« En tant que cinémathèque, notre rôle n’est pas de nous isoler comme dans une forteresse. La sécurité de nos employés et de notre public est une priorité absolue, et nous ne sommes pas en position de prendre des risques », a déclaré Frédéric Bonnaud, qui dirige la Cinémathèque.
Une séance prévue du film Le Dernier Tango à Paris (1972), largement controversé pour une scène de viol filmée sans le consentement de Maria Schneider, a été interrompue par la Cinémathèque française en raison de vives protestations provenant de groupes féministes.
L’organisme a expliqué sa décision par la nécessité de « calmer les tensions et d’éviter des menaces potentielles à la sécurité« , suite au récent procès du réalisateur Christophe Ruggia, accusé d’agressions sexuelles sur l’actrice Adèle Haenel lorsqu’elle était adolescente.
Honorer la mémoire de Maria Schneider
« Des protestataires hostiles manifestaient leur intention d’assister à l’événement et maintenir la projection, suivie d’un débat, représentait donc un danger disproportionné. Il a fallu renoncer« , a-t-il ajouté. En 2017, la Cinémathèque avait déjà retiré une rétrospective sur le réalisateur Jean-Claude Brisseau, précédemment condamné pour harcèlement sexuel.
La diffusion de Le Dernier Tango à Paris avait été programmée pour dimanche à 20 heures dans le cadre d’un hommage à Marlon Brando. Cela a soulevé de nombreuses critiques, notamment de l’actrice Judith Godrèche, figure engagée du mouvement #MeToo en France, qui a reproché le manque de mise en contexte de l’œuvre et le non-respect envers Maria Schneider, décédée en 2011.
« Il est crucial que la Cinémathèque fasse preuve d’humanité envers les actrices de 19 ans (l’âge de Maria Schneider lors du tournage) et les respecte« , a-t-elle déclaré sur Instagram. Le film de Bernardo Bertolucci explore la dynamique entre un Américain veuf en visite à Paris et une jeune femme, et inclut une scène controversée de sodomie non consentie.
Jessica Chastain « bouleversée »
Cette scène, bien que jouée, est devenue le sujet de nombreuses critiques pour son impact symbolique sur les violences sexuelles dans le cinéma, ayant même outré le Vatican à sa sortie. Elle a été imposée à l’actrice à son insu.
Lors de la montée du mouvement #MeToo en 2017, des voix comme celle de Jessica Chastain ont révélé ce scandale. « Pour ceux qui apprécient ce film, vous regardez en réalité une jeune femme de 19 ans subir une agression par un homme de 48 ans. C’est une mise en scène délibérée du réalisateur. Cela me révolte« , a-t-elle exprimé.
Dès les années 1970, Maria Schneider n’a pas gardé le silence sur cet épisode traumatique, évoquant une agression de la part de l’acteur et du réalisateur, qui avait orchestré la scène sans l’en informer. Ses témoignages sont restés peu entendus, comme le démontre le film Maria, sorti en juin dernier.
Le collectif 50/50, défendant l’égalité des sexes dans le cinéma, a aussi incité la Cinémathèque sur X à adopter une approche « réfléchie et respectueuse des paroles de la comédienne Maria Schneider » pour les projections envisagées.
Parallèlement, le syndicat SFA-CGT a souligné que « filmer et montrer un viol demeure inacceptable« . « Aujourd’hui, nous avons conscience de l’impact de cette scène de viol« , a-t-il commenté, tout en affirmant soutenir la « liberté d’expression« . La Cinémathèque avait envisagé un « échange » avec l’audience avant la projection pour aborder les « questions soulevées« .
« Ce film a réussi à susciter des controverses à deux reprises, à plus de cinq décennies d’intervalle« , conclut Frédéric Bonnaud, en mentionnant qu’il avait été projeté « sans incident » en 2017 « en hommage à son directeur de la photographie ».