La commissaire était en fonction depuis 2019. Dans son livre à paraître ce jeudi, elle partage de manière assez directe son vécu au sein du ministère de l’Intérieur, exprimant également ses critiques envers le syndicat Alliance Police nationale, lequel est considéré comme étant orienté vers la droite.
Un livre révélateur qui met fin à une carrière
En lançant son ouvrage intitulé Porte-Parole, avec le sous-titre Réflexions intimes de la voix officielle du ministère de l’Intérieur, Camille Chaize était consciente que celle-ci marquerait la fin de son mandat au sein de Beauvau. Dans un post sur LinkedIn, publié le lundi 20 janvier, elle a déclaré, « À l’heure où ce livre si personnel voit le jour, il est évident que je dois mettre un terme à ma mission en tant que porte-parole du ministère de l’Intérieur, un poste que j’occupe depuis décembre 2019. »
La commissaire de police avait accepté les conséquences de la publication de son ouvrage franc et direct de 300 pages, bien que Gérald Darmanin, son supérieur, ait approuvé la sortie du livre. Dans ses remerciements, elle souligne que l’ancien ministre de l’Intérieur, maintenant chargé du ministère de la Justice, « a aussitôt saisi l’importance de ce témoignage. » Elle rend aussi hommage à Christophe Castaner pour l’avoir intégrée dans l’équipe.
Des prises de position audacieuses
Chaize ne mâche pas ses mots en s’attaquant au syndicat Alliance Police nationale, orienté à droite, ainsi qu’au Rassemblement national (RN). Selon Le Canard Enchaîné, certains dirigeants de ces deux entités auraient réclamé sa révocation, bien que le ministère de l’Intérieur ait réfuté ces affirmations, précisant à 42mag.fr qu’il n’existe pas de lettre envoyée par le RN au sénateur Bruno Retailleau pour exiger son départ. Quand 42mag.fr a sollicité Alliance à propos de ces allégations, l’organisation a choisi de ne pas faire de commentaires, et le RN n’a pas répondu.
L’ouvrage, que 42mag.fr a pu examiner, sera proposé en librairie le jeudi 23 janvier. On y découvre des critiques explicites envers le parti politique ainsi que le syndicat concerné.
Une réflexion sur l’influence significative des syndicats de police
Dans son livre, Camille Chaize s’interroge sur « l’autorité (…) accordée volontairement par l’administration » aux syndicats de police, qui sont devenus « particulièrement influents ». Elle décrit une manifestation controversée de mai 2021 où ces syndicats ont revendiqué « le droit de manifester sous les fenêtres de l’Assemblée nationale, criant que ‘Le problème de la police, c’est la justice’, sans rester impunis par les autorités centrales. »
« Si l’administration choisit d’être faible et de ne pas fixer des lignes infranchissables, nous en paierons tous les conséquences. »
Camille Chaizedans son livre « Porte-parole »
Elle pointe spécifiquement du doigt le syndicat Alliance, qui l’avait ciblée au début de 2022 après une série d’interventions médiatiques où elle avait dénoncé les propos « inacceptables » concernant un policier ayant insulté une victime d’agression sexuelle, révélés par Mediapart. Chaize exprime son « exaspération » face à ces attitudes, n’hésitant pas à secouer les choses pour une prise de conscience. « Peut-être ai-je légèrement exagéré, sous le feu de l’action médiatique, mais il est crucial de bousculer les traditions face à de tels témoignages féminins », admet-elle dans ses écrits.
Ces déclarations n’ont pas plu à Alliance, qui l’avait accusée d’avoir « dérapé » dans un communiqué. Elle analyse la situation avec lucidité et déclare : « C’est troublant de constater que certains policiers, issus de votre propre institution, critiquent ou rejettent votre point de vue, préférant ignorer les faits ou adopter une position protectionniste. » Franceinfo a contacté Alliance, qui a préféré ne pas commenter ces propos.
Par ailleurs, elle règle ses comptes avec ceux qui ne l’ont pas soutenue dans cette querelle médiatique. « Aucun appel, aucune marque de soutien ne sont venus des chefs de la police durant cet épisode », regrette-t-elle.
Une pique envers Matthieu Valet, ex-commissaire devenu eurodéputé du RN
Dans son livre, elle égratigne également, sans le nommer, Matthieu Valet, ex-représentant du Syndicat indépendant des commissaires de police, désormais eurodéputé du RN après les élections européennes de juin 2024. Elle critique ceux qui ont permis à Valet de s’exprimer librement sur divers plateaux, condamnant « la criminalité, l’inefficacité de la justice ou l’immigration croissante », tout en dépassant ses attributions électives. Camille Chaize reproche aux responsables de ne pas avoir restreint les interventions de ce syndicaliste.
« Certains jugent nécessaire de radicaliser les débats pour influencer l’opinion publique et légitimer ces discours extrêmes. J’y perçois une manipulation politique flagrante et une instrumentalisation d’une profession, cherchant à générer des tensions au détriment de notre cohésion nationale », ajoute-t-elle. Contacté par 42mag.fr, Matthieu Valet s’est abstenu de répondre.
Rompre la « neutralité sacrée » face à l’ascension de l’extrême droite
Dans les derniers chapitres, elle aborde la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron en juin, après que le RN a remporté les élections européennes. Chaize décrit cette situation comme un moment critique, évoquant un « sentiment d’échec personnel » et un « climat imprégné des idéologies extrémistes insinuées dans les échanges publics ».
Elle se préoccupe de l’impact direct qu’un gouvernement RN pourrait avoir sur le ministère de l’Intérieur, prévoyant peu de résistance parmi les forces de l’ordre, et se dit sceptique quant à la réaction de Beauvau, où seulement quelques hauts fonctionnaires envisageraient de démissionner.
Malgré ces contextes, elle continue de jouer son rôle de porte-parole, rédigeant même une publication sur l’importance de la neutralité des services publics. Mais elle reconnaît ne pas pouvoir continuer dans cette voie, « incapable de rester indifférente face à la montée des extrémismes. »
« Je ne pourrai jamais être neutre envers les extrêmes. La conviction profonde que défendre les valeurs républicaines doit primer sur une neutralité sans engagement m’envahit. »
Camille Chaizedans son livre « Porte-parole »
Après plusieurs jours de réflexion dans ce contexte de « tourmente politique », elle décide qu’elle quittera ses fonctions si un gouvernement totalement incompatible avec ses valeurs est élu. Bien que les législatives anticipées ne la poussent pas à quitter ses fonctions, elle écrit : « Je ressens une rupture profonde en moi. »
« Certains n’accepteront peut-être pas cette transparence », note Camille Chaize. Pourtant, elle affirme que son rôle n’est pas de rester passive mais d’agir pour la transformation de son institution par un discours direct et honnête.