Le ministre de l’Intérieur a adressé de nouvelles directives aux préfets, à mettre en œuvre dès vendredi, modifiant ainsi les dispositions de la circulaire Valls qui était en application depuis 2012. Ce texte révisé impose des règles plus strictes pour la régularisation des étrangers vivant illégalement dans le pays.
« Les citoyens français attendent de nous des actions pour réduire l’immigration. Et j’assume pleinement cette demande ». Bruno Retailleau a exposé aux médias sa circulaire concernant la régularisation des étrangers sans papiers, ce vendredi 24 janvier, lors d’une visite à Versailles (Yvelines). Après avoir visité la Direction des migrations du département, le ministre de l’Intérieur a dévoilé les détails de ce document de trois pages. « Il n’existe pas de droit automatique et universel à la régularisation », a affirmé le locataire de Beauvau.
Défenseur d’une ligne stricte sur l’immigration, le membre des Républicains a revisité la circulaire Valls, en vigueur depuis novembre 2012, pour instaurer des régularisations au cas par cas, comme il le prône publiquement depuis sa nomination à Beauvau. Franceinfo fait le bilan de ce texte, ses enjeux et les critiques qu’il suscite déjà.
1 Quels sont les points clés de la circulaire de Bruno Retailleau ?
Adoptée jeudi à l’intention des préfets et entrée en vigueur dès vendredi, cette circulaire ne modifie pas les dispositions législatives concernant la régularisation des étrangers en situation irrégulière. Elle invite cependant les préfets à renforcer les critères de régularisation. « La procédure d’admission exceptionnelle au séjour ne doit pas être envisagée comme une voie normale d’immigration et de séjour. », rappelle le texte. « Il est impératif de relever le niveau d’exigence en matière d’intégration des étrangers dans notre société, notamment en veillant à leur engagement à respecter les principes de la République », précise-t-il.
Bruno Retailleau souligne qu’« une présence sur le territoire d’au moins sept ans est un indicateur pertinent d’intégration ». Par ailleurs, une régularisation est envisageable uniquement « en l’absence de toute menace à l’ordre public », selon la circulaire. Le ministre de l’Intérieur veut également que chaque refus de régularisation soit suivi d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
« Il n’existe pas de droit à la régularisation », a affirmé Bruno Retailleau sur les ondes d’Europe 1 et CNews ce vendredi. « J’ai expliqué [aux préfets] qu’il n’y avait pas de droit automatique, ni général, ni opposable à la régularisation. » Le ministre de l’Intérieur considère que l’objectif de cette circulaire est de « réduire l’immigration » et d’éviter « une régularisation massive ». « Pour réduire cette immigration, notamment clandestine, il est essentiel de ne pas régulariser de manière excessive, car nous récompenserions ainsi l’irrégularité et ceux qui trichent », a-t-il ajouté.
La circulaire ordonne aux préfets d’appliquer, avec une grande rigueur, les critères légaux en matière de régularisation pour travail. Bruno Retailleau leur demande de vérifier que l’emploi est bien réel et qu’il correspond à la liste des métiers en tension. La loi de 2023 permet en effet d’accorder un titre de séjour à des travailleurs irréguliers occupant un métier en tension pendant au moins douze mois. Cette liste doit être mise à jour d’ici fin février, d’après le ministère du Travail.
2 En quoi cela diffère-t-il de la circulaire Valls ?
La circulaire Valls a été émise en novembre 2012 par Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur sous le mandat de François Hollande. Elle visait à promouvoir une politique d’immigration « réaliste et équilibrée » en demandant aux préfets de « considérer les réalités humaines avec justesse ».
Cette circulaire prévoyait de régulariser les sans-papiers dans certaines situations, notamment les parents d’enfants scolarisés depuis au moins trois ans et pouvant prouver une installation stable en France, les jeunes majeurs devenus irréguliers à leurs 18 ans après avoir été scolarisés en France auparavant, ainsi que les victimes de violences conjugales ou de traite des êtres humains.
Elle soulignait aussi le rôle clé de l’emploi dans la décision des préfets. « Vous pourrez prendre en compte une présence de trois ans en France dès lors que l’intéressé pourra prouver une activité professionnelle de vingt-quatre mois, dont huit mois, consécutifs ou non, durant les douze derniers mois », indiquait Manuel Valls aux préfets dans ce texte de 12 pages.
3 Comment les partis politiques et les associations ont-ils réagi ?
Sans surprise, les partis de gauche ont vivement critiqué cette nouvelle circulaire, qualifiée de « pourrie » par le député La France insoumise Antoine Léaument. « En clair : exploiter l’humain discrètement mais le rejeter publiquement. C’est une hypocrisie honteuse envers des travailleurs essentiels et les familles vivant ici », a réagi l’écologiste Marie-Charlotte Garin. Les membres du Rassemblement national, eux, ont été plus discrets sur ces recommandations qui reprennent certaines de leurs positions sur l’immigration.
Comme souvent sur les questions d’immigration, le camp présidentiel montre des divisions, certaines voix critiquant cette circulaire. « On est dans la caricature. On joue sur une vague anti-immigration généralisée », a regretté sur TF1 Roland Lescure, député macroniste et vice-président de l’Assemblée nationale. « Il est nécessaire d’être ferme sur l’immigration illégale, (…) mais attention à ceux qui sont intégrés, qui travaillent depuis cinq ans, surtout dans des métiers en tension », a-t-il déclaré, avant d’ajouter qu’« il faut être humain et pragmatique », en raison d’un « besoin de main-d’œuvre » dans certains secteurs.
Le député Sacha Houlié, ancien macroniste, a dénoncé sur X ce qu’il qualifie de « populisme grossier » de la part du ministre de l’Intérieur.
« C’est une erreur morale, car cela pénalise les étrangers qui s’intègrent par leur travail. C’est un non-sens économique, étant donné que nos entreprises et nos services publics dépendent de ces travailleurs. »
Sacha Houliésur X
Y a-t-il une inquiétude parmi les secteurs économiques face à l’application de cette nouvelle circulaire ? Sur 42mag.fr ce vendredi, le président de l’Union des métiers de l’hôtellerie-restauration (Umih) en Ile-de-France, Franck Delvau, a averti que si les préfets suivent à la lettre les nouveaux critères « cela posera problème ». D’après l’Insee, un cuisinier sur deux en Ile-de-France serait d’origine immigrée. Le responsable de l’Umih Ile-de-France note également que ces travailleurs sont intégrés dans « la vie de l’entreprise ainsi que dans la vie économique et sociale de » [leur] « localité » sans aucun souci.
Sur le plan associatif, ce document a aussi soulevé des critiques sévères. Les instructions de Bruno Retailleau sont vues comme un facteur aggravant de la précarité pour bon nombre de personnes, ce qui inquiète un nombre croissant de Français, selon la Fédération des acteurs de la solidarité, qui plaide pour « le retrait de la circulaire, une consultation des préfets avec les partenaires sociaux et les associations basées sur les réalités locales, et l’arrêt des OQTF arbitraires ».
4 Quel est l’impact juridique potentiel de cette circulaire ?
Quels sont les changements concrets apportés par ce texte qui n’altère pas les critères légaux de régularisation ? « Il ne faut pas surestimer la portée juridique » de cette circulaire, explique à l’AFP Gwénaële Calvès, professeure de droit public à l’Université de Cergy-Pontoise. « La régularisation exceptionnelle relève du pouvoir discrétionnaire des préfets, cette circulaire n’impacte pas d’autres procédures de régularisation prévues par la loi. Une circulaire ne peut évidemment pas modifier une législation », commente-t-elle.
« Le préfet garde une marge discrétionnaire bien que son pouvoir soit encadré par cette circulaire », précise Gwénaële Calvès. Ce document « pousse à plus de rigueur, mais le seuil de sept ans de séjour pour régularisation exceptionnelle peut être abaissé si d’autres éléments du dossier le justifient », détaille-t-elle.
Fin octobre, Bruno Retailleau avait déjà envoyé une circulaire aux préfets sur ce thème, leur demandant « des résultats » pour « reprendre le contrôle de notre immigration », un de ses axes prioritaires depuis sa nomination au ministère de l’Intérieur en septembre.