L’annonce faite par le président de la République, le jeudi 24 juillet, a rapidement été corroborée par des déclarations convergentes du Royaume-Uni et du Canada. Les experts consultés par 42mag.fr se sont penchés sur cette démarche émanant de l’Élysée pour en déchiffrer les enjeux et les implications.
Ottawa suit l’exemple de Paris. Mercredi 30 juillet, le Premier ministre canadien, Mark Carney, a dévoilé son “intention” d’approuver la reconnaissance de l’État palestinien dès septembre prochain, lors de la session de l’Assemblée générale des Nations unies. Lors d’une conférence de presse, il a condamné le caractère “intolérable” de la “situation humaine dramatique à Gaza” et a défendu une solution basée sur deux États comme justification à cette démarche, une décision qui a été rapidement saluée outre-Atlantique. “Nous continuerons à encourager d’autres pays à s’engager dans ce mouvement”, a réagi l’Élysée en interview avec France Télévisions.
Le Canada devient ainsi le deuxième membre du G7 à aligner sa position avec celle d’Emmanuel Macron, qui, le 24 juillet, avait annoncé que la France reconnaîtrait officiellement l’État palestinien à l’automne, rejoignant ainsi 148 membres de l’ONU qui ont déjà franchi ce pas. Mardi, le Premier ministre britannique Keir Starmer a exprimé une intention similaire, sous condition que l’embargo alimentaire sur Gaza prenne fin. Jeudi, le Portugal a également progressé vers une reconnaissance, lorsque le cabinet du Premier ministre Luis Montenegro a indiqué que le gouvernement allait consulter, en septembre devant l’ONU, le président et le Parlement afin d’envisager officiellement cette reconnaissance.
Un élan déclenché par la France
Ce mercredi, Paris, accompagnée de 14 autres capitales occidentales, a invité le reste du monde à manifester leur volonté quant à la reconnaissance d’un État palestinien. “On observe déjà un début d’effet d’entraînement”, explique Nicolas Tenzer, expert en relations internationales pour 42mag.fr. “La France a véritablement lancé une dynamique”, ajoute Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po. Selon ce spécialiste, “Emmanuel Macron concrétise enfin le leadership diplomatique qu’il cherchait à établir depuis son premier mandat” à travers cette séquence internationale.
“La diplomatie française a pris les devants là où d’autres restent en retrait.”
Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Poà 42mag.fr
Ces annonces successives font suite à plusieurs mois d’incertitudes et de menaces. En mai dernier, Emmanuel Macron, conjointement avec Keir Starmer et Mark Carney, s’était déclaré “déterminé à reconnaître un État palestinien en soutien à l’établissement d’une solution à deux États” et “prêts à collaborer avec d’autres acteurs pour parvenir à cet objectif”.
Par ailleurs, “la politique étrangère française retrouve une certaine cohérence”, souligne Bertrand Badie. “Pour la première fois depuis plusieurs années, elle s’affirme en phase avec elle-même concernant la reconnaissance de l’État palestinien et l’adhésion à la solution à deux États. On ne pouvait soutenir l’idée de la solution à deux États sans officialiser la reconnaissance de l’État palestinien.”
Une évolution timide du positionnement allemand
La multiplication des déclarations émanant de plusieurs capitales occidentales incite également certains autres pays à se positionner, même si tous ne suivront pas l’exemple de la France, du Royaume-Uni et du Canada. L’effet “boule de neige” pourrait rester limité. Jeudi, l’Allemagne a confirmé sa position classique, estimant que « la reconnaissance d’un État palestinien doit venir au terme d’un processus » de négociations, tout en adoptant un ton plus pressant. « Ce processus doit être lancé dès à présent. L’Allemagne ne déviera pas de cet objectif. À défaut, elle devra réagir à toute décision unilatérale » israélienne, a averti le ministre allemand des Affaires étrangères, Johann Wadephul. Quant à l’Italie, sa dirigeante Giorgia Meloni n’a pas exclu formellement la reconnaissance prochaine de la Palestine.
Décrié par Donald Trump, qui a qualifié vendredi 25 juillet les déclarations françaises de “sans aucune importance”, Emmanuel Macron a néanmoins réussi à influer sur les équilibres, avec un Occident désormais beaucoup plus favorable à la cause palestinienne.
“Beaucoup pensaient, peut-être trop rapidement, qu’aucune nation majeure ne suivrait l’initiative d’Emmanuel Macron. Pourtant, une dynamique semble s’instaurer, bien que les annonces et engagements varient d’un pays à l’autre, ce qui commence clairement à poser problème à Israël”, analyse David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique. “La France et le Royaume-Uni siègent au G7 comme au Conseil de sécurité des Nations unies. Mis à part la Russie et la Chine, qui ont reconnu l’État palestinien au sein de cette instance majeure, il ne resterait plus que les États-Unis, détenteurs du droit de veto, pour empêcher cette reconnaissance.”
Une reconnaissance qui pourrait rester symbolique pendant un temps
La première phase de la stratégie d’Emmanuel Macron semble donc porter ses fruits, selon les experts interrogés par 42mag.fr. “Cette démarche constitue une réussite diplomatique pour Emmanuel Macron, qui applique sa méthode : lorsqu’un blocage survient, il s’agit d’essayer de progresser”, remarque Nicolas Tenzer. “Toutefois, nous sommes encore très éloignés d’une réussite politique concrète. D’une part, parce que Benyamin Nétanyahou, solidement soutenu par Washington, ne montre aucune inclination à changer de stratégie. D’autre part, parce que les conditions posées par Paris, telles que la démilitarisation du Hamas et le rétablissement du contrôle par l’Autorité palestinienne, restent largement hors de portée pour l’instant.”
Ainsi, la reconnaissance de l’État palestinien ne devrait pas entraîner d’amélioration rapide ou tangible dans la bande de Gaza, où la crise humanitaire demeure extrêmement préoccupante. Cependant, comme le souligne Jean-Paul Chagnollaud, président d’honneur de l’Institut de recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, ces soutiens à la position française renforcent la pression sur les rares pays n’ayant pas encore reconnu la Palestine, mais surtout sur le gouvernement israélien.
“Le rapport de forces évolue, ce qui contribue à isoler davantage Benyamin Nétanyahou.”
Jean-Paul Chagnollaud, spécialiste des relations internationalesà 42mag.fr
Ce questionnement est d’autant plus pertinent alors que les autorités israéliennes intensifient leurs menaces envers les Palestiniens. Le 23 juillet, la Knesset, Parlement israélien, a adopté une résolution non contraignante relative à l’annexion de la Cisjordanie, une revendication portée de longue date par la droite israélienne. Pour Bertrand Badie, “la reconnaissance de l’État palestinien pourrait rester un geste essentiellement symbolique pendant un certain temps, car seules des sanctions auront réellement un poids pour contraindre le gouvernement israélien”. Pour l’heure, cette option n’est pas explicitement évoquée par Paris.
Une possible radicalisation accrue du gouvernement israélien ?
Aux yeux d’Emmanuel Macron, l’un des objectifs est aussi de favoriser la stabilité régionale, notamment par le biais d’une reconnaissance éventuelle de l’État d’Israël par certains pays du Proche et Moyen-Orient. “Si cette dynamique venait à se confirmer, cela placerait les États arabes qui ne reconnaissent toujours pas Israël dans une position difficile,” suggère David Rigoulet-Roze.
En 2020, Bahreïn et les Émirats arabes unis ont reconnu Israël dans le cadre des accords d’Abraham, mais d’autres États, comme l’Arabie saoudite – qui co-présidera avec la France l’assemblée générale de l’ONU en septembre – ne l’ont pas encore fait. Riyad, ainsi que des pays comme l’Algérie, refusent toujours de franchir ce pas.
En ce sens, les retombées de l’initiative française restent modestes et certains craignent qu’elle ne pousse le gouvernement de Benyamin Nétanyahou vers une posture plus dure. “Un risque de montée en radicalisme existe,” prévient Jean-Paul Chagnollaud, tandis que Nicolas Tenzer observe que “les responsables israéliens ont déjà considérablement durci leur position.” Toutefois, il faudra patienter jusqu’à l’Assemblée générale de l’ONU à New York en septembre pour répertorier le nombre de pays traduisant en actes leur promesse de reconnaître l’État palestinien, ainsi que pour mesurer les impacts éventuels sur le blocus humanitaire et les opérations militaires israéliennes à Gaza.