Damien Brunet, un juge expert en matière de lutte contre le crime organisé, examine plusieurs aspects du projet de loi qui sera prochainement débattu à l’Assemblée nationale.
« Il y a déjà en place des mesures qui empiètent fortement sur la vie privée. Que l’on souhaite aller plus loin est compréhensible, mais il est essentiel de s’assurer de l’existence de garde-fous« , déclare Damien Brunet, magistrat spécialisé dans la lutte contre les organisations criminelles au parquet de Paris, lors d’une discussion le lundi 17 mars concernant la proposition de loi sur la lutte contre le trafic de stupéfiants qui est en cours d’examen à l’Assemblée nationale.
« Nous traversons actuellement une période historique sur le plan politique et juridique. En France, on peut dire que nous n’avons eu qu’une grande législation dédiée à la lutte contre le crime organisé jusqu’à présent, celle de la loi Perben II de 2004, rappelle-t-il. Et puisque ces réformes se présentent environ tous les 20 ans, il est crucial de réaffirmer notre engagement à combattre ces réseaux criminels. Inclure un impératif de renseignement pourrait risquer de brouiller la compréhension du texte. »
Activation distante de téléphones et création d’un fichier spécial…
Bien que certaines dispositions de la proposition de loi aient été rejetées en commission, elles pourraient être réintroduites sous forme d’amendements. Parmi celles-ci, il y a l’autorisation d’activer à distance les téléphones portables et autres appareils électroniques afin d’écouter ou filmer à l’insu des individus surveillés, une pratique déjà utilisée dans les affaires liées au terrorisme. « Nous observons ici un exemple classique d’évolution des technologies employées par les criminels, ce qui appelle des moyens adaptés pour contrer l’exploitation de ces techniques« , explique Damien Brunet. « Toutefois, il convient de noter que nous disposons déjà de dispositifs particulièrement robustes« , ajoute-t-il.
Un autre point de discussion tourne autour de la création d’un « fichier-coffre » par les forces de l’ordre. Ce fichier pourrait restreindre l’accès des avocats aux informations les plus confidentielles de l’enquête, empêchant ainsi les trafiquants de découvrir comment ils ont été surveillés (que ce soit par saisie de données, écoute téléphonique, infiltration informatique, utilisation de micros espions ou géolocalisation…). « Ce dispositif est déjà en usage pour les témoins protégés par l’anonymat« , note le magistrat qui craint que l’application généralisée de cette mesure pourrait affaiblir certaines preuves.
Le juge met également en lumière « une incohérence juridique« , soulignant que « certaines techniques n’entrent pas dans le cadre du fichier-coffre, notamment l’infiltration et la repentance« . « Pourtant, ce sont ces approches qui posent le plus grand risque aux personnes impliquées, que ce soit l’agent infiltré ou l’ex-criminel repenti. L’idée qu’elles ne soient pas incluses dans le fichier soulève des questions« , poursuit-il. « Ce dispositif qui suscite de nombreuses réactions pourrait finalement être abandonné« , conclut-il.