Marine Le Pen a été condamnée à une interdiction d’exercer une fonction publique pendant cinq ans en raison de l’usage impropre de fonds publics, reflétant une tendance croissante en France vers l’augmentation significative de ce genre de pénalités.
Marine Le Pen et la question des peines d’inéligibilité
Marine Le Pen ne fait pas figure d’exception dans le contexte judiciaire actuel. Suite à sa condamnation expéditive entraînant cinq ans d’inéligibilité, la dirigeante des députés du Rassemblement national (RN) a contesté ce qu’elle considère comme une « décision politique », et envisage de faire appel. Cependant, la décision prise par le tribunal correctionnel de Paris le 31 mars s’insère dans une tendance croissante. Longtemps réservés à l’idée de prononcer des peines d’inéligibilité, les juges y ont recours de plus en plus fréquemment. Cette évolution est illustrée par les données du service statistique du ministère de la Justice (SSER). Par ailleurs, ces sanctions peuvent viser aussi bien des élus en poste que des personnalités politiques.
Une augmentation exponentielle des peines
L’analyse des sanctions d’inéligibilité émises chaque année montre une hausse impressionnante, multipliée par plus de 50 entre 2016 et 2022. « Les statistiques démontrent que la condamnation de Marine Le Pen n’a rien d’anormal. En 2016, on recensait 171 condamnations, contre 9 125 en 2022 », souligne Kévin Gernier, juriste chez Transparency International France, l’ONG qui a partagé ces chiffres auprès du public.
Cette transformation n’étonne guère Alexis Bavitot, maître de conférences à l’université Lyon 3, spécialiste de la probité publique en droit pénal. Il rappelle que depuis 2010, le paysage des peines d’inéligibilité a été considérablement modifié. « Avant 2010, l’inéligibilité était automatique pour ceux condamnés pour corruption, avec une durée fixe de cinq ans », détaille-t-il. Mais depuis que le Conseil constitutionnel a jugé en 2010 que l’automaticité de cette peine allait à l’encontre de l’individualisation des peines, l’inéligibilité est devenue une sanction complémentaire et discrétionnaire, initialement peu appliquée.
Les réformes législatives et leurs impacts
Le cadre législatif a progressivement contribué à réduire cette réticence judiciaire. « Les lois du 11 octobre 2013, dites Cahuzac, ont prolongé la durée maximale d’inéligibilité à dix ans pour les élus en fonction lors des faits et ont également institué le Parquet national financier », explique Alexis Bavitot. Ensuite, des législations additionnelles ont entraîné une augmentation significative des sanctions d’inéligibilité. « La loi Sapin 2 de 2016 a rendu cette peine obligatoire pour des infractions relatives à la probité. En réalité, cette obligation est assujettie à l’appréciation du juge, qui peut choisir de ne pas l’appliquer à condition de fournir une justification », précise le juriste. En 2017, la législation sur la confiance en la vie politique a élargi son application à d’autres infractions du droit pénal, notamment les agressions sexuelles et certains délits financiers, selon Alexis Bavitot, d’où cette hausse notable des chiffres.
Un verdict en phase avec l’évolution législative
La condamnation infligée à Marine Le Pen reflète cette évolution législative adoptée par le Parlement. Même si la loi Sapin 2 du 11 décembre 2016 n’était pas encore applicable au moment des faits reprochés à Marine Le Pen, terminés le 15 février 2016, le tribunal a jugé que « le prononcé d’une peine complémentaire d’inéligibilité », bien que « facultatif à l’époque des faits », était néanmoins « nécessaire ». Selon les juges, « une telle peine complémentaire répond efficacement à la double fonction punitive et préventive prévue par la loi ».