Le chef du gouvernement récemment nommé est un partenaire de longue date du chef de l’État. Cependant, leurs relations souvent marquées par des hauts et des bas, ainsi que les débuts tumultueux du natif du Béarn à la tête de Matignon, laissent présager de possibles secousses importantes au sommet de l’État.
Lors de sa première interview en tant que Premier ministre, François Bayrou semble s’emmêler dans ses explications. Confronté aux critiques sur ses débuts difficiles à Matignon, il est apparu hésitant lors de l’entretien diffusé jeudi 19 décembre sur France 2. Questionné sur les péripéties autour de sa nomination et les tensions avec Emmanuel Macron, le dirigeant du MoDem a d’abord pris une tangente sur la situation géopolitique avant de revenir à la question posée. « Nous avons eu une discussion où j’ai essayé de lui faire comprendre que je pensais qu’il fallait agir autrement, c’est ainsi qu’il a fait son choix après cet échange, » conclut-il.
François Bayrou ne nie donc pas avoir influencé la décision du président qui, à l’origine, avait choisi de ne pas le nommer. « Il a vite réalisé qu’il avait remporté une confrontation avec Emmanuel Macron, et il lui a lancé : ‘Je vous ai rejoint pour réaliser de grandes choses, pas de petites’, dit un proche du maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques).
« Une relation compliquée »
Cette entrée mouvementée reflète la relation en dents de scie entre les deux hommes, malgré leur proximité politique, depuis que François Bayrou a rejoint la campagne d’Emmanuel Macron en 2017. « François est intellectuellement impressionné par lui, comme s’il avait enfin trouvé un égal avec une vision similaire à la sienne, » raconte Bruno Millienne, porte-parole du MoDem. « C’est presque une relation de mentor à élève ; ils se sont trouvés. »
Le respect est réciproque, mais François Bayrou n’a jamais été un simple subordonné d’Emmanuel Macron. « Il admire Macron, mais François Bayrou reste François Bayrou, » sourit Erwan Balanant, député MoDem. « Il possède une riche expérience et a traversé bien des tempêtes politiques. »
« François Bayrou n’adhère pas à la vision macroniste de la start-up nation et de la théorie du premier de cordée. Il est fermement attaché à l’idée républicaine de méritocratie et à la justice sociale. »
Erwan Balanant, député MoDemà 42mag.fr
Ces sept années ont été marquées par plusieurs désaccords entre leurs équipes. Qu’il s’agisse de la réforme des retraites, du projet de loi sur l’immigration ou encore des remaniements ministériels, François Bayrou et les députés du MoDem ont régulièrement exprimé leur opinion, parfois avec virulence envers le camp présidentiel.
En février, François Bayrou n’avait pas mâché ses mots pour dénoncer ce qu’il voyait comme une « dérive » vers une « technocratie gestionnaire » au sein du gouvernement de Gabriel Attal auquel il avait refusé de prendre part. « Il vise à être un Premier ministre bis, voir un président bis. C’est vraiment un véritable boutiquier, » critiquait à l’époque un collaborateur proche du président. En septembre, lors de la constitution du gouvernement de Michel Barnier, le scénario se répète : les élus MoDem expriment leur mécontentement. « Ils jouent leur acte habituel, cherchant à obtenir plus de postes, » soupire un membre clé de la majorité présidentielle.
« Je suis invincible »
Les soutiens de Bayrou se réjouissent de leur indépendance par rapport au président et sa sphère. Ils ne manquent pas de rappeler, entre autres, que Nicolas Pernot, le directeur de cabinet du Premier ministre, est un allié fidèle de Bayrou. En d’autres termes, l’Élysée n’a pas imposé de choix, ce qui était souvent le cas avec les précédents chefs de gouvernement. « Le pouvoir n’est plus à l’Elysée ; il ne s’agit pas de défiance envers le président, mais d’une réalité institutionnelle, » observe Erwan Balanant.
« Être en alliance n’implique pas d’être des figurines sans volonté propre. C’est inscrit dans l’ADN du MoDem. »
Bruno Millienne, député MoDemà 42mag.fr
Cette indépendance reflète le caractère de François Bayrou. « Il possède la conviction absolue, innée chez lui, qu’il a un destin à accomplir, » déclare Bruno Millienne. « Il a souvent anticipé les événements et su ce qu’il fallait faire. » D’autres ex-membres du MoDem sont plus pragmatiques : « Il m’a confié un jour, ‘Je suis immortel’. »
François Bayrou, décrit comme « ayant un tempérament bouillant » par un conseiller proche du président, est connu pour sa ténacité. « J’ai eu quelques négociations intenses avec lui : il claque la porte, menace, invective… C’est la vieille école, très abrasive, loin de l’image posée qu’il projette, » partage un membre de la majorité. « Ça promet d’être compliqué, » plaisante un influent député de l’Ensemble pour la République (EPR). « Tous ceux qui ne connaissent pas Bayrou seront certainement surpris par la suite. »
Alors que Bayrou défend sa liberté d’action, le président doit réinventer le fonctionnement du couple exécutif. Irait-il lui faciliter la tâche ou au contraire compliquer la mission de son Premier ministre, de vingt-sept ans son aîné ? Emmanuel Macron est principalement préoccupé par la crise qui secoue Mayotte à la suite du passage dévastateur du cyclone Chido. Néanmoins, il a pris le soin de rencontrer le chef du gouvernement à trois reprises depuis sa nomination.
« L’Élysée prépare la bataille »
Malgré cela, certains proches du président sèment la distance, voire prennent une attitude plus critique vis-à-vis du Premier ministre. Un échange tendu s’est ainsi amorcé entre François Bayrou et l’Élysée concernant le timing de la formation du gouvernement, le palais présidentiel affirmant avec sarcasme être « prêt » à recevoir la proposition de Bayrou.
Pour plusieurs figures du camp présidentiel, cette situation illustre une forme de méfiance de l’Élysée envers Matignon. « L’Élysée va mener la bataille, car le président a des difficultés à céder le pouvoir. Cela ne va pas renforcer les liens, » anticipe un élu MoDem, rejoint par Richard Ramos, député du même parti.
« Je n’ai aucun doute sur le fait qu’à l’Élysée, certains espèrent son échec. Même dans notre propre parti, il y en a. »
Richard Ramos, député MoDemà 42mag.fr
Certains membres de la majorité voient dans la nomination de François Bayrou un événement dont les répercussions se feront sentir dans les relations entre les deux hommes. « Je ne connais pas bien Emmanuel Macron, mais j’en sais assez pour dire que cette nomination laissera une marque indélébile, » évoque un proche de Bayrou. « Emmanuel Macron ne l’oubliera jamais et cherchera à exploiter les points faibles du MoDem, mais François Bayrou est habitué aux tempêtes politiques. »
D’autres conseillers suggèrent plutôt au président de se faire discret, le temps que Bayrou absorbe les chocs politiques. « Il pourrait en profiter pour retrouver son élan pendant que Bayrou essuie les coups, » propose l’un d’eux. Surtout que, d’après un autre proche, « le Premier ministre laissera le champ libre sur la politique extérieure, » un terrain habituellement réservé au président. « Il n’y aura pas de tension entre lui et l’Élysée concernant l’OTAN, la guerre en Ukraine ou l’Afrique, » contrairement à Michel Barnier, qui cherchait à en faire un domaine partagé, affirme une source.
Un défi « ardu » pour « le combat de sa vie »
François Bayrou est pourtant attendu avec les affaires internes, dans un climat plus tendu que jamais à l’Assemblée nationale. Avec La France insoumise prête à voter la censure contre lui, le reste de la gauche qu’il ne rallie pas à sa cause, la droite qui impose ses conditions pour un éventuel soutien et le Rassemblement national prêt à appuyer pour faire chuter le gouvernement, le soutien au Premier ministre semble fragile. « Un Premier ministre autonome n’est pas nécessairement fort ni efficace, » commente le constitutionnaliste Benjamin Morel.
« François Bayrou est en position de vulnérabilité totale, car il n’a pas de majorité solide. »
Le constitutionnaliste Benjamin Morelà 42mag.fr
Tentant de prendre les devants, le Premier ministre multiplie les consultations. Depuis jeudi, il a invité à une concertation de plusieurs mois sur la réforme des retraites. « Réunir les gens de bonne volonté est une bataille qu’il mène depuis toujours. Critiquer est facile, bâtir l’est moins, et lui est un bâtisseur, » affirme une proche, convaincue que « le pays a besoin de cette détermination. »
En dehors de l’urgence à Mayotte, la situation complexe des finances publiques reste pressante. Sur France 2, jeudi soir, le Premier ministre a défendu sa stratégie pour la loi de finances 2025. « Je n’userai pas du 49.3, sauf en cas de blocage total sur le budget, » a-t-il affirmé.
À l’image de Michel Barnier, François Bayrou pourrait chuter lors d’un vote budgétaire suite à une motion de censure. « Il tiendra jusqu’à la fin de 2024, mais pas l’hiver ! » prédit un conseiller ministériel. « Son approche est erronée. Pour réussir, il devrait se concentrer sur le budget plutôt que sur la participation au gouvernement. À ce rythme, il pourrait redéfiler le record du gouvernement éphémère de Barnier, » dit un député EPR à France Télévisions.
« Si Bayrou échoue, il entraînera tout le monde »
Fraîchement nommé, Bayrou est déjà dans une situation périlleuse. Que se passerait-il s’il subissait le même sort que Barnier ? « Si Bayrou échoue, il emporte tout le monde dans sa chute, » craint un collaborateur de la majorité présidentielle. « Un échec rapide de sa part aurait des répercussions sur le président de la République, » anticipe un proche de Macron.
« Emmanuel Macron a tout intérêt à ce que cela ne tourne pas mal, sinon le regard se portera de nouveau sur l’Élysée. »
Un proche du présidentà 42mag.fr
« Pour Emmanuel Macron, tirer profit d’un échec de François Bayrou pourrait ouvrir la voie à des discussions sur sa propre démission. Cela reviendrait à un jeu de ‘perdant perdant’ pour l’exécutif, » estime le constitutionnaliste Benjamin Morel. La France insoumise et Jean-Luc Mélenchon, qui cherchent depuis des mois à pousser le président à quitter ses fonctions, saisiraient alors l’opportunité pour intensifier la pression. Et avec un Rassemblement national de plus en plus influent, un retour à une campagne présidentielle anticipée deviendrait plausible.