À la suite de la controverse entourant l’étudiante Nour Attaalah, le Quai d’Orsay a pris la décision de mettre un terme à l’accueil des Gazaouis désireux de venir en France. Ceux qui espéraient pouvoir arriver constatent désormais qu’une porte se referme. Ceux qui sont déjà présents sur le territoire français redoutent des représailles.
La connexion WhatsApp, déjà capricieuse, lâche encore un peu lorsque Bilal* craque. Le jeune Gazaoui de 22 ans est incapable de bouger ni de parler. Son départ vers Paris pour rejoindre une université et y poursuivre ses études de médecine à la rentrée était programmé. Il avait réussi à réunir les 8 500 euros nécessaires pour obtenir le visa et avait même trouvé un logement temporaire dans la capitale.
Puis tout s’est effondré, vendredi 1er août, avec l’annonce du gel provisoire des évacuations depuis l’enclave vers la France. « Ça a été un véritable déchirement. C’était comme si ma dernière lueur d’espoir s’éteignait », souffle l’étudiant, tétanisé à l’idée de rester enfermé dans cette tragédie humaine qui sévit à Gaza.
Sans autre choix, Bilal doit patienter. Le ministère des Affaires étrangères a bloqué l’ensemble des procédures d’accueil, le temps de faire la lumière sur une affaire complexe : comment Nour Attaalah, une étudiante gazaouie de 25 ans auteur de messages antisémites sur les réseaux sociaux, a-t-elle pu être autorisée à poser ses valises sur le sol français ? Une enquête a été ouverte. Celle qui devait intégrer Sciences Po Lille a finalement pris le chemin du Qatar, dimanche.
« C’est profondément injuste »
Combien sont-ils à avoir vu, comme Bilal, le sol se dérober sous leurs pas lors de l’annonce du dirigeant de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot ? Le Quai d’Orsay n’est pas en mesure de communiquer des chiffres précis. Pas davantage le ministère de l’Enseignement supérieur, qui accompagne les étudiants, chercheurs et enseignants originaires de Gaza accueillis en France.
Un premier aperçu est toutefois livré par le collectif d’avocats France-Palestine, spécialisé dans l’évacuation de civils palestiniens depuis octobre 2023. « D’après nos dossiers, une quarantaine de personnes, dont des familles avec enfants, étaient attendues dans les jours à venir en France », déclare l’avocate Lyne Haigar. « Tout était prêt, elles attendaient juste le coup de fil du consulat de Jérusalem pour se rendre au poste-frontière indiqué. »
« Nous sommes absolument consternés par la punition collective qui leur est infligée. Le cas d’une personne condamne l’ensemble du peuple palestinien, qui se voit attribuer sans nuance la présomption d’antisémitisme. »
Lyne Haigar, avocateà 42mag.fr
Bilal, lui-même, se voit contraint de se défendre. « Je rejette fermement ce que cette étudiante a publié ainsi que les idées qu’elle véhiculait. Elle doit assumer seule les conséquences de ses actes, sans que cela ne pénalise les autres qui tentent de sauver leur vie et de construire leur avenir« , déplore-t-il. « C’est profondément injuste. »
Pour intégrer les rangs de l’université dans les prochaines semaines, il assure avoir accompli tout ce qu’il fallait, et envoyé l’ensemble des documents requis. « Mon CV, mes relevés de notes, mes diplômes, des lettres de motivation et tout autre document académique pouvant appuyer ma candidature », énumère-t-il. Il apprend le français à l’aide de vidéos YouTube et de l’application Duolingo, « entre trente minutes et une heure par jour », lorsque la connexion internet de Gaza le permet et que les armes se taisent.

En réalité, la stupeur n’a pas touché que les éventuels entrants. Le ministère des Affaires étrangères a aussi promis un réexamen global du profil des quelque 600 personnes accueillies en France depuis octobre 2023, dont un peu plus de la moitié est arrivée depuis le début de 2025, selon une source diplomatique à 42mag.fr.
« Je deviens parano »
Cette annonce a aussitôt circulé comme une traînée de poudre parmi les Gazaouis installés dans l’Hexagone. « Qu’est-ce que la police va vérifier ? Ce que j’ai publié ces derniers mois ? Mes messages désespérés ? La liste des proches qui sont morts ? Vont-ils scruter mes échanges ? » s’inquiète l’un d’eux, qui préfère garder l’anonymat par crainte que son dossier soit compromis. « Mon gars, j’espère que tes réseaux sociaux sont propres », lance un autre, d’une trentaine d’années, comme un conseil amical. « Pour être franc, je n’ai pas envie d’en parler », admet un troisième Gazaoui, étudiant en France.
« J’ai décidé de faire profil bas et de ne plus publier nulle part pour l’instant. C’est terrible, car je n’ai rien à me reprocher ! Je deviens parano. »
Un Gazaoui installé en Franceà 42mag.fr
« Tous les Gazaouis avec qui nous échangeons craignent, confirme l’avocate Lyne Haigar. Ils ont déjà été examinés de près au moment de sortir de Gaza. Et là, ça recommence… » En quoi consistent exactement ces vérifications ? Le Quai d’Orsay préfère rester discret. « Cela ressemble à une grosse frénésie qui, espérons-le, va retomber rapidement », juge une source d’un autre ministère.
Selon nos informations, un retour d’expérience entre les ministères concernés par la sélection des personnes accueillies est envisagé. « Peut-être faudra-t-il resserrer les mailles du filet afin d’éviter que cela se répète », explique une autre source ministérielle, en référence à Nour Attaalah. Jusqu’ici, « les profils étaient soumis à un double filtrage au cas par cas, mené conjointement par le Quai d’Orsay et les autorités israéliennes ». “Ces dernières valident et autorisent les départs après avoir vérifié chaque dossier. Pour sa part, le ministère de l’Intérieur effectue un contrôle des fichiers de police”, précise cette même source.
« Je suis affamé, en danger, épuisé et brisé moralement »
Rue Descartes, dans les couloirs du ministère de l’Enseignement supérieur, on affirme vouloir continuer d’accueillir des étudiants et enseignants originaires de Gaza. « Les critères d’excellence académique pour les sélections restent inchangés », assure-t-on.
Poussé par le désespoir, Bilal a rédigé une lettre destinée aux autorités françaises, les priant de « reconsidérer » son dossier. « Je vous écris aujourd’hui alors que je suis affamé, en danger, épuisé et moralement brisé. Même dans ces heures les plus sombres, je choisis de croire en la France, ce pays qui incarne la liberté, l’égalité et les droits humains », insiste le Gazaoui. « Je vous en prie. Donnez-nous une chance, non seulement d’étudier, mais de vivre. Épargnez-nous ce cauchemar et reconstruisez notre avenir », poursuit-il. Le texte, d’une vingtaine de lignes, que 42mag.fr a consulté, se conclut par ces mots : « S’il vous plaît, ne laissez pas notre espoir mourir ici. »
*Le prénom a été modifié à la demande de l’interlocuteur.