Dans son documentaire primé Dahomeyle réalisateur Mati Diop imagine la voix des trésors royaux pillés en Afrique de l’Ouest par les colonisateurs européens et récemment renvoyés dans leur patrie, l’actuel Bénin. Elle confie à 42mag.fr qu’elle espère que cela suscitera une réflexion sur le déplacement, l’exil et le retour – non seulement des objets, mais des personnes.
Dahomeysorti en France cette semaine, raconte l’histoire de 26 objets volés par les troupes françaises du XIXe siècle dans l’ancien royaume africain du même nom, dont un trône et des sculptures représentant les rois guerriers de la dynastie.
En 2021, la collection a été rapatriée du musée du Quai Branly à Paris à Cotonou au Bénin.
Diop suit les objets tout au long de ce voyage, voyageant avec eux alors qu’ils sont emballés et transportés par avion jusqu’au palais présidentiel du Bénin, où ils sont accueillis par des visiteurs désireux de voir enfin leur patrimoine exposé.
« Depuis leur retrait des vitrines à Paris jusqu’à leur conditionnement en caisses, jusqu’à leur arrivée à Cotonou, j’avais absolument envie de tout suivre », a-t-elle déclaré à 42mag.fr. « Je ne voulais rien manquer du voyage de retour. »

Elle décrit le voyage comme une expérience partagée et « une odyssée ».
En le documentant, Diop espérait représenter une « communauté d’âmes bien plus grande que celle des œuvres » – comprenant « des hommes et des femmes déportés lors de la traite négrière, dépossédés, colonisés », la diaspora contemporaine et les Béninois d’aujourd’hui.
« Je trouvais impensable de ne pas marquer ce moment, de l’immortaliser à travers un film », a-t-elle déclaré. « Et puis j’ai voulu interviewer des jeunes Béninois sur la question, une idée qui m’est venue très vite. »
Donner la parole à l’histoire
Diop, qui est franco-sénégalaise, dit qu’elle et d’autres personnes d’ascendance africaine luttent contre l’amnésie collective qui entoure depuis longtemps les réalités du colonialisme européen et contre le « refus d’assumer la responsabilité historique et politique d’une histoire ».
Elle a confié à 42mag.fr s’être inspirée du film d’Aimé Césaire Discours sur le colonialismepublié en français en 1955, une critique de la brutalité de la colonisation et de son impact dévastateur.
La façon dont elle a trouvé pour affronter la souffrance historique dans Dahomey était de donner une voix aux objets pillés.
Diop a demandé à l’auteur haïtien Makenzy Orcel d’écrire un texte poétique dans lequel les trésors reflètent leur long exil, et que l’une des statues récite dans une voix off envoûtante en langue fon.
« C’est un texte qui m’a vraiment donné beaucoup de force », a-t-elle déclaré à l’émission cinéma de 42mag.fr. « J’ai senti que j’avais besoin de parler à travers la puissance de ces mots, et c’est exactement le point de départ du film. »
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La restitution comme justice
Le projet est né en 2017, dit Diop, lorsque « tout d’un coup » le président français Emmanuel Macron a prononcé un discours au Burkina Faso appelant les institutions européennes à procéder à des retours significatifs du patrimoine culturel sur le continent africain d’ici cinq ans.
Alors que les hommes politiques français ont tardé à parler de restitution, Diop souligne que des militants, des universitaires et des personnalités politiques des pays africains soulèvent la question depuis des décennies.
« Le sujet de la restitution est un mouvement, un geste, et il est symboliquement très chargé », dit-elle.
Bien que les 26 objets suivis par Diop aient été restitués au Bénin, plus de 7 000 œuvres restent toujours à Paris, et d’autres pays africains colonisés par la France et d’autres anciens empires attendent toujours.
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Diop espère que l’exemple des trésors du Dahomey relancera la conversation.
Son documentaire a remporté le prestigieux prix Ours d’Or au 74e Festival international du film de Berlin en février.
Diop a alors déclaré que le prix honorait non seulement elle, mais « l’ensemble de la communauté visible et invisible que représente le film ».
Elle a ajouté : « Pour reconstruire, nous devons d’abord restituer, et que signifie la restitution ? Restituer, c’est rendre justice. »