À l’approche de la présentation du nouveau budget, le Premier ministre et son équipe gouvernementale intensifient leurs discours concernant la santé économique de la France. Leur but est double : rallier l’opinion publique à leur cause et exercer une influence sur les partis d’opposition. Ces derniers critiquent vivement la politique du gouvernement et menacent de recourir à la censure.
C’est une démarche inédite pour le chef du gouvernement et une occasion de sensibiliser les citoyens aux futurs arbitrages financiers. François Bayrou a orchestré, le mardi 15 avril, un rassemblement sur l’état des finances publiques, réunissant entre autres ses ministres, des législateurs, des représentants de la Sécurité sociale et des syndicats. Malgré le ton sérieux de la rencontre, aucune annonce décisive concernant le budget 2026 n’a été formulée. Le Premier ministre a plutôt brossé un tableau sombre de la dette nationale, mentionnant « des moments cruciaux de vérité ».
À l’approche de l’examen de la nouvelle loi de finances, qui débutera dans cinq mois, le Premier ministre commence à préparer le terrain. Deux mois après avoir réussi le vote du budget précédent, il souhaite maximiser ses chances d’un nouveau succès, alors que l’opposition menace déjà d’une censure.
Dimanche dernier, le ministre de l’Économie a décrété l’alarme budgétaire, déclarant la France en « urgence budgétaire ». Il a souligné l’importance de stabiliser la dette et de réduire le déficit, annonçant, sur BFMTV, un effort supplémentaire de 40 milliards d’euros l’année prochaine, principalement par le biais de diminutions de dépenses. L’objectif : réduire le déficit de 5,4 % en 2025 à 4,6 % en 2026.
Un discours volontairement alarmant
Ce cap a été réitéré lors de cette réunion exceptionnelle, jugée nécessaire par Matignon face aux enjeux financiers actuels. « L’objectif est de rendre publique la situation budgétaire de notre pays. Le Premier ministre est décidé à intégrer le plus grand nombre possible grâce à un exercice de pédagogie. » Il a également proposé une méthode avec la formation de groupes de travail pour déterminer les économies à réaliser et un calendrier : « les grandes orientations » de la nouvelle loi budgétaire seront révélées avant le 14 juillet. « Nous avons pris la décision d’accélérer les choses, de devancer les échéances habituelles avec un programme plus ambitieux et rigoureux, » a-t-il affirmé.
Ces efforts et cette approche méthodique sont présentés comme des remèdes potentiels aux « défis budgétaires » de la France, décriés par François Bayrou dans un langage alarmiste. « C’est une démarche de clarté nécessaire pour persuader l’opinion publique et les responsables de la nécessité d’agir immédiatement pour restructurer nos finances publiques, » explique son entourage. Le Premier ministre souhaite ainsi conditionner les esprits aux prochaines réductions budgétaires.
« Nous voulons que tout le monde soit conscient de l’urgence de réduire le déficit, explique l’équipe d’Eric Lombard. Des décisions difficiles seront nécessaires, mais il est essentiel que chacun comprenne pourquoi. » Pour accepter ces choix difficiles, il est crucial qu’ils soient compréhensibles, ajoute le cabinet d’Amélie de Montchalin, ministre déléguée aux Comptes publics. D’ici 2029, le gouvernement veut baisser les dépenses publiques de 6 %, précise-t-elle.
Une « stratégie de communication », selon la CGT
En s’adressant directement à la population, le gouvernement espère aussi influencer les oppositions, qui ont vivement réagi ces derniers jours. « Nos concitoyens ou les oppositions ne sont pas responsables de la dette française, » a déclaré sur X la cheffe du groupe RN à l’Assemblée nationale, Marine Le Pen, après que le gouvernement a présenté son plan. À gauche, Jean-Luc Mélenchon a fustigé sur X le traitement de la France « comme la Grèce en 2010, » qui avait subi un programme austéritaire.
Olivier Faure, dirigeant du Parti socialiste, a critiqué le manque de volonté du gouvernement d’envisager des hausses d’impôts pour les plus aisés. « Il serait possible d’économiser 80 milliards d’euros en revenant sur les avantages fiscaux depuis 2017, » a-t-il déclaré sur X. Sophie Binet, leader de la CGT, a pour sa part dénoncé ce qu’elle appelle une « campagne de communication » de François Bayrou, soulignant qu’il n’a apporté « aucune réponse » à ses « préoccupations et questions. »
« La volonté de participer à l’effort budgétaire ne fait pas l’unanimité parmi les parlementaires, » constate Mathieu Lefèvre, député du parti présidentiel Ensemble pour la République. « En impliquant l’opinion publique, François Bayrou cherche à responsabiliser les partis politiques. C’est un pari intéressant, car il établit une conscience collective de la contrainte, » ajoute-t-il.
Cette conférence marque la première étape dans l’élaboration du budget 2026. « Traditionnellement, les discussions budgétaires s’engagent plus tard, par le biais de lettres de cadrage envoyées aux ministères durant l’été, et un budget présenté en septembre. François Bayrou souhaite cette fois-ci prendre plus de temps pour explorer les sujets en profondeur, au-delà même des finances publiques, » précise-t-on dans son entourage. Le gouvernement espère intégrer dans ce budget à venir quelques réformes visant à « rationaliser les fonctions de l’État. »
Anticiper pour éviter la censure
« Les enjeux budgétaires sont cruciaux et il est sage de les aborder, mais quelle est l’utilité d’une telle réunion sans annonce ? » se questionne Simon-Pierre Sengayrac, économiste à la Fondation Jean-Jaurès. Selon lui, « les deux principaux secteurs de dépenses de l’État concernent les retraites et la santé : il y a des leviers à exploiter, mais ils pourraient s’avérer fortement injustes, » avertit-il. François Bayrou a écarté une hausse de la fiscalité, mais l’économiste avertit d’un retour possible vers une politique « austéritaire, » susceptible de déclencher une opposition farouche.
En avançant sur ce projet plus rapidement, le gouvernement cible les différents groupes d’opposition pour établir des accords. « Nous allons consulter toutes les forces politiques pour trouver un terrain d’entente, en respectant trois conditions clés : suivre la trajectoire de réduction du déficit, assurer le soutien du bloc central et garantir un soutien tacite ou l’absence de censure, notamment de la part du PS, » explique un membre de Bercy. Le gouvernement espère reproduire la méthode Bayrou utilisée pour faire valider le budget 2025 en début d’année, après l’échec de Michel Barnier. Pourtant, rien ne prouve que cette stratégie réussira à nouveau.
Le parti La France insoumise se déclare « prêt » à soumettre une nouvelle motion de censure « dans les jours à venir, » avertit son coordinateur, Manuel Bompard, sur BFMTV, à condition que « les députés de gauche la soutiennent. » Les socialistes n’avaient soutenu aucune des dernières initiatives de LFI contre le budget 2025 de François Bayrou ,déjà approuvé début février. « LFI joue une carte politique et ne semble pas favoriser la stabilité du gouvernement, » commente un conseiller ministériel.
Quant aux socialistes, ils attendent la fin du « conclave » sur les retraites avant de prendre position officiellement, se réservant jusqu’à fin mai. Toutefois, leur congrès de mi-juin pourrait influencer leur stratégie gouvernementale. L’éventualité d’une censure pourrait être repoussée à l’automne lors des discussions sur le budget, laissant ainsi un certain répit à François Bayrou pour peaufiner son plan. D’ici là, Emmanuel Macron pourrait envisager une dissolution de l’Assemblée nationale, un levier supplémentaire que l’exécutif pourrait employer en prévision de la présentation du budget en automne.







