François Bayrou souhaite inciter les entreprises à verser une contribution au budget de l’État, en compensation du surcroît d’activité qu’elles pourraient connaître si le lundi de Pâques et le 8 mai devenaient des jours travaillés. Cependant, l’ampleur du gain promis par cette réforme continue de susciter le débat.
A intervalles très réguliers, François Bayrou abandonne son rôle de Premier ministre pour celui d’un lanceur d’alerte: selon lui, les Français ne travaillent pas suffisamment et ne produisent pas assez comparé à leurs voisins européens, en particulier les Allemands. Il entend corriger ce décalage dès la présentation du premier budget où il a réellement prise sur le dossier, lui qui a pris Matignon en décembre, après le retrait de Michel Barnier.
Pour y parvenir, le chef du gouvernement compte s’appuyer sur une idée « très controversée, qui a fait beaucoup de commentaires », selon sa propre évaluation : la suppression envisagée de deux jours fériés à partir de l’année 2026. Le Premier ministre a sollicité les partenaires sociaux afin de négocier certains paramètres de cette mesure, dans un courrier envoyé vendredi 8 août et que 42mag.fr a pu consulter dimanche, confirmant une information des Echos.
Une journée de travail payée normalement
La bataille du Béarnais n’est pas seulement idéologique : dans un contexte de finances publiques particulièrement fragilisé, faire travailler les Français deux jours supplémentaires par an permettrait d’espérer « 4,2 milliards d’euros dès 2026 pour le budget de l’État », selon l’estimation qu’il a partagée dans son courrier. Cela représente un peu moins de 10 % des 43,8 milliards d’économies qu’il vise dans le cadre du budget 2026.
Concrètement, comment ce « rendement » serait-il obtenu ? Tout d’abord, « les salariés mensualisés et les agents publics ne seront pas rémunérés davantage pour ces nouvelles heures de travail, qui ne seront pas décomptées comme des heures supplémentaires », selon le projet initial. Autrement dit, les salariés seront payés à leur valeur habituelle. Cela différerait donc de la journée de solidarité, souvent fixée par les entreprises le lundi de Pentecôte et pour laquelle les travailleurs ne perçoivent pas de salaire.
C’est à ce stade que l’État intervient. « En contrepartie de ce surcroît d’activité dont elles bénéficieront, les entreprises s’acquitteront d’une contribution, qui nourrira l’effort de redressement de nos comptes publics », explique François Bayrou pour défendre sa mesure, que certains proches du Premier ministre voient comme une opération de communication politiquement délicate. Sur le papier, les efforts fournis par les salariés du public et du privé ne profiteraient donc pas directement aux entreprises, qui devraient reverser des fonds à l’État.
Vers un taux similaire à celui de la journée de solidarité
Pour l’instant, le gouvernement n’a pas précisé le montant exact de cette contribution. À titre de comparaison, pour la journée de solidarité, les entreprises versent 0,3 % de leur masse salariale brute annuelle à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). En 2025, la contribution des entreprises a représenté environ 2,5 milliards d’euros, selon la CNSA (PDF), dont 2,1 milliards provenaient du seul secteur privé. Étant donné que le gouvernement vise le même rendement pour chaque jour férié travaillé en 2026, il est peu probable que la contribution soit nettement différente, donc autour de 0,3 %. Le secteur public, quant à lui, ne serait pas appelé à contribuer, car les agents publics sont déjà rémunérés lorsqu’ils travaillent un jour férié et les ressources des administrations publiques sont déjà intégrées au budget de l’État.
Fermement opposés à cette mesure, les syndicats avancent leurs propres calculs pour dénoncer un tour de passe-passe qui pourrait, en fin de compte, profiter aux entreprises. « Deux jours [de travail en plus], c’est 1 % de la masse salariale, soit 8 milliards d’euros. Le gouvernement compte faire contribuer les salariés à hauteur de 8 milliards d’euros et va demander au patronat de rembourser 4 milliards [4,2 milliards précisément] », a pointé dimanche soir François Hommeril, président de la CFE-CGC, sur 42mag.fr. « Dans cette affaire, le patronat gagne autant que l’État, et ce sont les salariés qui paient tout. On va baisser le pouvoir d’achat des salariés, on va les amener à travailler plus et il n’y aura aucun gain économique pour la France à terme. »
Faux, réplique le gouvernement, qui espère à la fois assainir les finances publiques et favoriser la croissance. « Deux jours sur 365, cela équivaut à environ 0,5 % d’activité en plus », estimait Amélie de Montchalin, la ministre des Comptes publics, devant l’Assemblée nationale, à la mi-juillet.
Des gains très limités pour les entreprises ?
Alors, qui dit vrai sur la « valeur » de ces deux jours fériés, actuellement chômés, s’ils étaient travaillés ? L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a tenté d’apporter des éléments sur l’influence des jours travaillés sur l’activité. En 2024, le PIB a progressé d’environ 0,10 point, « le gros de l’effet venant de deux lundis ouvrés de plus en 2024 par rapport à 2023 » selon une note d’octobre 2023. Chaque jour ouvré aurait ainsi généré environ 0,05 point de PIB supplémentaire en 2024, soit près de 1,5 milliard d’euros en termes de croissance.
Cependant, certaines voix mettent en évidence des angles morts économiques de la réforme. Pour Michel Picon, de l’Union des entreprises de proximité (U2P), l’activité accrue sur le lundi de Pâques et le 8 mai ne permettra pas nécessairement à toutes les entreprises de reverser la contribution à l’État sans être pénalisées. « Ces deux jours travaillés n’apporteront pas automatiquement plus de rentabilité, plus de chiffre d’affaires », a-t-il déclaré sur 42mag.fr, ajoutant que la mesure risquait de « mettre la pagaille dans le pays ». Certains secteurs fortement dépendants des jours fériés, comme le tourisme, pourraient aussi subir une baisse d’activité liée à cette suppression.
Du côté des finances publiques, la réforme aurait également ses effets négatifs. « Le lundi de Pâques est l’une des journées où il y a le plus fort taux de consommation dans notre pays », affirmait Cyril Chabanier, président de la CFTC, sur BFMTV à la mi-juillet. Selon lui, cela pourrait entraîner des pertes de TVA sur ces journées, une taxe qui a rapporté à l’État plus de 200 milliards d’euros en 2024. « Ça fera beaucoup de bruit social pour une rentrée d’argent très faible. »
Pas de « marges de manœuvre » sur l’objectif de 4,2 milliards d’euros
Les syndicats tenteront-ils de dissuader le gouvernement d’inscrire cette réforme dans le prochain budget ? La perspective de discussions officielles avec les partenaires sociaux en septembre semble aujourd’hui très incertaine, affirmait dimanche soir François Hommeril, de la CFE-CGC, évoquant une « arnaque absolue ».
« Il n’est pas question d’aller négocier les voies et les moyens par lesquels on va se faire voler. »
François Hommeril, président de la CFE-CGCsur 42mag.fr
Quoi qu’il en soit, les « marges de manœuvre » évoquées par François Bayrou restent modestes. « Le choix des deux jours fériés identifiés peut être discuté, dès lors que le rendement de la mesure est préservé », a prévenu le Premier ministre. En pratique, l’exécutif n’autorisera pas les partenaires sociaux à négocier sur le nombre de jours fériés supprimés ni sur le niveau exact de la contribution des entreprises.
Cependant, ils pourraient trouver un terrain d’entente sur les questions concernant les salariés et les agents qui travaillaient déjà ces jours-là, ou sur le respect des particularités régionales. Par ailleurs, l’entourage du Premier ministre a précisé à 42mag.fr, lundi, qu’il n’est pas envisagé d’aborder les deux jours fériés supplémentaires actuellement accordés à l’Alsace et à la Moselle. « Cette spécificité doit être prise en compte dans la négociation », assure-t-on à Matignon, à l’approche d’une rentrée sociale qui s’annonce particulièrement tendue.