Le Premier ministre François Bayrou a présenté des mesures budgétaires visant à réaliser une économie de 43 millions d’euros en 2026, sans pour autant cibler spécifiquement les très grandes fortunes. Le gouvernement, ainsi que ses alliés, redoutent un départ à l’étranger des contribuables les plus aisés, une fuite fiscale supposée qui, en réalité, ne semble pas se vérifier de manière significative.
On entend fréquemment cet argument lorsqu’il s’agit de justifier le refus d’augmenter la fiscalité à l’encontre des plus fortunés. Ce point de vue a été remis en avant le mercredi 16 juillet par Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, le lendemain des annonces budgétaires présentées par le Premier ministre François Bayrou. La ministre a ainsi écarté toute possibilité d’instaurer la taxe dite « Zucman », nommée d’après l’économiste qui en a proposé le concept, laquelle consisterait en un impôt minimal de 2 % sur la fortune des ultra-riches.
Ce même argument a également été repris à plusieurs occasions récemment par Philippe Juvin, député des Républicains, notamment lors d’interventions sur 42mag.fr et Sud Radio. « Que se passe-t-il lorsque l’on augmente les impôts pour les très riches ? » s’est-il demandé sur Sud Radio, avant de répondre lui-même : « Le risque, c’est qu’ils quittent la France. Ce qui nous poserait effectivement un sérieux problème. » Mais qu’en est-il réellement ? Les contribuables aisés partent-ils vraiment dès que leur fiscalité augmente ?
Moins de 0,25 % des contribuables fortunés quittent la France
Le programme « Vrai ou Faux » ne prétend pas prédire l’avenir, mais il reste possible d’analyser les événements passés, notamment en se penchant sur les effets de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF), qui a été supprimé en 2018 et remplacé par l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI), un dispositif touchant une population moins large.
Y a-t-il eu une fuite massive des contribuables fortunés durant l’époque de l’ISF ? La réponse est non. En réalité, les exils fiscaux des plus riches sont rares. Il est vrai que certains très hauts patrimoines ont quitté la France lorsque leur imposition s’est alourdie, mais ces cas restent très marginaux. Par exemple, en 2017, dernière année où l’ISF était en vigueur, en déduisant le nombre de retours du nombre de départs, on constate que seulement 510 individus soumis à cet impôt ont quitté la France. De leur côté, 358 198 contribuables fortunés ont choisi de rester et de s’acquitter de l’ISF, d’après les données de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et un rapport de France Stratégie, organisme du Premier ministre chargé d’évaluer les politiques publiques. Ce chiffre signifie que seulement 0,14 % des riches soumis à l’ISF ont fait le choix de partir cette année-là.
En outre, le solde migratoire annuel des ultra-riches oscillait entre 0,06 % et 0,25 % au cours des années précédentes, avec un pic en 2013. Jamais, sur la période étudiée par France Stratégie, ce taux n’a dépassé 0,5 %, ce qui indique une très faible proportion de contribuables aisés qui ont quitté le territoire français.
L’exil fiscal des riches occasionne une perte limitée pour les finances publiques en 2017
Le préjudice pour les finances publiques demeure également marginal. En 2017, les contribuables ayant choisi de partir auraient dû verser environ sept millions d’euros au titre de l’ISF, en se basant sur leurs paiements de l’année précédente. Ce manque à gagner représentait seulement 0,17 % des plus de quatre milliards d’euros estimés comme dus cette année-là par la DGFiP. À noter que, en réalité, cela ne représentait que 0,14 % des recettes ISF effectivement encaissées, qui s’élevaient à plus de cinq milliards d’euros.
Le rapport de France Stratégie porte sur la période 2011-2017. En cumulé, les montants non perçus du fait des départs lors de ces années s’élèvent à 125 millions d’euros, soit environ 0,5 % des sommes théoriquement dues sur cette période et même 0,4 % des recettes ISF réellement collectées. Ces chiffres doivent toutefois être interprétés avec prudence, car ils ne tiennent pas compte des manques à gagner dus à des départs antérieurs à chaque année. Il s’agit simplement d’une estimation des effets immédiats des départs. Il est intéressant de souligner qu’après la suppression de l’ISF, la tendance migratoire s’est inversée : davantage de contribuables fortunés soumis à l’IFI rentrent en France qu’il n’en quitte le pays.
Le retour des fortunés avec l’IFI, mais une recette fiscale en baisse pour l’État
Cependant, l’IFI génère des recettes bien moindres que l’ISF, rapportant à peine la moitié de ce dernier aux caisses de l’État (2,3 milliards d’euros en 2021 contre 5 milliards en 2017 pour l’ISF). En 2021, 140 contribuables assujettis à l’IFI sont revenus en France, versant près de quatre millions d’euros au titre de cet impôt sur la fortune immobilière, ce qui représente à peine 0,1 % des montants que l’on estimait dus cette année-là, selon une projection de la DGFiP, et seulement 0,07 % des montants effectivement collectés par l’IFI.
Pour revenir sur la période analysée par France Stratégie, c’est-à-dire entre 2011 et 2017, le cumul du manque à gagner dû aux départs des plus riches s’est élevé à 125 millions d’euros en sept ans, soit seulement 0,5 % du total des recettes ISF durant cette période.
Ces pertes doivent être mises en perspective avec les recettes potentielles qu’une hausse de la fiscalité ciblant les ultra-riches pourrait générer. Par exemple, les députés écologistes qui avaient soutenu la création d’un impôt plancher minimal sur la fortune des plus aisés évaluaient les gains possibles entre 15 et 25 milliards d’euros pour les finances publiques.