Le Premier ministre François Bayrou a indiqué qu’il s’exprimerait à 17 heures, ce jeudi 26 juin, suite aux récentes discussions menées avec les représentants des syndicats concernant la réforme des retraites. De son côté, Patrick Kanner, qui dirige le groupe des sénateurs socialistes, est intervenu dans l’émission « La Matinale » pour analyser les raisons ayant conduit à l’échec de ces négociations. Il a également évoqué la motion de censure que le Parti socialiste prévoit de présenter en réaction à cette situation.
Suite au fiasco du conclave consacré à la réforme des retraites, les socialistes prévoient de déposer une motion de censure, dont le débat aura lieu à l’Assemblée nationale mardi 1er juillet. Le Parti socialiste se détourne-t-il désormais de François Bayrou ? Alix Bouilhaguet, éditorialiste politique pour France Télévisions, évoque ce thème en compagnie du sénateur du Nord et président du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner, lors de l’émission “La Matinale” du jeudi 26 juin.
Ce texte est une retranscription partielle de l’interview mentionnée ci-dessus. Vous pouvez visionner l’intégralité en cliquant sur la vidéo.
Alix Bouilhaguet : Après l’échec du conclave sur les retraites, vous annoncez le dépôt d’une motion de censure qui sera examinée mardi. Pensez-vous tourner le dos à François Bayrou ?
Patrick Kanner : La question est plutôt de savoir si ce sont les socialistes qui abandonnent le Premier ministre, ou s’il s’est lui-même arrêté en chemin dans la conduite de son initiative. Rappelons que cette idée de conclave ne vient pas de nous, ni de la gauche en général, mais bien de Monsieur Bayrou, qui l’a présentée le 19 décembre 2024. J’étais présent lors de cette réunion où il a clairement indiqué – je cite – : “Nous devons reprendre le chantier des retraites, car c’est un dossier qui bloque le pays.”
À qui attribuez-vous cet échec : à François Bayrou ou aux partenaires sociaux ?
Je considère que c’est un revers pour lui sur le plan politique. Mais attendons, car il a indiqué hier au Sénat qu’il annoncerait une nouvelle initiative à 17 heures. Est-ce qu’il s’agira d’officialiser un accord, partiel ou total, ce qui serait une vraie surprise, ou de prendre une autre direction ? Nous verrons bien.
Dans l’hypothèse où François Bayrou présente un compromis, même partiel, à 17 heures, serait-il possible que vous reveniez sur votre motion de censure ?
Ce que nous demandons à Monsieur Bayrou, c’est qu’il reconnaisse les progrès réalisés au cours du conclave, notamment concernant la pénibilité, les carrières interrompues des femmes, et le système de décote. Nous estimons qu’il y a matière à baisser l’âge officiel du départ à la retraite à taux plein sans décote de 67 à 66 ans. Il y a donc des avancées concrètes, et notre idée est de procéder étape par étape, de transformer ces acquis en lois, et de confier au Parlement le soin de trancher définitivement.
Un dépôt de motion inévitable
Concrètement, cela signifie que ce qui a été évoqué par les syndicats mais qui n’a pas été formalisé, vous souhaitez que François Bayrou le prenne à son compte pour en faire une proposition législative ?
Effectivement. J’ai pu échanger avec Marylise Léon la semaine dernière, et je tiens à saluer le courage de la dirigeante de la CFDT. Madame Léon a fait un travail remarquable, notamment avec la CFTC et la CGC, en proposant des pistes sérieuses qui doivent être prises en considération. Cette réforme, telle qu’elle était élaborée en 2023, était inacceptable. Il faut avancer pragmatiquement, en acceptant des compromis. Je crois que Monsieur Bayrou l’a compris, puisqu’il a évoqué hier en séance son ouverture à cette hypothèse. Cela dit, malgré son courage politique — et sa prise de position envers un patronat considéré comme irresponsable dans cette négociation — cela n’empêchera pas la motion de censure d’être déposée. La procédure est lancée et le débat est fixé à mardi. Mais, à mes yeux, ce qui compte finalement, ce sont les millions de Français qui attendent des améliorations concrètes dans leurs conditions de vie.
Vous saluez le courage de Marylise Léon, à la tête de la CFDT, un syndicat réformiste qui a en quelque sorte bouleversé sa position sur la question de l’âge pivot. En revanche, on a l’impression que les socialistes n’ont pas opéré la même révolution. Comment faire, alors, pour revendiquer le maintien de la retraite à 62 ans alors que vous vous dites un parti de gouvernement ?
En effet, lors des négociations en janvier 2025, nous avons montré de la responsabilité, notamment en choisissant de ne pas censurer le gouvernement sur sa déclaration de politique générale ou sur le budget, parce qu’il fallait garantir les moyens financiers du pays. Cependant, nous n’avons jamais renoncé à l’objectif de faire reculer l’âge pivot de départ à la retraite, passant de 64 à 62 ans, à condition de trouver des recettes nouvelles pour assurer l’équilibre du système. Nous pensions avoir trouvé ces pistes, grâce notamment à notre collègue Jérôme Gage à l’Assemblée nationale. Mais Monsieur Bayrou a rejeté ces propositions. Nous pensons que le verdict final sera rendu à l’élection présidentielle de 2027, mais d’ici là, nous continuerons à nous battre pour toute avancée qui bénéficie aux Français. Madame Léon, avec ses partenaires syndicaux, a apporté de nouvelles solutions ; à nous, maintenant, de dire au patronat : “Voulez-vous le chaos ou cherchez-vous le bien commun, en prenant aussi en compte l’équilibre financier ?”
« Un rapprochement avec LFI reste hautement improbable »
Jean-Luc Mélenchon a salué votre motion comme un retour “à la raison”. Cela annonce-t-il un nouveau rapprochement entre socialistes et insoumis ?
Quand Monsieur Mélenchon parle de raison, cela prête à sourire. Nous savons tous qu’il est loin d’être un homme « raisonnable », tant dans ses propos que dans ses objectifs. Nous n’avons donc aucune leçon à recevoir de sa part. Jean-Luc Mélenchon s’inscrit dans un courant historique, l’extrême gauche, que nous respectons, bien entendu. Quant à la question de savoir s’il arrivera un jour au pouvoir, la réponse est non. Nous, la gauche responsable, la gauche de gouvernement, préférons concentrer nos efforts sur des réformes concrètes plutôt que sur des révolutions hypothétiques.
Toutefois, la gauche semble mobilisée pour soutenir la motion de censure. Cela signifie-t-il que socialistes et insoumis vont de nouveau s’associer ?
La motion de censure que nous proposons vise à pointer l’échec de la négociation et à adresser un message clair au patronat : vous avez commis des erreurs graves au cours des discussions.
Cela veut-il dire qu’il n’y a pas pour autant de réchauffement entre vous et la France Insoumise ?
Même si certains détails peuvent faire croire le contraire, il est clair pour nous que, à l’heure actuelle, un accord avec la LFI demeure hautement improbable dans le cadre des échéances politiques à venir.
Même en cas d’élections législatives anticipées ? Olivier Faure ayant été réélu, lui-même affiche une certaine ambiguïté envers les Insoumis.
Pour ma part, je n’ai aucune ambiguïté : nous ne devons plus négocier avec la France Insoumise, dont la ligne politique convainc certes une partie du peuple, mais dont les méthodes ne correspondent pas à la droite responsabilité dont nous faisons preuve. Notre cap est clair : réforme et responsabilité.
« La France marginalisée face à la crise au Proche-Orient »
Hier, on a vu Donald Trump triomphateur lors du sommet de l’OTAN, se félicitant des résultats de ce que l’on nomme la guerre de 12 jours en Iran, un pays fragilisé dont le programme nucléaire aurait été compromis. Avec Israël, aurait-on vu une sorte de “sale boulot”, comme l’a dit le chancelier allemand Friedrich Merz ?
Je ne saurais dire si Israël et les États-Unis ont fait le “sale boulot”, mais ils ont en tout cas réussi à retarder la capacité de l’Iran à se doter de l’arme nucléaire. Pour information, le nucléaire civil nécessite un enrichissement d’uranium à hauteur de 3 ou 4%. Or, l’Iran avait accumulé environ 400 kilos d’uranium enrichi à plus de 60%, tandis que pour une bombe il faut atteindre environ 90% d’enrichissement.
Vous approuvez donc l’intervention de Donald Trump ?
Ce que je salue, c’est le fait que l’Iran est un régime totalitaire, dangereux pour la région et pour le monde, et qui ne doit pas se doter de l’arme nucléaire.
Emmanuel Macron est resté très prudent, allant presque jusqu’à évoquer une certaine illégalité des frappes. A-t-il tenu son rôle ou aurait-il manqué de clairvoyance ?
À mon avis, la France, et plus largement l’Europe, sont passées à côté de cet épisode au Proche-Orient. Nous sommes aujourd’hui marginalisés par rapport à ce qui s’est produit. Je plaide pour une Europe capable de peser sur ces événements dramatiques, dotée d’une force militaire propre, d’une organisation commune solide. On ne peut plus laisser la responsabilité de la paix mondiale concentrée entre les mains d’une seule personne. C’est pourquoi la réussite du sommet de l’OTAN à La Haye, avec l’engagement de porter à environ 5% du PIB la part des dépenses militaires des pays membres, est une avancée importante.
Un seuil porté à 5% du PIB, contre à peine 2% actuellement pour la France, qui devrait passer à 3,5% dès l’an prochain. C’est un accroissement colossal dans un contexte où il faudra trouver 40 milliards sur le prochain budget. Comment concilier ces impératifs ?
C’est avant tout une question de choix politiques.
Mais cela doit être fait absolument, n’est-ce pas ?
Oui, c’est un engagement pris au niveau international, donc il faudra le respecter. Nous sommes aujourd’hui loin des moyens financiers nécessaires pour atteindre cet objectif, ce qui impliquera forcément de maîtriser les dépenses publiques, mais aussi de trouver de nouvelles ressources. C’est tout l’enjeu du budget 2026. Demain, lors d’une réunion à Bercy à 9 heures avec Monsieur Lombard, la question centrale sera la suivante : êtes-vous prêts à demander des efforts aux Français, en particulier à ceux qui ont le plus profité des allègements fiscaux depuis 2017 ? Je pense notamment à une fiscalité plus juste sur les patrimoines élevés. De telles recettes nouvelles seront indispensables pour équilibrer les budgets du pays dans les années à venir.