Mark Zuckerberg et Elon Musk montrent une certaine réticence à contrôler les informations trompeuses diffusées sur leurs plateformes de médias sociaux. Cette attitude a suscité une discussion philosophique autour du principe de la liberté d’expression. Cependant, il convient de noter que le cadre légal est sans ambiguïté : la propagation de fausses nouvelles est interdite par la loi.
Il y a une semaine, au début de janvier, le créateur de Meta, Mark Zuckerberg, a annoncé son intention de mettre fin à la collaboration avec les vérificateurs de faits qu’il emploie pour examiner les contenus sur Facebook, Instagram et Thread, invoquant le principe de la liberté d’expression. Depuis lors, un débat acharné fait rage concernant la question de savoir si la propagation de fausses informations relève ou non d’un droit protégé par la liberté d’expression.
Sur X, Valérie Hayer, députée au Parlement européen et membre de Renew, s’est exprimée en affirmant que la liberté d’expression « ne consiste pas, et ne consistera jamais, à permettre la diffusion de fausses informations ». En réponse, Louis Sarkozy, essayiste et fils de l’ancien président Nicolas Sarkozy, a soutenu que « la liberté d’expression inclut le droit de diffuser des informations erronées ». Plusieurs utilisateurs lui ont rétorqué qu’il avait tort, et pour se défendre, il a affirmé s’inspirer des philosophes.
John Stuart Mill et une vision quasi illimitée de la liberté d’expression
Effectivement, certaines figures philosophiques partagent sa vision. Louis Sarkozy mentionne notamment John Milton, un poète anglais du XVIIe siècle, qui prônait un affrontement équitable entre vérité et erreur. Il évoque aussi John Stuart Mill, un penseur britannique du XIXe siècle partisan d’une interprétation extensive et quasi illimitée de la liberté d’expression.
Basée sur les informations fournies par l’Encyclopédie philosophique en ligne, selon John Stuart Mill, il faut partir du principe que chacun peut se tromper et qu’aucune personne n’est à l’abri de l’erreur. Restreindre l’expression de quelque chose de potentiellement faux reviendrait donc à se considérer infaillible. Mill pensait que l’interaction des idées permettrait à la vérité de prévaloir, ne voyant pour limite que les propos incitant directement à perpétrer un « méfait » contre autrui, c’est-à-dire des préjudices « concrets ».
Des limites à la liberté d’expression après l’Holocauste
Cependant, cette perspective extensive, favorisée en particulier dans les milieux anglo-saxons et possiblement adoptée par Mark Zuckerberg, n’est pas partagée par tous les philosophes. Le journal Le Monde stipule que depuis la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste, les partisans de la pensée de Mill sont devenus moins nombreux.
Ainsi, le philosophe américain contemporain Jeremy Waldron a une perception élargie du dommage. Pour Waldron, les discours de haine portent atteinte à la citoyenneté et représentent donc un frein à la liberté d’expression. Certaines informations erronées peuvent être classées dans ce cadre. L’antisémitisme ayant mené à l’Holocauste, par exemple, reposait largement sur des fausses nouvelles prenant pour cible les Juifs.
Actuellement, certains philosophes explorent même un angle inverse. Selon eux, la véritable question serait de savoir si la prolifération d’informations mensongères ne constitue pas elle-même une menace à la liberté d’expression, car ces infox s’enracinent dans notre pensée, consciemment ou inconsciemment. C’est l’argument de Neil Levy, philosophe australien. Contrairement à ce que défendait John Stuart Mill, rien ne garantit que la vérité triomphe nécessairement.
Des lois contre la diffusion de fausses informations depuis 140 ans
En analysant ces positions philosophiques, on réalise que le débat reste ouvert et complexe. Toutefois, les législateurs ont dû adopter une approche plus pragmatique.
En France, la propagation en masse de fausses informations est interdite depuis 140 ans. La loi du 29 juillet 1881, dans son article 27, stipule que « la divulgation, publication ou reproduction, par n’importe quel moyen, de nouvelles mensongères ou de documents falsifiés, attribués de façon fallacieuse à des tiers et ayant troublé la paix publique, ou susceptibles de le faire, est passible d’une amende de 45 000 euros ». Cette amende est portée à 135 000 euros si la fausse information risque de compromettre un effort de guerre.
Également, une plainte pour diffamation peut être déposée si une information inexacte atteint la vie privée. C’est le cas de Brigitte Macron, qui a engagé une action pour diffamation contre les auteurs de la rumeur selon laquelle elle serait une femme transgenre, et que son nom de naissance serait Jean-Michel Trogneux, le nom de son frère.
La législation a été renforcée en 2018 avec la mise en place de la loi dite anti-fake-news. Cette loi permet à un juge, dans les trois mois précédant une élection, d’ordonner l’arrêt de la diffusion « d’allégations inexactes ou trompeuses pouvant porter atteinte à la sincérité du scrutin » ( … ) diffusées de manière intentionnelle, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication public en ligne ».
Dans une décision de la même année, le Conseil constitutionnel a précisé que « ces allégations ne recouvrent ni les opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples exagérations. Ce sont celles dont la fausseté peut être objectivement prouvée. […] Seule la diffusion d’allégations ou imputations explicitement remplies des trois conditions cumulatives (artificielles ou automatisées, massives et délibérées) peut être sanctionnée. »