Volkswagen avait initialement envisagé de fermer trois de ses usines. Finalement, l’entreprise a choisi de céder en 2027 l’usine installée dans cette ville du nord du pays. Cette décision accorde un répit, mais elle ne dissipe pas complètement les inquiétudes parmi certains employés.
« Pas le temps, peu à partager. » Les yeux marqués par la fatigue, les travailleurs de l’usine Volkswagen à Osnabrück, en Allemagne, se dirigent à grands pas vers le parking. Il est maintenant 14 heures et l’équipe du matin est remplacée par celle de l’après-midi. « Je n’ai pas vraiment suivi ce qui se disait, » lance l’un d’eux avant de poursuivre son chemin sous le froid soleil de janvier.
L’employé se réfère aux difficiles discussions de l’automne dernier entre le constructeur automobile et les représentants du personnel. Volkswagen a créé une onde de choc en septembre dernier en présentant un plan de restructuration de grande ampleur pour diminuer ses coûts de production et améliorer sa compétitivité. Alors que l’entreprise envisageait initialement de fermer trois de ses usines en Allemagne, elle a revu sa décision à la fin décembre, sous la pression syndicale. Seule l’usine de Dresde, située dans l’est du pays, cessera ses activités en 2025. Le site d’Osnabrück, employant 2 300 personnes, sera quant à lui cédé à un acquéreur d’ici 2027.
« Je vais devoir explorer d’autres opportunités »
« Certains parlent d’un intérêt de la Chine, cela m’inquiète profondément, » confie Matias, 58 ans, en quittant les lieux. Pourquoi donc la direction a-t-elle penché pour cette option ? Actuellement, l’usine fabrique trois modèles de voitures : les Porsche Cayman et Boxster ainsi que la Volkswagen T-Roc Cabriolet. Le dernier modèle, emblématique de la ville, demeure « assez singulier, il ne trouve pas preneur facilement », explique Jürgen Placke, le chef du comité d’entreprise d’Osnabrück. D’après le rapport annuel du groupe, en 2023, les deux autres modèles ont également figuré en bas de classement des ventes de Porsche. Le constructeur prévoyait au départ de produire un nouveau modèle électrique sur ce site, projet qu’il a finalement abandonné.
Volkswagen prévoit aussi de réduire ses effectifs de 35 000 employés à l’échelle nationale d’ici 2030, par le biais de départs en retraite non-remplacés. Ces annonces coïncident avec les préparatifs des élections législatives qui se dérouleront le dimanche 23 février. « Les craintes sur l’avenir reviennent souvent dans les conversations avec les locaux, car l’entreprise a une implantation forte ici, » souligne Dirk Koehntopp, le chef du Parti social-démocrate (SPD) à Osnabrück.
Il y a quinze ans, lorsque Volkswagen a racheté Karmann, un constructeur automobile en faillite, dans un contexte difficile, le groupe était perçu comme un sauveur. En poste depuis près de trois décennies, Jürgen Placke explique : « Avant, nous fabriquions des voitures pour divers constructeurs. Peut-être est-ce une voie d’avenir », propose-t-il pour l’établissement. Bien que des plans soient envisagés, le responsable admet que « le climat est tendu, l’inquiétude est palpable. Dans deux ans, que deviendrons-nous ? »
« On attend de nouvelles idées pour l’avenir. Et surtout, nous espérons pouvoir en faire partie. »
Jürgen Placke, chef du comité d’entreprise de Volkswagen à Osnabrückà 42mag.fr
Il n’est pas certain que l’usine continue de produire des voitures au-delà de 2027. « Les employés s’inquiètent, car leur expertise est spécifique. S’il n’y a plus d’industrie automobile ici, ils devront se former à d’autres métiers », souligne Dirk Koehntopp. Kai, qui intervient dans le contrôle de montage, partage son ressenti : « Ce n’est vraiment pas un bon moment, on se sent impuissants. » S’il doit chercher ailleurs, grogne ce quinquagénaire habillé d’une veste bleu électrique estampillée « VW ».« Je vais peut-être devoir faire mes valises. C’est loin d’être simple, » poursuit-il.
Une région fortement dépendante de l’industrie automobile
Le puissant syndicat IG Metall refuse catégoriquement la moindre perte d’emploi. Dans l’usine située au nord du pays, « un certain nombre d’employés à chaque poste est nécessaire, sinon cela ne fonctionne pas, » précise Stephan Soldanski, représentant syndical dans la région pour divers secteurs, incluant l’automobile. « Les départs doivent être comblés, » ajoute-t-il, en exprimant des incertitudes sur l’application de cette règle à Osnabrück. Volkswagen, sollicité par 42mag.fr, n’a pas donné suite.
« Nous ferons tout pour qu’Osnabrück reste un acteur clé dans l’industrie automobile. »
Stephan Soldanski, représentant de IG Metall à Osnabrückà 42mag.fr
« C’est vraiment dommage, car VW est un véritable symbole ici », commente un jeune employé. Tout un tissu économique repose sur Volkswagen. De nombreux prestataires de services, fournisseurs et sociétés de logistique en dépendent directement ou indirectement. Dans une ville de près de 300 000 habitants, « Volkswagen est le plus grand employeur, mais on compte un bon nombre d’entreprises affiliées, » précise Dirk Koehntopp.
Matias, l’un des 500 employés travaillant dans la logistique, envisage déjà de rejoindre un autre site. « Le problème, c’est que je devrai probablement déménager plus loin, peut-être à Wolfsburg (le siège social de Volkswagen). Moi, ma vie est ici, » partage-t-il.

Le quartier périphérique autour de l’usine accueille plusieurs commerces en lien avec Volkswagen. Jorg Dilge, ex-employé de Karmann, a établi sa boutique de réparations en face du complexe. Lors de notre visite, son garage est rempli de cabriolets : « Mes principaux clients sont des particuliers. Mais le groupe nous sollicite pour restaurer certaines voitures exposées au public, et cela risque de réduire notre charge de travail, » admet-il.
Un électorat captif du SPD
Face à ces incertitudes, les formations politiques perçoivent l’importance du secteur automobile dans la captation électorale. Dans la zone industrielle de la ville, les lampadaires arborent des affiches de campagnes. Si l’Union chrétienne-démocrate (CDU) domine les enquêtes nationales, la Basse-Saxe reste un bastion social-démocrate, notamment à Osnabrück. De là nous vient Boris Pistorius, l’actuel et très populaire ministre de la Défense.
Le Land détenant 10% des parts dans Volkswagen, les difficultés actuelles de l’entreprise peuvent-elles nuire aux sociaux-démocrates dirigés par Olaf Scholz, le chancelier actuel ? Stephan Weil, le président du Land, a dû faire face aux critiques de la CDU au parlement régional. Bien que demandée, la CDU locale n’a pas réagi. « Une grande frustration est dirigée contre les cadres de VW, accusés de ne pas avoir bien manœuvré la transition vers l’électrique », analyse Dirk Koehntopp.

Quant à l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), deuxième dans les sondages, « elle est peu populaire ici et ne semble pas capter notre électorat », se rassure le représentant local du SPD. « L’AfD concentre son discours sur l’opposition à l’immigration », ajoute-t-il.
À l’aube des élections, ce membre du SPD demeure confiant. « Nous avons apporté notre soutien aux travailleurs qui ont protesté en novembre, et entretenons un dialogue soutenu avec IG Metall », explique-t-il, évoquant les liens anciens entre les sociaux-démocrates et le syndicat. Fin janvier, IG Metall a réuni les responsables de la CDU, du SPD, des Verts et de Die Linke. Mais le syndicat assure qu’il ne formulera « aucune consigne de vote à ses adhérents ».
Ce reportage a été produit avec le soutien d’Opale von Kayser, journaliste en Allemagne, pour la préparation et la traduction.