Ces derniers mois, un nombre considérable de livreurs, pour la plupart issus de l’immigration, ont rapporté avoir subi des agressions à caractère raciste. Les organisations syndicales tirent la sonnette d’alarme sur ce nouveau problème et les entreprises de livraison commencent à prendre des mesures pour y faire face.
Ils parcourent les villes, livrant des repas pour UberEats ou Deliveroo. Ces livreurs, dont la majorité provient de l’étranger, acceptent souvent de travailler dans des conditions difficiles et mal rémunérées.
Récemment, un nombre croissant d’entre eux ont signalé des incidents impliquant des clients, particulièrement des insultes racistes. Pour remédier à cela, les plateformes et certains syndicats ont commencé à prendre des mesures.
« Retournez chez vous ! »
Cheikh, qui travaille pour UberEats à Fougères en Bretagne, exerce ce métier depuis cinq ans. Ce Français d’origine ivoirienne a vécu une mésaventure en décembre dernier alors qu’il livrait des produits surgelés à une cliente. Bloqué dans une rue en travaux, il a informé la jeune femme qu’il terminerait la livraison à pied. « Elle m’a dit ‘vous cassez les pieds' », se souvient-il. Une fois en bas de l’immeuble, elle a juste réclamé sa commande, mais Cheikh a refusé de la lui remettre en raison du manque de respect.
« Elle a essayé de m’arracher la commande des mains. Je l’ai gardée derrière moi et elle m’a dit ‘casses-pieds, dégagez !’. J’avais déjà entendu ces paroles, mais n’avais jamais contacté Uber. Cependant, sa manière agressive de m’appeler ‘casses-pieds’… C’était surprenant venant d’une si jeune personne… », témoigne-t-il.
Cheikh a donc rapporté cet incident non seulement à UberEats, au supermarché de Fougères, mais aussi à Fabian Tosolini, son représentant syndical. Chef de l’Union-indépendants, Tosolini remarque que ces cas sont en augmentation. « Chaque mois, environ un livreur nous contacte pour signaler ce genre de problème. Depuis décembre, nous avons géré quatre affaires similaires. Le racisme est de plus en plus décomplexé chez certains clients, ce qui était moins courant auparavant », explique-t-il.
Des sanctions qui touchent les livreurs
Dans de nombreux cas, ces altercations se concluent au désavantage du livreur : « Les discriminations sont telles que les clients se retournent contre le livreur, prétendant un comportement déplacé, continue le syndicaliste, ce qui mène souvent à une ‘déconnexion systématique’. » Cela signifie que le compte du livreur est bloqué par la plateforme, l’empêchant de travailler.
C’est ce qui est arrivé à Tarek, à Rennes. D’origine marocaine et livreur espagnol, il devait remettre un repas juste avant la période des fêtes : « On notifie le client sur l’application lorsqu’on arrive. Je l’ai fait, sans réponse, puis je l’ai appelée. Elle m’a parlé durement, ‘montez vite !' », relate-t-il.
Tarek a refusé de monter pour éviter les ennuis. La cliente est finalement descendue, mais n’a pas validé la livraison.
« Elle m’a menacé raciste et dit qu’elle porterait plainte. En contactant Uber, c’était compliqué. J’ai attendu 48h sans réponse. »
Tarekà 42mag.fr
Subséquemment, elle a prétendu avoir subi une agression et le compte de Tarek a été verrouillé pendant quatre jours. Avec l’aide du syndicat, il a été recontacté par la plateforme et finalement son compte a été débloqué.
Vers des indemnités financières
UberEats et Deliveroo assurent traiter ce problème sérieusement. Un accord entre les plateformes et les syndicats a été établi au printemps dernier, incluant des compensations financières pour les pertes d’activité. Par exemple, Cheikh a reçu une indemnité de 93 euros d’UberEats pour une journée de travail manquée en raison d’une cliente refusant de confirmer sa commande après l’avoir insulté.
Pour Deliveroo, Julien Lavaud, responsable des relations extérieures, mentionne qu’un outil facilite désormais la déclaration d’incidents pour les livreurs : « Nous avons simplifié le signalement des discriminations sur l’application, permettant une réaction rapide de nos équipes », assure-t-il, ajoutant que cela peut être traité en « 36 heures maximum ». Les employés en contact avec les livreurs ont également reçu une formation spécifique.
De l’impact pour les clients aussi
Il y a une avancée notable, d’après les syndicats : maintenant, un client insultant peut voir son compte suspendu, bien qu’il soit facile d’en créer un nouveau. Fabian Tosolini, du syndicat Union-indépendants, souligne que nombreux livreurs hésitent à déposer plainte : « Il y a cette culpabilité chez beaucoup d’entre eux », explique-t-il, et nous devons leur rappeler qu’ils sont protégés et qu’ils peuvent revendiquer des réparations. »
Tarek a tenté de se rendre au commissariat, mais face à la foule, il a renoncé après plusieurs tentatives. Quant à Cheikh, il s’est contenté de consigner l’incident, espérant que la mentalité de la cliente changera avec le temps.