Le mot « harcèlement » serait-il considéré comme un terme sensible, voire évité, au sein du Sénat ? Lorsqu’un sénateur se trouve accusé de telles pratiques, quelle est la réaction officielle de cette institution ? Plusieurs assistants ou collaborateurs ayant déclaré être victimes de harcèlement témoignent d’un sentiment d’abandon de la part de la Haute Assemblée, déplorant un manque de soutien ou de prise en charge de leur situation.
En 2023, un événement inédit, porteur d’espoir concernant la transformation d’une institution réputée peu encline au changement, a eu lieu : la sénatrice Esther Benbassa, alors membre d’Europe Écologie-Les Verts, a été reconnue coupable de harcèlement envers une collaboratrice par le comité de déontologie du Sénat. Cependant, cet espoir d’une évolution rapide s’est rapidement évanoui puisque la sénatrice a finalement été acquittée par les instances supérieures du Sénat. Cette affaire a suscité des interrogations parmi certains observateurs : le Sénat ne cherche-t-il pas à dissimuler les problèmes qui le dérangent ?
« De toute évidence, il existe une loi du silence au sein du Sénat. Pourquoi cela ? Parce que le Sénat ne vit pas isolé de la société. Il en fait partie et, en théorie, il en est la représentation. »
Éliane Assassi, ancienne présidente du groupe communiste au Sénat de 2012 à 2023,dans l’émission « Complément d’enquête »
En parallèle, les prud’hommes ont tranché sans hésitation : Esther Benbassa a été condamnée à verser 10 000 euros de dommages et intérêts. Elle a fait appel de cette décision, mais se trouve désormais confrontée à une nouvelle procédure judiciaire, initiée par une autre ancienne collaboratrice qui a elle aussi saisi les prud’hommes pour des faits similaires.
La rédaction de « Complément d’enquête » a obtenu l’enregistrement d’une conversation entre cette collaboratrice et Esther Benbassa. Lors de cet échange, la sénatrice lui demande de différer de plusieurs mois une opération chirurgicale, nécessaire à cause d’une récidive de pneumothorax. Tout au long de la discussion, son ton devient de plus en plus intimidant : elle déclare, par exemple, « Je peux encore aujourd’hui annuler votre contrat de CDI, puisque celui-ci expire ce soir », ou encore « Comme vous, il y en a des dizaines, des dizaines qui ne savent pas écrire une lettre et qui n’ont pas leur place au Sénat ! » Contactée pour commenter ces propos, Esther Benbassa a choisi de ne pas répondre aux questions de « Complément d’enquête ».
Un signalement adressé à Gérard Larcher resté lettre morte
Au même moment, les deux autres assistants de la sénatrice se sont eux aussi déclarés victimes de harcèlement de la part d’Esther Benbassa. Ensemble, ils ont alerté la présidente du groupe communiste au Sénat, auquel Mme Benbassa appartenait alors. D’après Éliane Assassi, ces collaborateurs lui ont montré des messages extrêmement préoccupants. Elle explique qu’ils portaient atteinte « à leur intégrité, leur dignité, leur orientation sexuelle, leur manière de s’habiller, etc. » et que ces témoignages l’avaient « profondément indignée ». Elle confie d’ailleurs avoir été bouleversée par la violence avec laquelle la sénatrice s’en prenait à ces jeunes personnes.
L’élue affirme avoir écrit au président du Sénat pour l’alerter sur ce « sujet extrêmement sérieux », espérant recevoir une réponse. Mais celle-ci ne s’est jamais manifestée. Gérard Larcher a-t-il volontairement ignoré ce signalement ? Interrogé par « Complément d’enquête », le président de la Haute Assemblée a préféré ne pas s’exprimer sur ce sujet.
Extrait tiré de « Sénat : les dessous de la chambre haute », diffusé dans « Complément d’enquête » le 19 juin 2025.