Le nouveau chancelier conservateur d’Allemagne envisage d’adopter une approche opposée à celle d’Olaf Scholz, son prédécesseur social-démocrate, en matière de politique internationale. Cela réjouit Paris, bien qu’il reste des désaccords sur certains sujets.
Un premier déplacement officiel à Paris, signe d’une nouvelle dynamique ? Le conservateur Friedrich Merz, qui doit être désigné chancelier allemand par le Bundestag le mardi 6 mai, se rendra à Paris dès le lendemain pour rencontrer Emmanuel Macron. Ce Rhénan de 69 ans, qui a remporté les élections fédérales du 23 février dernier, souhaite revitaliser le partenariat franco-allemand. Il est vrai que le moteur européen a été éprouvé sous la direction du social-démocrate Olaf Scholz, avec un mandat perturbé par la guerre en Ukraine et ses conséquences. Plusieurs décisions, comme celle d’un plan énergétique de 200 milliards d’euros adopté sans consulter les partenaires européens, ont fini par engendrer l’incompréhension des deux côtés du Rhin.
Le nouveau dirigeant allemand a promis de prendre le contrepied de son prédécesseur. « Friedrich Merz est profondément européen, partisan convaincu de l’intégration européenne, ayant débuté sa carrière au Parlement de Strasbourg et souhaitant faire de la politique étrangère une de ses priorités », affirme Jacob Ross, chercheur au Conseil allemand des relations internationales. Avec une orientation pro-européenne affirmée, le nouveau chancelier poursuivra ses rencontres par une visite en Pologne après son séjour à Paris.
Cultuellement, Friedrich Merz se voit comme un héritier de l’amitié franco-allemande. Il n’hésite pas à « rappeler son attachement à la France, ses vacances passées dans l’Hexagone durant sa jeunesse et son expérience d’échange scolaire en Auvergne », souligne Marie Krpata, chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa).
Un consensus croissant entre Berlin et Paris
Il n’est donc pas surprenant que, depuis février, les échanges se soient intensifiés entre la diplomatie française et le camp conservateur allemand. Friedrich Merz avait déjà rencontré Emmanuel Macron lors d’une visite à Paris, trois jours après son succès électoral. « [Le chancelier] et son équipe ont une affinité franco-allemande. Cela ne signifie pas que nous sommes d’accord sur tout, mais il y a une volonté de avancer ensemble », a confié au média Politico le ministre des Affaires européennes, Benjamin Haddad. Ce rapprochement est facilité par un consensus croissant, notamment dans le domaine de la défense, entre Paris et Berlin, qui ne se sont jamais autant accordés ces dernières années.
Cette unanimité ne vient pas de nulle part. Elle est en grande partie due au retour de Donald Trump aux États-Unis, qui a ébranlé l’Allemagne, traditionnellement alignée sur Washington depuis 1945. Friedrich Merz, autrefois ardent défenseur de l’alliance transatlantique, a dû modifier sa position.
« Le soir de son élection, il a quand même déclaré qu’il fallait viser l’indépendance des États-Unis à moyen terme, ce qui a beaucoup choqué en Allemagne. »
Jacob Ross, chercheur au Conseil allemand des relations internationalesà 42mag.fr
Les critiques du vice-président américain J.D. Vance envers les Européens lors d’une conférence à Munich en février, ainsi que les tentatives d’ingérence en faveur de l’AFD, le parti d’extrême droite allemand, par Elon Musk pendant la campagne allemande, ont enfoncé le clou. L’Allemagne a changé de cap. « Nous avons compris que nous ne pouvons plus garantir que la relation transatlantique se déroule dans un cadre de liberté et de règles établies », a déclaré Friedrich Merz lors d’une conférence de presse après la nomination de plusieurs ministres, le 28 avril, rapportait le Guardian.
Pour compenser le désengagement américain, le gouvernement allemand adhère aux idées soutenues en France. « L’Europe doit se rendre indépendante des États-Unis », a réaffirmé le dirigeant allemand en février, affirmant ne « jamais avoir pensé dire cela », rapportait le Brussels Times. Une musique douce aux oreilles du président français, qui prône l’« autonomie stratégique » de l’Europe depuis son discours de la Sorbonne en 2017. « C’est une rupture étonnante, tant la CDU était ancrée dans l’idée d’alliance avec les États-Unis. On constate une prise de conscience de la dégradation des relations transatlantiques », observe Marie Krpata.
Un changement de doctrine économique
Les approches françaises et allemandes convergent sur plusieurs autres thèmes : notamment la guerre en Ukraine, mais aussi la défense de manière plus générale. Friedrich Merz a ainsi nommé Johann Wadephul, un fervent partisan de Kiev, au poste de ministre des Affaires étrangères. L’accord de coalition prévoit un « soutien total » à l’Ukraine tant sur le plan militaire que diplomatique, et le nouveau chancelier a affirmé que l’invasion de Vladimir Poutine « portait atteinte à l’ordre politique du continent européen dans son ensemble », selon l’AFP.
Les Français voient d’un bon œil le plan d’investissements massif de 500 milliards d’euros adopté en mars par le Parlement allemand, destiné à renforcer la défense, les infrastructures et la transition écologique. L’Allemagne, autrefois si conservatrice financièrement, ne l’est plus autant. Elle a « réalisé » qu’elle devait en faire davantage, souligne Marie Krpata : « C’est exceptionnel, d’autant que le Parlement a assoupli les contraintes d’endettement, sujet de débat récurrent sous le mandat d’Olaf Scholz. »
Ce changement de cap économique, alors même que Friedrich Merz avait fait campagne sur la rigueur budgétaire, se mène tambour battant. Le modèle allemand, basé sur l’exportation, le libre-échange et une énergie russe bon marché, montre ses limites. En 2024, le pays a connu sa deuxième année consécutive de récession. « Il faut combler les faiblesses de l’Allemagne et améliorer sa compétitivité », explique Marie Krpata, qui estime que ce plan d’investissement pourrait « profiter aux pays européens » si les achats bénéficient aux voisins.
Une coalition sous pression
Ces intentions louables pourraient être mises à l’épreuve par de nouveaux renversements internationaux ou économiques. La mise en œuvre du programme d’Olaf Scholz, initié sous le signe du « progrès » en 2021, a été freinée par la conjoncture mondiale et les divisions internes à sa coalition. « L’Allemagne est sous pression depuis 2022, ses fondements vacillent, et elle s’est concentrée sur elle-même, négligeant le dialogue avec les Vingt-Sept », souligne Marie Krpata.
Ce changement profond d’identité provoque également des tensions. La révision de la doctrine vis-à-vis des États-Unis a « créé un choc au sein de l’électorat conservateur », affirme Jacob Ross. « À Berlin, de nombreuses personnes dans l’administration, notamment au ministère de la Défense, ne sont pas très enthousiastes à l’idée de coopérer davantage avec les partenaires français et de rompre le lien avec Washington », poursuit le chercheur. Le nouveau chancelier devra donc « persuader » les Allemands réticents, alors que l’AFD a réalisé un score sans précédent aux législatives. Le nouveau dirigeant, dont la popularité est déjà au plus bas, devra faire montre « de leadership », prévient Jacob Ross. Une qualité qui a fait cruellement défaut à Olaf Scholz.
L’inconnue de l’après-Macron
Malgré les accords, d’autres sujets divisent encore Paris et Berlin. Les deux capitales sont en désaccord sur la signature d’un accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur. « Il est très compliqué de trouver un compromis sur ce sujet, qui soit ensuite défendable par le gouvernement en France », constate Jacob Ross. L’opposition à ce traité, rejeté presque unanimement par la classe politique française, avait provoqué de longues semaines de protestations d’agriculteurs en début d’année 2024. Les questions énergétiques pourraient aussi être sources de friction, alors que Paris et Berlin s’opposent depuis longtemps sur le rôle du nucléaire dans la transition énergétique.
La tâche ne sera pas forcément plus aisée côté français. Emmanuel Macron est politiquement isolé depuis la dissolution, bien qu’il ait regagné en popularité grâce à l’actualité internationale. En outre, le président ne restera en poste que jusqu’au printemps 2027. Rien ne garantit que son ou sa successeur(e) s’alignera avec les objectifs de Berlin. « La question de la prédictibilité de la France est posée à long terme », analyse Marie Krpata. Une situation prise au sérieux de l’autre côté du Rhin. « Je suis déterminé à tirer parti des deux années restantes du mandat du président Emmanuel Macron pour réaliser avec lui la vision d’une Europe souveraine », avait déclaré Friedrich Merz dans un discours en janvier, rappelait Euractiv.