La spécialiste du domaine médical indique que les femmes sont les principales cibles dans les cas de soumission chimique.
« L’affaire des viols de Mazan marque un tournant par la mobilisation sans précédent des professionnels de santé, choqués de découvrir une telle errance pendant tant d’années », constate le docteur Leïla Chaouachi, pharmacienne au centre d’addictovigilance de Paris et spécialiste nationale de l’enquête sur la soumission chimique pour l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), interrogée le jeudi 19 décembre sur 42mag.fr.
La fondatrice du CRAFS (Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances) partage ses réflexions suite au verdict du procès historique des agressions sexuelles à Mazan. Elle explique que « le dernier indicateur est la prise de parole sur des événements très anciens », et que des personnes âgées s’adressent à l’organisation « pour discuter d’incidents passés car elles se retrouvent dans le témoignage de Gisèle Pelicot ».
Selon cette experte, le mouvement #MeToo de 2017 a « exposé au grand jour les violences sexistes et sexuelles ». Néanmoins, la véritable prise de conscience n’a eu lieu qu’en 2021, grâce au mouvement européen « Balance ton bar », qui a mis en lumière les agressions facilitées par des substances lors d’événements festifs. Ce mouvement a « résonné fortement », notamment avec la publication du livre de Caroline Darian, « Et j’ai cessé de t’appeler papa », et l’affaire Joël Guerriau (sénateur accusé par Sandrine Josso de l’avoir droguée, mis en examen et sous contrôle judiciaire dans cette affaire).
« La pratique de la soumission chimique est aussi ancienne que le monde », précise Leïla Chaouachi. Elle explique que « cela apparaît dans la littérature, les contes et les mythologies », évoquant l’histoire de « Tristan et Iseut », qui parle de filtres d’amour alors que « en 2024, ce serait considéré comme une drogue utilisée pour violer ». Elle souligne également que « la somnophilie est un thème récurrent », en référence aux princesses Disney « qui s’endorment. » Pour elle, ces éléments sont essentiels à comprendre car ils démontrent que cette problématique est ancrée dans l’imaginaire collectif.
Troubles de la mémoire, perte de conscience, somnolence…
D’après les informations fournies par Leïla Chaouachi, la soumission chimique concerne majoritairement les femmes, représentant environ 80% des cas, bien que « les hommes ainsi que les personnes transgenres de tous âges puissent également en être victimes. En 2022, les cas observés vont de 9 mois à 90 ans ». Bien que ce sujet technique soit délicat, il reste difficile de jauger combien de personnes en sont victimes, étant donné que « la plupart des victimes ne portent pas plainte et ne contactent pas les structures spécialisées ».
Interrogée sur les signes révélateurs possibles, l’experte parle de « pertes de mémoire, d’amnésie totale ou partielle, de somnolence pouvant aller jusqu’au coma, de vertiges, de nausées, et de vomissements dans un contexte de possibles actes criminels ou délictuels ». Elle décrit un cas typique comme quelqu’un qui se retrouverait « nu dans la rue sans aucun souvenir ». Ces sont des « signes qui devraient alerter, et une analyse toxicologique pourrait les confirmer ». Elle encourage à prêter attention à toute manifestation inhabituelle, disant : « Je préfère qu’on vérifie et qu’on ait tort plutôt que l’inverse ». Leïla Chaouachi appelle à une « vigilance collective » au lieu de céder à la « psychose générale », en rappelant que « nous avons tous la responsabilité de veiller les uns sur les autres ».