Jeudi, le chef de l’État français a annoncé qu’il allait, dès le mois de septembre, reconnaître officiellement l’État de Palestine. Cette décision intervient en réponse à la situation humanitaire extrêmement préoccupante qui sévit à Gaza, mais elle est également motivée par des considérations d’ordre politique. Confronté à ces enjeux majeurs, le président français a ainsi choisi de prendre cette mesure significative.
L’annonce a surpris tout le monde lorsqu’elle est parvenue en soirée : Emmanuel Macron a déclaré jeudi 24 juillet son intention de reconnaître officiellement l’État palestinien, via un message publié sur la plateforme X. Ce message était accompagné d’une lettre envoyée le même jour à Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, en réponse à une correspondance datant du 9 juin. Dans cette lettre, Mahmoud Abbas promettait de démilitariser le mouvement islamiste Hamas, responsable de l’assaut du 7 octobre en Israël, et de préparer des élections législatives et présidentielles en 2026, afin de « renforcer la légitimité » de l’Autorité palestinienne, comme le souligne Emmanuel Macron. Ces engagements sont perçus par le président français comme des signaux favorables à une solution fondée sur deux États. Toutefois, la décision de l’Élysée ne se limite pas à une simple réponse adressée à Mahmoud Abbas. Plusieurs événements récents ont également motivé ce choix, après plusieurs semaines d’hésitations.
Une dégradation dramatique de la situation humanitaire dans la bande de Gaza, confrontée à une famine généralisée
Les images montrant des habitants de Gaza affamés se précipitant sur les rares distributions alimentaires, ainsi que les enfants souffrant de malnutrition sévère, ont contribué à hâter la reconnaissance de l’État palestinien envisagée depuis avril par Emmanuel Macron. Tandis qu’Israël continue de rejeter toute responsabilité dans cette famine, assurant que le Hamas détourne les ressources alimentaires, la diplomatie française a durci son discours mercredi en affirmant que le « risque de famine » dans la bande de Gaza était bel et bien « la conséquence du blocus » israélien.
Rym Momtaz, rédactrice en chef du blog Strategic Europe à la Fondation Carnegie pour la paix internationale et accompagnant Emmanuel Macron lors de son déplacement en Égypte début avril, rapporte que le chef de l’État est apparu profondément marqué après sa visite à El-Arich, auprès de femmes et enfants palestiniens mutilés par les frappes israéliennes. « Je ne l’ai que rarement vu aussi affecté. C’était sans doute la première fois qu’il prenait réellement conscience du traumatisme vécu à Gaza », confie-t-elle au journal Le Monde. À son retour, Emmanuel Macron avait alors évoqué l’intention de voir la France reconnaître l’existence d’un État palestinien « dès juin ».
Une conférence internationale, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, qui devait avoir lieu à ce moment-là afin de relancer la perspective d’une solution fondée sur deux États, a été annulée in extremis à cause du conflit opposant Israël à l’Iran.

Interrogé sur 42mag.fr, Christophe Lemoine, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a expliqué que la reconnaissance de la Palestine par la France vise à « maintenir la pression sur Israël pour que ses opérations cessent et que l’aide humanitaire puisse à nouveau circuler librement dans la bande de Gaza ». Il a ajouté qu’il s’agissait également d’une démarche pour que « tous les otages puissent être libérés », insistant sur le fait qu’« il s’agit d’une dynamique à insuffler, et le moment est venu ».
Un échec supplémentaire des négociations à Doha pour un cessez-le-feu
L’intervention d’Emmanuel Macron intervient alors que Steve Witkoff, l’envoyé spécial américain, a confirmé jeudi l’échec des discussions en cours à Doha, au Qatar, visant à établir un cessez-le-feu dans la bande de Gaza. Les délégations de négociateurs israéliens et américains ont été rappelées « pour consultation, suite à la dernière proposition du Hamas, qui démontre clairement un manque de volonté pour instaurer un cessez-le-feu dans Gaza », selon Witkoff. Il a souligné qu’« en dépit des efforts intenses des médiateurs, le Hamas ne semble pas agir de manière coordonnée ni de bonne foi », et a évoqué la nécessité pour les États-Unis et leurs partenaires de « considérer d’autres options afin de libérer les otages et de tenter de créer un environnement plus stable pour les habitants de Gaza ».
La veille, le Hamas avait annoncé avoir répondu à une proposition de trêve de 60 jours associée à un échange d’otages israéliens contre des prisonniers palestiniens, alors que la pression internationale pour mettre fin à un conflit approchant bientôt ses deux ans de durée s’intensifie.
Dans ce contexte, la décision prise par Emmanuel Macron traduit l’absence de solutions politiques et diplomatiques satisfaisantes pour régler la crise. Par ailleurs, le Premier ministre britannique Keir Starmer a convoqué vendredi une réunion d’urgence avec ses homologues français et allemand afin d’examiner comment « arrêter les massacres et apporter l’aide alimentaire indispensable à la population ».
La montée des intentions israéliennes de contrôler totalement Gaza et la Cisjordanie
Comme l’a souligné vendredi Gérard Araud, ancien ambassadeur et diplomate français, dans une interview sur France Inter, la décision de la France est aussi une réaction à « un sentiment d’urgence » lié à la « famine qui sévit à Gaza » ainsi qu’à la « violence quotidienne incontrôlée exercée par certains colons en Cisjordanie contre les Palestiniens ». Mercredi, plus de 70 députés israéliens ont voté en faveur d’une initiative visant à annexer la Cisjordanie occupée, dans l’objectif d’« écarter définitivement tout projet d’État palestinien ». L’Autorité palestinienne a fermement dénoncé ce vote comme une « atteinte directe aux droits du peuple palestinien », selon Hussein al-Cheikh, secrétaire général de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Au début du mois de juillet, Israël a par ailleurs rendu public un plan visant à déplacer 600 000 habitants de Gaza vers un gigantesque camp, qualifié de « ville humanitaire », à Rafah, dans la partie sud de l’enclave, à la frontière avec l’Égypte. Une fois installés dans cette zone, les Gazaouis ne pourraient en sortir que pour quitter le territoire en direction d’un autre pays. Le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a confirmé que le but ultime était de regrouper « tous les habitants » de Gaza dans ce camp. Ce projet a suscité une vague d’indignation, ses opposants y voyant une forme de « nettoyage ethnique », comme l’a déclaré l’ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert dans The Guardian, ainsi qu’un premier pas vers un retour d’une administration israélienne directe sur le territoire palestinien.
Un éloignement assumé vis-à-vis des États-Unis
Les États-Unis, alliés indéfectibles d’Israël, ont exprimé rapidement leur désapprobation face à cette décision qu’ils jugent « imprudente » et seulement favorable à la « propagande du Hamas », mettant ainsi en danger le processus de paix. L’ambassadeur américain en Israël, Mike Huckabee, a ironisé vendredi sur X en affirmant que Macron n’avait pas indiqué la localisation du futur État palestinien : « Je peux maintenant révéler en exclusivité que la France offrira la Côte d’Azur ».
Cette éventuelle crispation avec leur allié traditionnel ne semble pas avoir freiné l’Élysée. Comme l’a noté le New York Times, les relations entre Paris et Washington sont tendues, en raison de divergences sur la guerre en Ukraine, les droits de douane américains et les tensions personnelles avec le président Donald Trump. Emmanuel Macron aurait donc considéré qu’il était temps d’affirmer une différence de position vis-à-vis des États-Unis et de proposer une approche européenne autonome concernant le Proche-Orient, selon le quotidien.
« Il en va également de notre crédibilité : comment réclamer le respect des droits de l’homme et du droit international si nous appliquons un traitement à deux poids, deux mesures au bénéfice d’Israël ? », remarque pour sa part Gérard Araud.
« Il y a une tragédie, je peux comprendre que ce sentiment d’urgence ait poussé le président à avancer seul. Nous espérons que le Royaume-Uni nous suivra, mais pour l’instant, la France a décidé qu’elle ne pouvait plus patienter. »
Gérard Araud, diplomate français et ancien ambassadeur de Francesur France Inter
En devenant le 149e pays à reconnaître officiellement la Palestine aux Nations unies, la France espère encourager d’autres États influents à emboîter le pas. Cette décision, émanant d’un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et participant au G7, a un poids plus important que celle d’autres nations européennes telles que l’Espagne, l’Irlande ou la Norvège, qui avaient reconnu la Palestine à partir de mai 2024. Emmanuel Macron avait d’ailleurs tenté de coordonner cette reconnaissance avec le Royaume-Uni lors d’une visite à Londres le 10 juillet, sans succès pour le moment. D’après le Quai d’Orsay, le président n’a pas oublié non plus son objectif de « convaincre les Américains que la solution à deux États reste la plus porteuse d’espoir ».