Affaibli et peu populaire, le gouvernement dirigé par François Bayrou redoute la perspective de censures, même partielles, émanant des Sages.
Le Conseil constitutionnel va rendre son verdict jeudi 7 août à partir de 18 heures, afin de déterminer si plusieurs lois récemment adoptées, et particulièrement contestées, respectent bien la Constitution. Dans un climat politique et social chargé, les décisions seront scrutées avec beaucoup d’attention. De la loi agricole Duplomb à la réforme du mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille, 42mag.fr fait le point sur les textes en jeu.
Le texte agricole Duplomb
Ce texte envisage le rétablissement, sous conditions, d’un pesticide issu de la famille des néonicotinoïdes, l’acétamipride. Bien que nuisible à la biodiversité, il bénéficie d’une autre circonstance favorable: il est autorisé dans d’autres pays européens, et ses partisans, notamment la FNSEA, estiment qu’il est nécessaire pour protéger les filières betterave et noisette contre les pucerons. Par ailleurs, la loi assouplit les règles relatives à la construction de retenues d’eau, de mégabassines et d’établissements d’élevage intensif. Les débats autour de ce texte, puis son adoption, ont déclenché une forte mobilisation citoyenne. Une pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale a franchi les deux millions de signatures, battant tous les records.
Du côté de la gauche, les parlementaires évoquent plusieurs motifs d’inconstitutionnalité, estimant que le texte sacrifie la protection de l’environnement et le principe de précaution en matière de santé. « En règle générale, le Conseil cherche à concilier impératifs écologiques et liberté économique, d’entreprendre », rappelle Thibaud Mulier, spécialiste du droit public, à 42mag.fr. Toutefois, selon le politologue Benjamin Morel, l’institution pourrait invoquer « le principe de non-rétrécissement environnemental » pour justifier son raisonnement. « En 2020, ils avaient déjà validé le retour des néonicotinoïdes en chef matière, au motif qu’il s’agissait d’une mesure temporaire jusqu’en 2023 », poursuit l’enseignant-chercheur à l’université Panthéon-Assas. S’ils estimaient que la protection de l’environnement doit primer, les Sages pourraient censurer l’article relatif à l’insecticide sans remettre en cause les autres dispositions de la loi.
Les opposants au texte dénoncent aussi la manière dont il a été adopté, notamment avec le vote d’une motion de rejet préalable à l’Assemblée qui a freiné tout débat et tout dépôt d’amendements par les députés. Si le Conseil juge cette procédure inconstitutionnelle, il pourrait s’en prendre à l’intégralité de la loi. « Cela constituerait un désaveu cinglant » pour l’exécutif, estime Thibaud Mulier, sans toutefois y croire pleinement. « Cela signifierait un revirement de jurisprudence », souligne Benjamin Morel, « et il faudrait que les Sages sondent les motivations derrière l’usage de la motion de rejet afin de déterminer s’il s’agissait d’un moyen de contourner le droit d’amendement des députés ».
Qu’elle tranche partiellement ou intégralement, l’issue ne prononcera pas la fin du dossier. Une censure partielle serait perçue comme une victoire des écologistes et alimenterait la colère des principaux syndicats agricoles, tandis qu’un rejet de la loi pourrait relancer la contestation citoyenne à la rentrée. Le gouvernement n’a pas exclu la possibilité de rouvrir le débat au Parlement après le succès de la pétition, tout en excluant un report de la promulgation en cas d’avis favorable des Sages.
La loi sur le scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille
Plus technique, la proposition de loi dite « PLM », relative à Paris, Lyon et Marseille, vise à harmoniser le mode de scrutin municipal dans ces trois grandes agglomérations avec celui des autres communes, en supprimant les spécificités propres aux arrondissements. Le texte, porté par l’élu macroniste Sylvain Maillard et soutenu par l’exécutif, a été rejeté à deux reprises par le Sénat, où ses critiques venues tant de la gauche que de la droite dénoncent ce qui ressemble à un bricolage électoral et à une mise en musique forcée, à moins d’un an des élections municipales. La réforme a creusé les divergences au sein de la majorité et du gouvernement: Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, n’a pas souhaité défendre le texte, même s’il était soutenu par sa collègue à la Culture, Rachida Dati, candidate à la mairie de Paris.
Le principal argument contre le texte est d’ordre financier: l’irrégularité financière, selon les constitutionnalistes. « Ce texte crée des dépenses supplémentaires alors que les parlementaires n’en ont pas le droit, au nom de l’article 40 de la Constitution », analyse Thibaud Mulier. En introduisant deux scrutins distincts dans ces trois villes, contre un seul habituellement, la loi générerait des coûts supplémentaires (impression des bulletins, propagande officielle, multiplication des candidats et par conséquent des frais de campagne, etc.). « Si le Conseil veut censurer, il aura un angle d’attaque », résume Benjamin Morel. Cette ligne d’attaque pourrait faire tomber l’ensemble de la loi.
Les autres griefs formulés contre le texte, comme une éventuelle inégalité entre les communes, un éventuel manque de lisibilité du scrutin ou le fait que la réforme soit perçue comme trop proche de l’élection de 2026, paraissent plus fragiles selon les deux constitutionalistes consultés par 42mag.fr, au regard de la jurisprudence du Conseil. Le calendrier est très serré: la décision est attendue quelques jours avant l’ouverture de la période préélectorale municipale, fixée au 1er septembre.
La loi pour la refondation de Mayotte
Une combinaison de loi organique et de loi de programmation a été adoptée pour reconstruire Mayotte après le passage du cyclone Chido, survenu en décembre. Si ces textes suscitent un fort espoir local, plusieurs dispositions prévues dans la loi de programmation sont contestées par des élus écologistes, insoumis et socialistes, notamment du fait de mesures plus répressives sur l’immigration. Il s’agit notamment du durcissement des conditions d’obtention d’un titre de séjour pour les parents étrangers d’enfants nés à Mayotte. Par ailleurs, un logement dit « informel » ne sera plus pris en compte comme base de demande de regroupement familial.
« Une clause autorise la rétention administrative d’un étranger accompagné d’un mineur, ce qui est dérogatoire au droit commun et peut toucher l’intérêt supérieur de l’enfant », souligne Thibaud Mulier. Il rappelle que, dans le passé, les Sages avaient déjà accepté des solutions dérogatoires pour Mayotte, dans le cadre de la réforme de la nationalité, en mai. Une censure de ce volet constituerait un camouflet pour Bruno Retailleau, qui a placé la lutte contre l’immigration au cœur de son action.
La loi sur la rétention des étrangers jugés dangereux
Le ministre de l’Intérieur surveillera aussi le jugement des Sages sur le texte adopté après le meurtre de Philippine, une étudiante de 19 ans dont le corps a été découvert dans le bois de Boulogne en 2024. Le suspect, un ressortissant marocain en situation irrégulière déjà condamné pour viol, était sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) mais avait été libéré d’un centre de rétention administrative quelques semaines avant le meurtre.
La proposition de loi votée le 9 juillet prévoit d’allonger la durée de rétention des étrangers jugés dangereux, passant de 90 jours à 210 jours. Bruno Retailleau a salué « une avancée majeure » et « une loi qui peut sauver des vies ». En revanche, la gauche et des associations, dont France terre d’asile et la Cimade, qualifient ce texte de « démago » et d’« atteinte à l’État de droit ».
Le texte prévoit également le placement en rétention de certains demandeurs d’asile « dont le comportement constitue une menace à l’ordre public » et la possibilité de prélever des empreintes et de procéder à des photos d’identité sous contrainte afin de faciliter l’identification. Ces dispositions figuraient dans la loi sur l’immigration adoptée en 2023; mais les Sages avaient alors jugé que de nombreuses mesures constituaient des « cavaliers législatifs », sans lien direct avec le texte et avaient largement censuré la loi.