Quinze mois après sa disparition, Robert Badinter sera intronisé au Panthéon le jeudi 9 octobre. Avocat de métier, garde des Sceaux et président du Conseil constitutionnel, il a connu une carrière considérable et restera célèbre pour avoir aboli la peine de mort. France Télévisions a rencontré des personnalités présentes le 17 septembre 1981, alors qu’il prononçait son plaidoyer célèbre.
Ce passage provient d’une retranscription partielle du reportage évoqué plus haut. Pour le visionner dans son intégralité, cliquez sur la vidéo.
Le 17 septembre 1981 : lorsque Badinter s’avance jusqu’à la tribune, il comprend qu’il est sur le point d’écrire l’Histoire. « J’ai l’honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France », lance-t-il. Trois témoins en témoignent. « À vingt ans, lorsque l’on aspire à devenir avocat, comment oublier un moment pareil ? », s’interroge Éric Dupond-Moretti, alors jeune avocat et ancien garde des Sceaux. « On est emportés par la magie des mots et l’on participe à un tournant historique », assure Claude Bartolone, alors député.
Ce discours, François Binet, ami et ancien collaborateur de Badinter, l’a vécu de près. « C’est l’arrivée à l’Assemblée, on le sentait tendu. Très tendu ». Aux côtés d’Élisabeth Badinter, il assiste depuis la tribune à ce qu’il décrit comme la plaidoirie en faveur de l’abolition de la peine de mort. « Je dis que cette conception-là de la justice n’est pas celle des pays de liberté », affirme Badinter. « C’est un avocat qui se lève et je retrouve là, avec un bonheur que vous ne pouvez pas imaginer, les tons d’avocat des grandes plaidoiries de Robert Badinter. Il n’est plus le ministre, il est avant tout un avocat », commente François Binet.
Claude Bartolone, également présent, était alors un jeune député socialiste en 1981. « Ça, c’est moi, » raconte-t-il en montrant une photo. « Vous voyez, on était vraiment envoyés en haut, les petits jeunes. » Quarante-quatre ans plus tard, l’élan du moment ne le quitte pas. « Ça, c’est trop fort : ‘Je sais qu’il n’y a pas dans la peine de mort de valeur dissuasive.’ Sa voix résonne, son argument s’ancre dans ma tête et dans mon cœur. Cette phrase-là, ce passage de son discours, je ne l’oublierai jamais », assure-t-il.
« Tout jeune avocat devrait regarder ce discours »
Éric Dupont-Moretti, alors âgé de 20 ans, s’apprêtait à embrasser la profession d’avocat et était animé par une aversion viscérale pour la peine capitale : « Tout jeune avocat gagnerait à écouter ce discours. C’est un exemple remarquable. » Il se rappelle la rue qui s’opposait à l’abolition et les opposants qui accusaient Badinter de défendre les assassins. « Je préfère rester un Français discret plutôt que d’être un criminel célèbre » entendait-il dans les critiques. « On passe de la barbarie à la civilisation, et cela se fait dans la douleur. N’oubliez pas que, place Vendôme, des policiers et Jean-Marie Le Pen criaient ‘Badinter assassin’ », rappelle-t-il.
Pourtant, dans l’hémicycle, le ministre s’impose. « Jaurès, à cet instant-là, je te salue au nom de vous tous », affirme l’orateur dans son style et son assurance. « Ils ont eu l’impression d’affronter un lion, et il leur a été difficile de l’arrêter », note François Binet. « Ce n’était pas un match égal : celui qui jouait en première division était seul face à des amateurs », ajoute Claude Bartolone. Éric Dupont-Moretti conclut : « J’aurais tant aimé avoir écrit ces mots. J’aurais tant aimé les avoir prononcés moi-même ».
« La justice française ne sera plus une justice qui tue »
Après deux journées de débats vifs et intenses, les députés votent en faveur de l’abolition de la peine de mort. À ce moment, la France se range parmi les derniers pays européens à renoncer à la peine capitale. « La justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, c’est l’abolition. De tout mon cœur, merci », concluait alors Robert Badinter.