À Angers, la primaire organisée par la gauche a eu recours au jugement majoritaire pour désigner un seul candidat capable de se porter candidat à la mairie lors des élections de 2026. Cette modalité de vote, mise en avant par l’association Mieux Voter, est décrite comme étant « la méthode la plus sûre pour refléter précisément les préférences des électeurs ».
À Angers, la gauche se prépare à affronter les élections municipales de 2026 sous la conduite de Romain Laveau, candidat unique qui a été choisi à l’issue d’une primaire citoyenne utilisant le principe du jugement majoritaire. Le 28 juin dernier, les électeurs ont répondu à la question suivante : « Comment jugez-vous ces candidat·es capables de représenter l’alternative sociale, écologique et progressiste à Angers, pour remporter les municipales ? » Pour chacun des cinq candidats en lice, les membres du mouvement de gauche Demain Angers ont attribué une mention choisie parmi six, à la manière d’une note, allant de « Excellent » à « Insuffisant(e) ». Au final, Romain Laveau est sorti largement en tête, recueillant plus de 35 % des votes « Excellent » et 19 % des « Très bien ».
Mais comment se traduit concrètement le fonctionnement de ce jugement majoritaire qui se veut une alternative au mode de scrutin classique bien connu ?
Combler les insuffisances du système électoral traditionnel
Le jugement majoritaire repose sur une notation exhaustive de tous les candidats en lice, sur une échelle de valeurs « usuelle et compréhensible », précise Rida Laraki, chercheur au CNRS co-inventeur de cette méthode avec Michel Balinski. Plutôt que de choisir un seul candidat, les électeurs ont à leur disposition six appréciations possibles, permettant d’évaluer chacun des postulants : « Excellent », « Très Bien », « Bien », « Assez bien », « Passable » et « Insuffisant(e) ». Ils peuvent attribuer une même mention à plusieurs candidats. Une septième option, « À rejeter », est également proposée quand un électeur souhaite exprimer un refus total ou une absence d’avis envers un candidat.
Contrairement au mode uninominal où seul le candidat qui récolte le plus de voix remporte l’élection, ici, le verdict est basé sur la médiane. Autrement dit, on additionne toutes les mentions reçues par un candidat et on détermine celle qui fait dépasser la majorité des suffrages, c’est-à-dire celle qui représente la note médiane. Pour illustrer, explique le chercheur, « si 51 % des votants attribuent la mention ‘Très Bien’ à un candidat, tandis que 49 % optent pour ‘Passable’, la médiane est ‘Très Bien’, ce candidat a donc cette mention majoritaire, même s’il y a une minorité importante qui le rejette. »
Cette innovation a été conçue afin de remédier aux failles observées dans le scrutin uninominal, comme par exemple « le vote utile », la prise en compte limitée du vote blanc et l’abstention », dénonce Rida Laraki. « Le système actuel est défaillant, il doit être remplacé », affirme-t-il avec conviction.
Le jugement majoritaire positionne Retailleau en favori pour 2027
L’association Mieux Voter a appliqué le jugement majoritaire aux personnalités susceptibles de briguer la présidence de la République en 2027, en se basant sur un baromètre politique réalisé par l’institut Ipsos et la Tribune du Dimanche. En se focalisant sur les seules mentions favorables, ce classement plaçait en tête Marine Le Pen, suivie d’Édouard Philippe et Jordan Bardella.
Toutefois, lorsque sont prises en compte les diverses nuances d’adhésion ou de rejet dans le contexte du jugement majoritaire, ce classement est intégralement bouleversé. Dans ce cas, Bruno Retailleau arrive en tête, devant Édouard Philippe et David Lisnard, alors que ce dernier ne figurait qu’au 21e rang dans le classement par mentions positives. Quant à Marine Le Pen, elle chute à la 15e position. Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour, initialement classés 14e et 15e d’après l’approbation, se retrouvent respectivement en 20e et 21e places selon le jugement majoritaire.
Ce classement contesté alimente les critiques dirigées contre le jugement majoritaire qui est accusé de favoriser des candidats plus modérés. Rida Laraki réplique en rappelant que ces opposants « n’ont pas suffisamment étudié la dimension mathématique et confondent la moyenne avec la médiane », tout en expliquant que « grâce à la mention majoritaire, un candidat peut être élu si la majorité des électeurs l’apprécie, même en présence d’une forte minorité d’opposants ». Offrir à l’électeur la possibilité d’évaluer tous les candidats, y compris en choisissant de « rejeter l’ensemble d’entre eux », favoriserait ainsi une participation plus élevée et inciterait davantage les citoyens à s’exprimer à travers leur vote.
Un mode de scrutin déjà expérimenté
Le jugement majoritaire est déjà en usage dans certains contextes politiques en France, notamment lors de la Primaire populaire de 2022 à gauche, la Convention citoyenne pour le climat, ou pour l’évaluation des budgets participatifs à Paris, ainsi que pour l’approbation des statuts de La République en Marche en 2019. La Primaire populaire avait pour objectif d’unir la gauche derrière une candidature commune et elle a été organisée selon ce mode en 2022. Avec environ 400 000 votants, Rida Laraki considère que cette mobilisation démontre « combien les électeurs ont apprécié de pouvoir s’exprimer via le jugement majoritaire». Christiane Taubira était arrivée en tête avec globalement une mention située entre « Bien » et « Très Bien », devant Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, qui avaient tous deux reçu des mentions proches de « Assez bien ».
Pourtant, le jugement majoritaire a essuyé de vives critiques venues de tous bords politiques. Certains, comme Pierre-Henri Dumont, secrétaire général adjoint des Républicains, l’ont qualifié de système « ridicule » sur Twitter, tandis que François Hollande considérait qu’« une note ne remplace pas un vote ». Rida Laraki écarte ces critiques comme étant la manifestation d’une résistance au changement de la part des politiciens en place, « effrayés à l’idée d’être évalués », voire pire, de « se retrouver élus seulement avec des mentions telles que ‘Passable’ ou ‘Insuffisant’ ».
Malgré ces oppositions, plusieurs responsables à gauche militent pour un usage élargi du jugement majoritaire, notamment pour organiser une primaire commune en vue de la présidentielle de 2027. Clémentine Autain, ancienne députée LFI, a évoqué cette possibilité dans une tribune au Tribune Dimanche, estimant que cette méthode pourrait « annuler les dérives d’une primaire traditionnelle qui exacerbe les divisions au lieu de valoriser la cohésion ». Pour Rida Laraki, seule une familiarisation progressive des électeurs à cette méthode, par exemple à travers des scrutins locaux, permettra son adoption à l’échelle nationale.
« Quand les citoyens s’habituent à utiliser ce mode de vote, par exemple pour élire un maire, et qu’ils constatent que les résultats correspondent à leur ressenti sur les problèmes qui les concernent, alors progressivement ils réclament cette méthode pour d’autres élections. »
Rida Laraki, chercheur au CNRSà 42mag.fr
Ce procédé démocratique pourrait-il un jour remplacer le scrutin actuel lors de l’élection présidentielle ? Rida Laraki se montre confiant : « Je pense qu’à condition que les électeurs le désirent, ce système finira par s’imposer, car les élus devront s’y conformer. Dans vingt ans, c’est parfaitement envisageable. »