Mercredi, la ministre a établi un parallèle entre la taxe Zucman et une modification du système fiscal britannique, laquelle aurait entraîné l’exil de nombreux très hauts revenus. Toutefois, il n’existe pas à ce jour d’informations précises et vérifiables permettant d’évaluer la portée exacte ni les conséquences véritables de ces mouvements hors du territoire britannique.
Le gouvernement rejette l’instauration d’une « taxe Zucman ». Cette proposition d’un impôt minimal de 2 % sur le patrimoine des très riches, ciblant les foyers possédant plus de 100 millions d’euros, ne figure pas dans le projet de loi de finances pour 2026, présenté mardi et qui sera discuté au Parlement dès la rentrée. Pour expliquer ce refus, la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a pris l’exemple du Royaume-Uni lors d’une déclaration le mercredi 16 juillet. « Au Royaume-Uni, sur une proposition bien plus modérée, mais présentant certaines similitudes, ce sont 1 400 ménages qui ont quitté le pays en quelques mois, emportant avec eux 110 milliards de livres en investissements« , a-t-elle affirmé, mettant en garde contre un possible départ des plus grosses fortunes françaises. Mais cette mesure fiscale britannique a-t-elle réellement provoqué une fuite des capitaux ?
Le dispositif évoqué par la ministre est en vigueur depuis avril dernier. Il s’agit d’une réforme du régime fiscal dédié aux non-doms (non-domiciliés fiscaux), catégories d’étrangers résidant au Royaume-Uni mais dont la résidence fiscale principale se situe hors du pays, qui jusque-là ne payaient pas d’impôt sur leurs revenus perçus à l’étranger. C’est par exemple le cas d’Akshata Murty, épouse de l’ancien Premier ministre Rishi Sunak, rappelle la BBC.
Ce système, conçu initialement pour attirer les grandes fortunes à s’installer sur le sol britannique, exemptait les revenus extérieurs des non-doms d’impôts pendant quinze ans de résidence. La réforme a réduit cette période à quatre ans. De plus, elle soumet désormais ces contribuables à un impôt sur l’héritage une fois qu’ils résident depuis dix ans au Royaume-Uni.
Déclarations spectaculaires d’exil
Rachel Reeves, la ministre des Finances, espère selon Reuters que cette nouvelle taxation générera 12,7 milliards de livres pour le Trésor public sur cinq ans, via l’imposition des grandes fortunes étrangères. Cependant, cette réforme a également suscité des annonces fracassantes de départs, comme celui du milliardaire égyptien Nassef Sawiris qui a choisi de s’installer en Italie, rapporte Bloomberg. De même, Lakshmi Mittal, magnat indien de l’acier, a aussi fait part de son projet de quitter le pays, selon le Financial Times.
Malgré ces annonces retentissantes, il est encore prématuré de conclure sur les véritables conséquences de la réforme. Par ailleurs, les chiffres mis en avant par Amélie de Montchalin reposent sur des estimations qui ne sont pas formellement vérifiées. Le chiffre de 110 milliards figure dans un article de Bloomberg, qui, pour atteindre ce montant, a additionné les fortunes des non-doms ayant quitté le Royaume-Uni depuis avril, en se basant sur « les témoignages d’une douzaine d’avocats et de conseillers en gestion de patrimoine pour ultra-riches ». Ces professionnels indiquent à Bloomberg que « entre 15% et deux tiers de leurs clients non-doms ont quitté le pays ou envisagent de le faire ». Toutefois, Bloomberg ne confirme pas que ces capitaux ont effectivement été transférés hors du Royaume-Uni, contrairement à ce qu’a affirmé la ministre.
Une donnée fiable difficile à obtenir
Le média britannique souligne que « les informations fiables sur les départs restent rares », notamment en raison d’un décalage temporel entre le moment réel des départs et la publication des statistiques officielles. En ce qui concerne les « 1 400 foyers » évoqués par la ministre, aucune source précise n’a été fournie. Bloomberg parle d’environ « 4 400 dirigeants d’entreprises ayant quitté le pays au cours de l’année écoulée », ce qui anticipe peut-être l’annonce de réforme (annoncée par les conservateurs pour 2024 et mise en œuvre par les travaillistes), mais ces données ne précisent ni la motivation derrière ces départs, ni la nationalité des cadres concernés.
La principale étude accessible est celle de l’Office for Budget Responsibility (OBR), qui anticipait un départ d’environ 12 à 25 % des non-doms, qui comptaient 74 000 résidents selon les derniers relevés cités par la BBC. Ce rapport évaluait néanmoins que la réforme pourrait rapporter 34 milliards de livres sur une période de cinq ans.
Des chercheurs ont également étudié les tendances récentes, confirmant une accélération des départs. Toutefois, une analyse sur la fiscalité et la mobilité des ultra-riches coécrite par Arun Advani, de l’université de Warwick, indique que « la mobilité induite par la taxation est moindre que ce qui est souvent avancé dans le débat public. »
Une taxe britannique éloignée de la taxe Zucman
En France, l’économiste Gabriel Zucman, dont le nom est associé à la taxe sur les très riches largement discutée, a réagi sur X pour contester les propos d’Amélie de Montchalin, dénonçant « la victoire du lobbying et de l’idéologie sur la réalité ». Il précise également que la taxe qu’il propose ne concernerait qu’environ « 1 800 foyers fiscaux » en France.
Selon Quentin Parrinello, directeur des politiques publiques à l’Observatoire européen de la fiscalité dirigé par Gabriel Zucman, « La catégorie des non-doms ne peut être comparée aux contribuables ciblés par la taxe Zucman, car ces premiers ont des attaches familiales et culturelles bien plus limitées avec leur pays, ce qui les rend plus susceptibles de partir. »
Dans sa réponse à Amélie de Montchalin, l’économiste rappelle également un point crucial du dispositif proposé : « Le projet d’impôt plancher sur la fortune, adopté par l’Assemblée nationale, prévoit que cet impôt continue à s’appliquer pendant cinq ans après un éventuel départ. » Cela limite donc grandement l’intérêt de l’exil. Il fait aussi référence à une tribune signée par sept lauréats du prix Nobel d’économie, appelant la France à mettre en place cette taxe sur les ultra-riches « pour être un exemple pour le reste du monde » et suggérant même que l’impôt soit maintenu jusqu’à dix ans après le départ.