Chaque samedi, nous analysons les questions climatiques en compagnie de François Gemenne, enseignant à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme, et participant au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
Un discours souvent récurrent face aux catastrophes climatiques
Chaque fois qu’un événement climatique tragique survient, on observe la réapparition de certains discours familiers : « On vous l’avait bien dit », « Voilà ce qui se passe lorsqu’on ignore les avertissements du GIEC », « Il aurait fallu écouter les experts ». Cela peut donner l’impression que certaines personnes éprouvent presque une satisfaction malsaine devant ces désastres… Et c’est choquant, vraiment. En tant que membre du GIEC, je tiens à être clair : contrairement à ceux qui semblent se nourrir de ces drames tels des charognards, je ne ressens aucune satisfaction à voir nos prévisions s’accomplir de manière si tragique.
Les arguments détournés à des fins politiques
Ceux qui cherchent à tirer profit des catastrophes en disant « On vous l’avait bien dit » emploient la même méthode que l’extrême droite, qui exploite chaque incident tragique impliquant des migrants pour exiger des changements dans la politique d’asile et d’immigration.
42mag.fr : Focus sur l’immigration à Mayotte
C’est une autre façon de détourner une tragédie. Je trouve difficile de concevoir qu’à l’heure où la France doit faire face à une catastrophe climatique majeure, la priorité soit de lancer un débat sur l’immigration. Désormais, cette crise humanitaire est réduite à une affaire d’immigration, comme si c’était l’urgence du moment.
Soyons clairs : est-ce que les températures élevées de l’Océan Indien ont intensifié le cyclone ? Probablement. Est-ce que plus de la moitié de la population de Mayotte est composée de ressortissants étrangers, dont un grand nombre en situation irrégulière ? Indubitablement. Toutefois, ce n’est pas cela qui est à l’origine du désastre à Mayotte. Une catastrophe, c’est le croisement entre un événement naturel – ici, le cyclone – et une fragilité socio-économique. Si l’archipel de Mayotte est aujourd’hui si dévasté, c’est parce qu’il était déjà extrêmement vulnérable. Cette vulnérabilité est due à un désengagement progressif et structurel de l’État. Elle est également le résultat d’un manque d’investissements chroniques et d’une faible préparation face aux risques de catastrophes.
« La destruction à Mayotte n’est causée ni par le changement climatique ni par l’immigration : ce ne sont que des excuses opportunes pour éviter d’admettre que le véritable problème, c’est qu’on a transformé ce territoire périphérique en une région de second ordre. »
François Gemennesur 42mag.fr
La visite du président et la mobilisation des secours
C’est le strict minimum. Pourtant, il est évident que l’on n’a pas pris toute la mesure de la tragédie dans l’Hexagone. La France fait face à la plus grave catastrophe climatique de son histoire, et pendant ce temps, nos dirigeants discutent de la composition du gouvernement. Le milieu politique s’indigne des confidences privées du président dévoilées dans un grand journal. En réalité, si nous étions pleinement conscients de l’ampleur de cette catastrophe, nous déploierions tous les moyens nécessaires et concentrerions toute notre attention sur Mayotte. À l’heure actuelle, les écarts entre le bilan officiel de 35 morts et les chiffres redoutés par les organisations humanitaires vont de 1 à 1 000 : cela montre bien l’abandon dans lequel ce territoire a été laissé.
Des leçons à tirer face au changement climatique
Bien sûr. Il y a tant à faire pour se préparer, car ce genre d’événement risque malheureusement de se reproduire. Il faut repenser nos politiques de logement, d’alerte et d’évacuation. Il est aussi nécessaire de revoir nos politiques d’immigration, puisque de nombreux migrants en situation irrégulière ont évité les refuges par crainte d’être arrêtés. Il y a donc énormément de choses à mettre en place.
Cependant, tous les discours qui chercheront à exploiter la catastrophe pour servir des intérêts politiques seront indécents, car à ce jour, nous ne sommes même pas capables de compter les victimes. Et nos regards se tournent déjà ailleurs.