Le metteur en scène connu pour « Tenue de soirée » et « Les Valseuses » est décédé ce lundi, ayant atteint l’âge de 85 ans. Tout comme ses œuvres cinématographiques et les dialogues qu’il a créés, il laisse derrière lui des répliques aiguisées, sans aucune concession, et souvent marquées par un humour sombre.
L’histoire d’un homme qui tâtonne dans ses choix, teste divers chemins et finit par en réussir certains. En 2019, lors d’une interview sur France Inter avec Augustin Trappenard, Bertrand Blier imaginait sa vie comme une trame de film. Il ajoutait non sans humour : « Je suis un type d’humeur maussade, mais c’est assez drôle d’être du genre morose.«
Ce réalisateur emblématique des décennies 70 et 80, auteur de classiques du cinéma français tels que Tenue de soirée, Les Valseuses ou Buffet froid, est décédé le lundi 20 janvier à 85 ans.
Lauréat de l’Oscar du meilleur film étranger en 1979 pour Préparez vos mouchoirs, il a quitté ce monde « paisiblement chez lui, à Paris, entouré de sa femme et de ses enfants« , a confirmé son fils Léonard Blier à l’AFP.
Les œuvres de ce scénariste talentueux, apprécié pour son humour noir et sans détour, ont laissé une marque indélébile sur le cinéma des années 70 et 80. Au cours des nombreuses interviews qu’il a accordées tout au long de sa carrière, Bertrand Blier s’est distingué par son franc-parler touchant souvent la corde sensible de manière singulière.
« Mon alliée, la mélancolie »
En 2014, sur France Inter, lors d’une rencontre avec Eva Bester, il décrivait sa connexion avec le cinéma, empreinte d’une mélancolie assumée : « La mélancolie est une vieille compagne. Je me considère comme un pessimiste joyeux, j’aime rire, mais généralement de choses très sombres. C’est pourquoi la mélancolie est devenue mon outil de travail. Plus les choses empirent, plus j’ai envie de rire. » Dans un moment de réflexion, il partagea : « La vie est précieuse, mais elle suit un scénario prévisible, dont on connaît déjà la fin.«
Montrant un élan d’optimisme, il ajoutait : « Je traîne souvent une mauvaise humeur fameuse. Cependant, lorsque je réalise des films, c’est une expérience fabuleuse, presque comme des vacances. C’est tout de même très agréable et amusant ! Ma proximité quotidienne avec les acteurs me comble. Peut-être cela vient-il du fait que j’ai grandi comme le fils d’un acteur reconnu pour son humour.«
« Être sur un plateau avec Dujardin, Depardieu et d’autres, c’est vivre des moments de bonheur pur, car les fou-rires ne manquent jamais ! »
Bertrand Bliersur France Inter
Fils du célèbre Bernard Blier, le cinéaste avait signé près de vingt films au cours de sa carrière, suscitant parfois la polémique, comme ce fut le cas avec Les Valseuses. Ce film irrévérencieux, devenu culte, est connu pour son ton graveleux, provoquant le choc à l’époque.
« Un aspect oublié du cinéma : capturer la voix du peuple »
Après avoir connu le succès durant les années 80, les périodes suivantes furent moins fructueuses pour lui, à l’exception notable de Le Bruit des glaçons, qui explorait le dialogue entre un écrivain alcoolique (Jean Dujardin) et sa maladie, personnifiée par Albert Dupontel.
En 2015, s’affirmant sur l’évolution du cinéma, il regrettait la disparition du « cinéma issu du peuple » en déclarant à Christine Masson et Laurent Delmas : « De nos jours, on produit des films un peu plus sophistiqués. Cependant, quelque chose s’est perdu, une sorte de secret lié au cinéma, cher à Michel Audiard et à ses prédécesseurs. C’était l’art de faire parler le peuple, les Français de tous les jours. Cette essence se retrouve chez Jean Renoir, dans la Nouvelle Vague avec Truffaut, et un peu chez Godard aussi. Mais depuis, il y a eu une intellectualisation. De nombreux films aujourd’hui s’interrogent sur le soi, l’avenir personnel, les relations avec des femmes sophistiquées. Elles deviennent de plus en plus raffinées, certes, mais souvent au détriment de l’humour.«
Les femmes du cinéma et Gérard Depardieu
En exprimant son rapport aux actrices qu’il a dirigées au fil des ans, il mentionnait : « J’ai développé un intérêt croissant pour les femmes, obtenant des rôles féminins de plus en plus importants dans mes films, jusqu’à ‘Trop belle pour toi’, où les femmes ont véritablement pris le pouvoir dans mon univers cinématographique.«
Affirmant avoir le « flair » pour identifier les futurs grands talents, il se remémorait ses découvertes avec des acteurs comme Patrick Dewaere, Miou-Miou, Anouk Grinberg, et Carole Bouquet, soulignant cette capacité unique. Son acteur de prédilection restait Gérard Depardieu.
« À chaque nouvelle ligne de scénario, je pense à Gérard. Même si je devais adapter Croc-Blanc, son image me viendrait à l’esprit ! Nous partageons une culture commune, il est fait pour incarner mes personnages, et je suis fait pour écrire pour lui. »
Bertrand Bliersur France Culture
Il se souvenait que, après le succès écrasant des Valseuses en 1974, il s’était plongé dans des puzzles de 5 000 pièces pendant deux mois, écoutant de la musique à longueur de journée pour se détendre.
« Je suis sûr qu’un grand succès m’attend encore »
En 2010, sur France Culture, il s’exprimait sur le fait de vieillir : « On reste le même, mais on gagne en liberté, un bénéfice de l’âge. Les craintes diminuent, l’avis des autres importe moins, on ose ce qu’on n’aurait jamais osé auparavant. Avec le temps, les audaces initiales font place à une certaine lassitude avant de revenir à l’esprit fougueux de ses trentes ans.«
Lorsqu’il parlait du succès : « Après avoir connu la réussite, et sentant que je n’ai pas changé, je sais que je peux réitérer ce que j’ai accompli. Je suis convaincu que je peux réussir un exploit similaire à celui des Valseuses ou Tenue de soirée. Cela ne se décide pas, mais c’est en moi. Mon goût pour l’absurde, ma violence créative, sont toujours aussi aiguisés qu’à mes trente ans. »
Et de conclure sur sa vision de la vie et du cinéma : « La vie est fascinante, mais le cinéma est mieux, car il permet de revoir et de rectifier les erreurs de la vie.«