une série d’événements inattendus, marqués par la disparition de Vincent, un voisin énigmatique, et les motivations obscures d’un curé.