Les membres de l’Assemblée nationale sont en train d’étudier une motion de censure présentée par le Parti Socialiste, suite à l’échec des négociations concernant la réforme des retraites. Cette démarche fait suite à la non-réalisation d’une promesse importante, à savoir l’organisation d’un débat au Parlement portant sur l’âge légal de départ à la retraite. Sur ce sujet, Benjamin Moral, expert en science politique et spécialiste du droit constitutionnel, a été interrogé par Djamel Mazi, en présence d’Alix Bouilhaguet, éditorialiste politique de 42mag.fr, lors de l’émission « Matinale » diffusée le mardi 1er juillet.
Ce passage reprend une partie de l’entretien vidéo ci-dessus. Pour visionner l’interview complète, cliquez sur la vidéo.
Djamel Mazi : la question essentielle est de savoir si les socialistes pourront ou non s’appuyer sur le vote du Rassemblement national.
Alix Bouilhaguet : En principe, ce n’est pas prévu, même si le Rassemblement national reste toujours difficile à prévoir. Nous avons récemment vu, lors de la discussion sur la loi audiovisuelle, qu’alors que tout le monde s’attendait à ce que le RN appuie le texte proposé par Rachida Dati, il ne l’a finalement pas fait, pour des raisons qui leur sont propres et un peu obscures. Un retournement de situation reste donc possible, mais pour l’instant, ce n’est pas le cas. Cela montre que François Bayrou n’a pas réussi à réussir son pari personnel, qui consistait à continuer d’exclure le RN du jeu politique. Il avait pourtant fait quelques gestes d’apaisement, notamment lors de la condamnation de Marine Le Pen, et avait mis la question de la proportionnelle sur la table.
Il a ainsi établi un lien direct, y compris avec Marine Le Pen. Ces 123 députés lui rendront bien la pareille en ne soutenant pas la motion de censure. Cela laisse donc la porte ouverte pour la suite, notamment lors des débats sur le budget. Le RN l’a clairement indiqué : ce n’est pas leur moment actuellement. Le parti se prépare plutôt à l’automne, alors que la gauche a déposé sa huitième motion de censure, motion que le RN ne soutient pas pour la huitième fois consécutive.
Le budget, cible prioritaire pour le Rassemblement national
François Bayrou, considéré comme le Premier ministre le plus impopulaire sous la Ve République, a-t-il des raisons de s’inquiéter ?
Benjamin Morel : La scène politique est imprévisible depuis bientôt un an et demi, donc je serais prudent sur les grandes prédictions. De façon rationnelle, il ne devrait pas être renversé. Le RN n’a aucun intérêt à ce que cela arrive, pour deux motifs essentiels. Premièrement, renverser un Premier ministre juste avant l’été, en pleine crise internationale diffuse, n’est ni dans son intérêt, ni dans sa stratégie d’ancrage et de normalisation politique. Deuxièmement, cela constituerait un cadeau fait à la gauche. Rappelez-vous la dernière motion de censure qui a été adoptée, celle visant Michel Barnier. À ce moment-là, le RN et Marine Le Pen avaient mis la pression en posant des conditions que Michel Barnier n’avait pas acceptées. Le RN avait alors choisi de renverser le gouvernement pour défendre ses électeurs.
Cette fois, la motion de censure vient de la gauche et est soutenue à ses conditions. Si le RN devait y adhérer, ce serait un avantage pour la gauche, qui constitue une opposition rivale sérieuse, potentiellement concurrente pour représenter l’alternative politique et l’alternance à venir. Marine Le Pen a sans doute un autre scénario en tête pour faire tomber le gouvernement, celui lié au budget. Ce scénario rappellerait celui de décembre dernier, avec une escalade progressive et, finalement, l’annonce brutale de la chute de François Bayrou.
Alix, vous disiez tout à l’heure que François Bayrou devrait a priori survivre à cette motion de censure, mais ce serait une victoire à la Pyrrhus ?
Alix Bouilhaguet : Exactement, ce serait une victoire en apparence, mais une défaite dans les faits. En effet, le bilan reste globalement un échec sur tous les fronts qu’il avait envisagés. Son objectif principal était de marginaliser le RN, ce qui n’a pas été atteint, car aujourd’hui son sort sembler dépendre de ce parti. Il ambitionnait aussi de construire une alliance avec les socialistes, ce qui s’est avéré impossible. Certains estiment qu’il n’a d’ailleurs jamais réellement souhaité engager un dialogue profond avec eux, ce qui fait aujourd’hui que les socialistes réclament une fin à toute indulgence à son égard et veulent son départ. Enfin, son troisième pari, celui d’une démocratie sociale renouvelée, n’a pas connu de succès non plus. Son initiative de réunir les partenaires sociaux autour d’une table était bonne, mais l’échec s’est inscrit aussi bien du côté de ces partenaires que sur une dimension très personnelle à François Bayrou.
Pas de dissolution obligatoire même si le gouvernement tombe
Michel Barnier, ancien Premier ministre, estimait que si François Bayrou était renversé par une motion de censure, Emmanuel Macron serait contraint de dissoudre l’Assemblée nationale et d’organiser de nouvelles élections législatives. Est-ce réellement obligatoire ?
Benjamin Morel : Ni juridiquement ni constitutionnellement, ce n’est une obligation. La question est plutôt de savoir qui en bénéficierait et si cela permettrait véritablement de sortir de la crise actuelle. Ce scénario risquerait peu d’avantager le RN. Certes, le parti pourrait gagner quelques élus, mais Marine Le Pen ne pourrait plus se présenter elle-même. Par ailleurs, la gauche éprouverait d’immenses difficultés à affronter cette épreuve unitaire. Il faut également souligner que plusieurs députés, notamment socialistes et écologistes, seraient en grand danger lors d’un scrutin anticipé si le Nouveau Front populaire (NFP) ne se reconstituait pas. Quant aux députés macronistes, beaucoup ont pu être élus grâce à un report de voix de la gauche visant à contrer Le RN. Personne n’a vraiment intérêt à ce que cela arrive à l’heure actuelle. Si l’on analyse la carte électorale, La France insoumise ne perdrait pas beaucoup de députés, car ses circonscriptions, négociées en 2022 avec la configuration du NFP, sont plutôt solides. Par contre, Le RN obtiendrait plus de sièges. Imaginez donc la même assemblée, mais avec un poids plus grand pour le RN, un nombre quasiment identique de députés LFI et un socle traditionnel plus restreint. Il serait alors difficile de former un gouvernement. Si l’Élysée fait preuve de rationalité, elle comprendra que ce n’est pas la meilleure option. La dissolution ne s’impose donc ni sur le plan légal ni sur le plan stratégique. Ce serait plutôt une erreur majeure.
Peut-on affirmer que la confiance est rompue entre François Bayrou et la gauche modérée ?
Effectivement, car la gauche suit désormais une ligne différente. Olivier Faure a été réélu sur un positionnement plus flou à l’égard de La France insoumise, avec laquelle il maintient une relation encore ouverte, même si elle est tendue. Cela signifie qu’il ne souhaite ni une cohabitation, ni une alliance, ni même de discussions approfondies avec François Bayrou. Dans un premier temps, les municipales les placent logiquement dans une position d’opposition, situation qui devrait se prolonger jusqu’à la présidentielle.