La France ainsi que l’ensemble de l’Union européenne révisent actuellement leurs lois dans le but de stimuler la reprise économique, en mettant parfois de côté les enjeux liés à la transition écologique. De l’autre côté de l’Atlantique, Donald Trump affiche un scepticisme marqué envers les questions environnementales et ne semble pas accorder de crédit aux arguments en faveur de l’écologie. Selon un professeur enseignant à HEC et impliqué au sein du GIEC, il apparaît que la seule nation réellement engagée et en avance sur ces problématiques à l’heure actuelle reste la Chine.
Le mardi 17 juin 2025, l’Assemblée nationale a validé le projet de loi visant à simplifier la vie économique, incluant notamment la suppression des zones à faibles émissions (ZFE). Cette décision marque un coup d’arrêt net aux avancées écologiques obtenues ces dernières années. Ce phénomène ne se limite pas à la France : le lundi 23 juin, le Conseil de l’Union européenne a également revu à la baisse les exigences du Pacte vert, notamment en ce qui concerne le « devoir de vigilance » des entreprises et les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance).
42mag.fr : Cette semaine, nous nous interrogeons sur les raisons du recul spectaculaire dans le domaine écologique que nous observons actuellement, ce qui constitue un retour en arrière considérable.
François Gemenne : En Europe, on assiste à une offensive marquée des forces réactionnaires qui contestent le Pacte vert. La situation aux États-Unis est encore plus préoccupante, tandis qu’on constate que seule la Chine semble progresser actuellement.
Je vois deux explications majeures à ce phénomène. Premièrement, en Europe, la transition écologique est largement perçue comme une contrainte imposée à cause des alertes scientifiques. Cette transition implique des efforts, des coûts, des sacrifices, et peut générer des injustices sociales. C’est une source de difficultés et de souffrances, ce qui freine son acceptation par l’opinion publique. En revanche, en Chine, cette transition est envisagée comme un moteur de modernisation économique, un pari sur l’avenir et un fondement pour asseoir la domination chinoise sur l’économie mondiale.
« Les Européens pensent qu’ils vivront moins bien à l’avenir, notamment à cause de la transition écologique ; ce n’est absolument pas la perception en Chine ou dans de nombreux pays émergents. »
François Gemenneà 42mag.fr
En Europe, nous n’avons pas réussi à faire de cette transition un véritable projet rassembleur.
Quelle est la deuxième explication ?
Elle réside évidemment dans le désengagement des États-Unis et, plus largement, dans la montée du populisme ainsi que dans la prolifération de la désinformation. Le changement climatique est une problématique mondiale qui nécessite une coopération internationale. Dès lors, si une puissance majeure se retire, il est tentant de considérer que son propre engagement n’a plus d’utilité – surtout si cet engagement est perçu comme une contrainte. Pourquoi se montrer plus rigoureux que les autres ? Pourquoi faire des efforts si les autres ne le font pas ? En Chine, en revanche, le retrait américain est vu comme une opportunité économique : c’est comme si l’un de vos adversaires aux Jeux olympiques cessait de s’entraîner.
Un paradoxe : le soutien populaire à l’action climatique reste fort, même en Europe et en Chine ?
Effectivement, une très grande majorité des citoyens souhaitent que leur gouvernement intensifie les mesures face au changement climatique, 85 % en France par exemple. Toutefois, dans le débat public, notamment sur les réseaux sociaux ou à travers des médias qui propagent des discours manipulatoires, les voix opposées à la transition écologique sont amplifiées au point de sembler prédominantes, alors qu’elles sont minoritaires. Cela dit, il serait trop simple d’imputer la responsabilité de cette situation uniquement à l’extrême droite, aux conservateurs, aux médias ou à la désinformation.
« De sérieux opposants à la transition climatique existent aussi parmi les écologistes eux-mêmes. »
François Gemenneà 42mag.fr
Comment expliquer cela ?
Je crois qu’il faut d’abord se livrer à une certaine remise en question. Il y a eu beaucoup d’erreurs dans la manière de communiquer et dans les figures mises en avant, dont je reconnais ma part de responsabilité. Trop souvent, le discours climatique s’est appuyé sur des injonctions morales culpabilisantes, souvent portées par des militants issus de milieux aisés, donnant l’impression de vouloir dicter la conduite des classes populaires. Pour beaucoup, cette posture est vue comme hypocrite et insupportable, ce que je peux comprendre. De plus, on a trop misé sur le levier de la peur et des risques, en négligeant ceux des bénéfices personnels, économiques ou géopolitiques pour l’Europe. Enfin, le sujet a été transformé en totem idéologique, lié à la lutte des classes ou à la critique du capitalisme. Combien de fois n’a-t-on pas entendu que l’écologie sans lutte des classes, c’était une simple jardinage ? Ces discours ont freiné la transition, même si ce n’était pas leur intention. Par ailleurs, certaines prises de parole sont ouvertement hostiles à la transition.
Parmi les écologistes eux-mêmes ?
Oui, malheureusement. On assiste à une multiplication de discours qui minimisent la gravité du changement climatique en le relativisant par rapport à d’autres limites planétaires, comme la perte de biodiversité. Beaucoup remettent en question l’idée même de transition, soulignant son impact sur l’exploitation des métaux, des ressources minières ou de l’eau. Certains affirment que cette transition est vouée à l’échec, que la décarbonation est impossible. D’autres critiquent toute solution qui ne bouleverse pas radicalement nos modes de vie ou qui ne propose pas de renverser le système capitaliste. Ces discours dits écologistes, quel que soit leur motif, produisent le même résultat final : l’inaction.
Je souhaite être clair : la véritable séparation aujourd’hui se situe entre ceux qui veulent agir, même imparfaitement, dans un cadre capitaliste, et ceux qui préfèrent ne rien faire, attendant confortablement une solution idéale.