« Depuis toujours, on m’a décrit comme une grande personne emprisonnée dans un corps d’enfant. Ce n’est que bien plus tard que j’ai réalisé ce que signifie réellement être un enfant de 12 ans », confie l’actrice. Elle ne se contente pas d’accuser le réalisateur d’abus, mais elle critique également l’ensemble des adultes présents à l’époque pour leur manque de responsabilité.
« Il est terrible de supporter la violence que représente le fait d’entendre un flot continu de mensonges, tout en essayant de maintenir son calme dans de telles circonstances. C’est vraiment éprouvant », a déclaré lundi 16 décembre lors de son entretien sur France Inter, l’actrice Adèle Haenel, suite au procès du cinéaste Christophe Ruggia, accusé d’agressions sexuelles à son encontre, alors qu’elle était âgée de 12 à 14 ans. Une peine de cinq ans de prison, dont deux ans ferme, a été proposée à l’encontre du réalisateur, et le jugement sera rendu par le tribunal correctionnel de Paris le 3 février.
L’actrice est revenue sur la colère qu’elle a dû contenir difficilement pendant le procès. À la fin de l’audience du mardi, Adèle Haenel a laissé éclater sa frustration en lançant « ferme ta gueule » à Christophe Ruggia alors qu’il prenait la parole, avant de quitter précipitamment la salle d’audience. « Sincèrement, c’est extrêmement violent d’écouter ce déferlement de mensonges, un amas consolidé de fausses déclarations par un homme qui a abusé sexuellement de la jeune fille que j’étais, celle qu’il a effacée, qu’il a brisée », a-t-elle expliqué. « J’essaye de garder mon sang-froid devant la cour, d’apporter autant que possible des preuves tangibles, alors qu’il débite des absurdités », a-t-elle décrit. « J’ai tenté de rester dans les règles », mais « c’est trop de violence », a-t-elle ajouté. « Quand il affirme : ‘C’est moi qui lui ai offert son identité’, c’était la provocation de trop, ce n’est pas vrai, c’est une contre-vérité flagrante, une violence de plus. Cela me ramène à l’époque où j’étais sur son canapé et où il affirmait ‘sans moi, tu n’es rien’ », a-t-elle décrié. « C’est cette brutalité, cette arrogance qu’il exhibe, qui me fait perdre mon calme », a-t-elle précisé.
« Je représente cet enfant que personne n’a protégé »
Durant le procès, Christophe Ruggia a accusé l’actrice de « purs mensonges”, assimilant l’affaire à une « vengeance », et faisant référence à un « #Metoo français » qui se serait abattu » sur lui. « Ce procès a donné l’occasion à tout le monde d’être entendu, notamment à M. Ruggia, qui se plaint d’être censuré, évoque un procès public superficiel. En vérité, il a bénéficié de tout le temps nécessaire pour s’exprimer et il n’a apporté aucune explication éclairée », a-t-elle dénoncé. « Nous parlons d’un adulte approchant la quarantaine à l’époque des faits, qui met en place un stratagème pour avoir chez lui une adolescente de douze ans et qui abuse d’elle chaque week-end », a-t-elle rajouté.
« Je suis la voix de cet enfant que personne n’a protégé », a-t-elle affirmé, soulignant qu’elle n’a « jamais eu la possibilité d’être cet enfant », qui a systématiquement été « traitée comme une adulte ». « J’ai compris plus tard, c’est peu à peu que j’ai réalisé. En réalité, j’avais 12 ans. J’ai tellement refoulé ce souvenir que je n’ai jamais vraiment eu mes 12 ans. On m’a toujours dit que j’étais une adulte dans un corps de jeune fille, donc c’est progressivement que j’ai saisi ce que cela signifiait, être un enfant de 12 ans », a-t-elle confié. Au-delà du cas du réalisateur de 59 ans, qui avait entre 36 et 39 ans au moment des faits, Adèle Haenel met en cause la responsabilité de tous les adultes présents. « Tous les adultes présents ont détourné le regard… Il y a le réalisateur, mais aussi une myriade de professionnels autour. Un tournage implique en général une cinquantaine d’adultes », a-t-elle rappelé.