Au cours de la troisième semaine des audiences, la première personne ayant subi des abus de l’ancien médecin a témoigné, évoquant les années de viols et d’agressions sexuelles qu’elle a endurées, le tout dans un climat de silence imposé par sa famille.
« Mon attirance pour les jeunes enfants a commencé avec ma nièce, cela devait être en 1985 ou 1986. Elle était très affectueuse, elle venait souvent sur mes genoux. À ce moment-là, mes relations avec mon épouse n’étaient plus au beau fixe. J’ai détourné mes pulsions sexuelles vers cette fillette. » Avec ces paroles, Joël Le Scouarnec a tenté d’expliquer son entrée dans la pédocriminalité lors d’un interrogatoire. « Elle a été le déclencheur », a précisé l’ancien chirurgien. Aujourd’hui, cette enfant, appelée Alexandra, est âgée de 47 ans. « Ce n’est pas simple de se retrouver en première position sur une telle liste », confie-t-elle, émue, devant la cour criminelle du Morbihan, ce lundi 10 mars.
D’une voix douce et posée, cette mère de famille rousse aux cheveux noués revient sur les abus sexuels et viols qu’elle a endurés durant son enfance aux mains de son oncle. Alexandra est la fille de la sœur de Marie-France, l’ancienne épouse de Joël Le Scouarnec qui a maintenant 74 ans. Les premiers abus dont elle garde le souvenir remontent à ses 5 ans, soit, selon elle, « vers 1982-1983 ». Cela précède de quelques années les dates mentionnées par Le Scouarnec lors des interviews avec les enquêteurs. Elle se souvient d’une photo d’elle en robe légère, portée avec « un maillot de bain tout neuf de couleur bleue » en dessous.
« Dans mes premiers souvenirs, il me demandait de soulever ma robe pour montrer mon maillot de bain. Et les choses sont allées de plus en plus loin. »
Alexandra, nièce de Joël Le Scouarnecdevant la cour criminelle du Morbihan
Derrière ses grandes lunettes, ses yeux brillent de larmes lorsqu’Alexandra s’arrête un moment et décrit « l’insertion de son doigt dans mon sexe. Ensuite, il y a eu des cunnilingus, des caresses très insistantes ». Elle avait « 7 ou 8 ans » lors des premières pénétrations imposées par son oncle. Les viols se déroulaient lors de chaque visite familiale, pendant les leçons de piano que lui donnait Joël Le Scouarnec, ou même lors d’un jeu de cache-cache lors de sa communion.
Cependant, la majorité des agressions survenaient la nuit. « J’avais pris l’habitude de porter la chemise de nuit la plus longue possible pour tenter de le repousser. Mais cela n’a jamais fonctionné », raconte-t-elle. Son oncle est même allé jusqu’à lui « couvrir la bouche » pour qu’elle ne fasse pas de bruit après l’avoir agressée alors qu’elle partageait sa chambre avec ses parents. Alexandra se demande aujourd’hui si son père n’a pas été drogué par l’ancien chirurgien, car il n’a pas réagi alors qu’il « avait le sommeil très léger ».
Des complications de santé et des difficultés scolaires
Devant son agresseur qui la fixe attentivement depuis son box, Alexandra assure qu’il ne l’a jamais menacée pour qu’elle garde le silence. Cependant, « l’emprise qu’il avait sur toute la famille » rendait impossible toute parole de sa part. Cet homme au parcours impressionnant était l’objet de tous les respects des grands-parents paternels et maternels, issus d’un milieu modeste, et on sollicitait toujours « son avis », surtout en matière de santé, notamment concernant le petit frère d’Alexandra atteint d’une maladie héréditaire.
« J’avais l’impression d’être emprisonnée dans une toile d’araignée, enveloppée dans le silence pendant les abus et les viols. Il me disait que ce qu’il faisait n’était pas mal, que c’était notre secret. »
Alexandra, nièce de Joël Le Scouarnecdevant la cour criminelle du Morbihan
Son oncle la suivait même jusqu’aux toilettes, au point qu’Alexandra se retenait souvent de faire pipi, développant dès lors de fréquentes infections urinaires qui finirent par « abîmer un de ses reins ». Sa voix s’étrangle lorsqu’elle parle de l’examen urinaire qui s’en est suivi. Il a fallu cinq membres du personnel médical pour la maintenir. « Je hurlais, je pense que j’étais près de la crise d’hystérie », ajoute-t-elle, tandis que les larmes lui remontent aux yeux. Échec scolaire et redoublements se sont ainsi enchaînés avant qu’elle ne reprenne ses études pour devenir infirmière. « Je pense que je n’étais pas idiote : j’étais simplement perturbée par ce que je vivais », précise-t-elle.
Une victime dont les droits sont aujourd’hui dépassés
Alexandra se met à distance de son oncle à l’adolescence, à l’âge de 12 ou 13 ans. Ce n’est que dix ans plus tard, « en 2002-2003 », au moment où sa mère se brouille définitivement avec sa sœur Marie-France, qu’elle lui confie son calvaire.
« Votre mère ne vous a-t-elle pas dit que vous pouviez porter plainte ? »
Aude Buresi, présidente de la cour criminelle du Morbihanlors de l’audition d’Alexandra
Avec un simple « Non », Alexandra – car sa mère avait elle-même été abusée par son propre oncle – répond à cette question. Peu de temps après cette confession, Alexandra contacte le 119, service dédié à la protection des enfants en danger. Elle fournit le nom de son oncle, ainsi que « sa profession, le lieu où il travaille, où il habite », relate-t-elle. Mais aucune action n’est entreprise. Elle décrit les agressions sexuelles par « honte » d’utiliser le terme de viol et peut-être parce qu’elle ne réalise pas pleinement que c’est le mot exact. Son interlocutrice téléphonique ne creuse pas plus et lui confirme que les faits sont prescrits. Or, ils pouvaient encore être poursuivis. Quand Joël Le Scouarnec est finalement arrêté en mai 2017, les enquêteurs lui annoncent qu’elle a maintenant « le statut de victime pour faits prescrits ».
Face à tant d’années perdues dans un climat de silence familial, la colère d’Alexandra est perceptible. Mais lorsqu’elle s’adresse à Joël Le Scouarnec, elle n’est plus l’enfant terrifiée. Elle tient à le regarder droit dans les yeux et exige de lui « de vrais aveux avec LA vérité, pas SA vérité », particulièrement en ce qui concerne son ancienne épouse Marie-France, réclamant qu’il admette « sa complicité incontestable ». Sur ce sujet, Joël Le Scouarnec reste silencieux, bien qu’il offre ses excuses à sa nièce ainsi qu’à toutes les autres victimes: « Tout ce qu’a déclaré Alexandra concernant les agressions que j’ai commises, les attouchements, les viols, je l’ai vraiment fait, et cela pendant tant d’années », admet-il finalement, debout dans son box. Alexandra le fixe un moment avant de tourner les yeux.







