En passant en revue la première partie du projet de loi de finances, celle qui concerne les recettes de l’État, les élus ont notamment pris des mesures importantes : ils ont validé la défiscalisation des heures supplémentaires, révisé le taux d’un impôt destiné aux Gafam et rejeté la taxe Zucman. Franceinfo vous expose les évolutions apportées au texte.
Sébastien Lecornu l’avait répété à l’ouverture des discussions budgétaires à l’Assemblée nationale, vendredi 24 octobre : le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 présenté par le gouvernement est “imparfait” et les parlementaires doivent s’employer à l’améliorer. Pendant dix jours de débats, parfois houleux, les députés des diverses formations ont tenté de modifier la première partie du texte, dédiée aux recettes de l’État.
Les travaux, qui devaient s’achever mardi 4 novembre, ont été suspendus faute d’avoir couvert l’ensemble des problématiques. Les parlementaires reprendront donc leurs discussions après le vote sur la première partie du projet de financement de la sécurité sociale, prévu normalement mercredi 12 novembre. Avant ce transfert d’investissement, les députés ont pu instaurer de nouvelles ressources pour l’État, notamment en alourdissant la taxation des hauts revenus et des entreprises multinationales ou en rétablissant l’“exit tax”. Ils ont aussi rejeté le gel du barème de l’impôt sur le revenu ainsi que la taxe Zucman.
Franceinfo rappelle les principaux effets apportés au PLF 2026, en attendant la suite de son parcours législatif et les prochains ajustements susceptibles d’intervenir lors des navettes entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Le durcissement de l' »exit tax » : adopté
L’Assemblée a validé un amendement de Jean-Philippe Tanguy (RN) rétablissant l’“exit tax” – impôt sur l’expatriation – dans sa forme originelle. Cet impôt avait été instauré sous Nicolas Sarkozy pour lutter contre l’évasion fiscale des actionnaires, avant d’être fortement diminué par Emmanuel Macron en 2018.
Ce texte a été soutenu par le Rassemblement national et son allié de l’Union des droites pour la République (UDR). Il a été rejeté par les macronistes, les centristes et la droite traditionnelle, tandis que la gauche s’est largement abstenue. Selon la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, la mesure devrait générer environ 70 millions d’euros.
L’assouplissement de la fiscalité sur la vente d’une résidence secondaire : adopté
Pour une vente d’un bien immobilier qui ne constitue pas votre résidence principale, la plus-value est exonérée si vous détenez le bien depuis plus de vingt-deux ans. Un amendement porté par Corentin Le Fur (LR) réduit ce délai à dix-sept ans afin de “stimuler” les cessions immobilières. Cet amendement a été adopté avec les voix des Républicains, du Rassemblement national et du Parti socialiste. À l’inverse, les macronistes et LFI se sont abstenus ou ont voté contre.
Le durcissement du pacte Dutreil sur la transmission d’entreprise : adopté
Mis en place en 2003, le pacte Dutreil vise à alléger la fiscalité lors des transmissions familiales d’entreprises. Les députés se sont disputés sur le coût pour les finances publiques et les possibilités d’optimisation fiscale évoquées par un rapport de la Cour des comptes qui a été dévoilé par Le Monde. Ils ont finalement adopté un amendement du macroniste Jean-René Cazeneuve destiné à mieux encadrer ce dispositif, en excluant les biens non professionnels afin d’éviter qu’il soit détourné pour réduire les droits de succession. Cette mesure a reçu le soutien de la gauche, mais a divisé les macronistes et a été repoussée par la droite, tandis que le RN s’est abstenu.
La fiscalisation des indemnités journalières des personnes en affection longue durée : rejetée
L’Assemblée nationale a rejeté l’une des dispositions les plus contestées du budget, celle qui prévoyait d’assujettir à l’impôt sur le revenu les indemnités journalières versées aux personnes atteintes d’une affection longue durée (ALD). Un amendement de La France insoumise, s’opposant au choix gouvernemental, a été largement adopté.
Aurélien Le Coq (LFI) a dénoncé une proposition représentant « la quintessence de l’ignominie et de la violence sociale que peut incarner ce budget ». De son côté, Corentin Le Fur (LR) a dénoncé une « mesure mesquine et injuste ».
L’alignement de l’abattement sur les successions pour les beaux-enfants : adopté
« L’idée est de moderniser notre fiscalité des successions afin de tenir compte des familles recomposées et d’envoyer un signal fort de modernité », a soutenu le macroniste David Amiel. Il a repris un amendement de Jean-René Cazeneuve visant à aligner l’abattement sur les successions pour les beaux-enfants sur celui des frères et sœurs, soit un passage « de 1 594 euros à 15 932 euros ». L’Assemblée nationale a approuvé cette mesure.
L’impôt sur la fortune improductive : adopté
Une alliance de députés socialistes, du Rassemblement national et du MoDem a apporté son aval vendredi soir à une modification de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) afin d’intégrer dans l’assiette des « actifs improductifs », tels que les biens immobiliers non productifs, les biens meubles précieux (objets de valeur, voitures, yachts, avions, meubles), les actifs numériques et les assurances-vie pour des fonds non dédiés à l’investissement productif, tout en excluant la résidence principale comme le souhaite le RN. Si le PS s’est réjoui d’un rétablissement de l’ISF, La France insoumise a dénoncé un IFI « affaibli ». Le RN a salué une mesure “inspirée” de son programme.
La hausse de la taxation du rachat d’actions : adoptée
Les parlementaires ont également adopté un amendement du Rassemblement national qui modifie fortement le taux appliqué lors des rachats d’actions, le portant à 33% au lieu de 8%. Cet amendement est estimé générer 8 milliards d’euros selon le député RN Kévin Mauvieux. Par ailleurs, La France Insoumise a réussi à faire adopter, à l’issue d’un vote serré, un amendement instituant une taxe exceptionnelle sur les superdividendes.
L’impôt sur les bénéfices des multinationales : adopté
Les députés ont largement soutenu un amendement de La France insoumise visant à imposer les profits des multinationales proportionnellement à leur activité en France et à lutter contre l’évasion et l’optimisation fiscales. Cette mesure a été soutenue par les groupes de gauche et par le RN, mais rejetée par le camp gouvernemental (207 contre 89). Le gouvernement s’y est opposé. Cet « impôt universel » sur les multinationales, inspiré par l’association Attac et l’économiste Gabriel Zucman, pourrait rapporter environ 26 milliards d’euros au budget de l’État, selon ses partisans. Pour le ministre de l’Économie, cela créerait « 2020 milliards d’ennuis » supplémentaires pour la France, déjà signataire de nombreuses conventions fiscales.
Mercredi, une alliance entre la gauche et le RN a permis l’adoption d’un autre amendement, porté par La France insoumise, élargissant le champ d’application de l’impôt minimum de 15% sur les bénéfices des multinationales. Institué par le gouvernement en 2024 dans le cadre d’un accord international coordonné par l’OCDE, ce prélèvement vise à répondre à l’évasion fiscale des grandes entreprises. Initialement limité aux sociétés générant plus de 750 millions d’euros de revenus annuels, ce dispositif aurait touché une part plus large du secteur. L’Assemblée a ainsi abaissé le seuil à 500 millions d’euros, élargissant le champ d’application et touchant davantage d’entreprises, selon l’estimation d’Oxfam.
La défiscalisation des pensions alimentaires : adoptée
La mesure de défiscalisation concernera les bénéficiaires de pensions alimentaires. Cette somme perçue par l’un des parents après une séparation, destinée à l’entretien et à l’éducation d’un enfant, ne serait plus soumise à l’impôt sur le revenu si le budget est adopté. L’amendement porté par l’écologiste Marie-Charlotte Garin introduit une limite à cet avantage fiscal de 4 000 euros par enfant, plafonné à 12 000 euros par an. Par ailleurs, les députés ont prévu la fiscalisation pour les personnes qui versent une pension alimentaire, malgré l’opposition gouvernementale.
La défiscalisation des heures supplémentaires : adoptée
Les députés ont approuvé la défiscalisation totale des heures supplémentaires, soutenue par les élus des Républicains. Cette mesure, portée par Laurent Wauquiez, supprime le plafond actuel de 7 500 euros, au-delà duquel les heures supplémentaires étaient fiscalisées. Le coût pour l’État est estimé à un milliard d’euros selon la ministre des Comptes publics.
Un crédit d’impôt pour les frais d’Ehpad : adopté
Proposée par La France insoumise, cette disposition a été adoptée de justesse, avec le soutien de l’extrême droite et de la gauche, à l’exception des socialistes. Elle vise à soutenir les résidents des Ehpad ou leurs familles à revenus modestes en transformant une réduction d’impôt de 25% sur les frais d’hébergement en crédit d’impôt. Actuellement, seule une fraction imposable pouvait bénéficier de la réduction, ce qui excluait les foyers les plus modestes qui ne paient pas d’impôts.
La réduction de la niche fiscale des journalistes : adoptée
Les députés ont accepté de limiter le plafond de revenus ouvrant droit à l’abattement visant les journalistes. Actuellement, ces derniers bénéficient d’un abattement de 7 650 euros lorsqu’ils perçoivent jusqu’à 93 510 euros par an. Un amendement de Denis Masseglia (Ensemble pour la République) propose de réduire ce plafond à 3,5 fois le salaire minimum (%SMIC), soit aujourd’hui 75 676 euros. Le texte a été approuvé largement à main levée, malgré l’avis défavorable du gouvernement.
La suppression d’un avantage pour la fast-fashion : adoptée
Les députés ont aussi adopté un amendement du groupe Horizons visant à retirer, pour les entreprises de mode rapide comme Shein ou Temu, un avantage fiscal “dont elles bénéficient actuellement au titre de l’article 238 bis du Code général des impôts”, afin qu’elles ajustent leurs modes de production et de commercialisation.
La contribution sur les hauts revenus : prolongée
La contribution différenciée sur les hauts revenus, instaurée en 2025 dans le cadre du budget du gouvernement Bayrou, a été prolongée. Dès le premier jour d’examen du budget, les députés ont largement approuvé (279 pour, 25 contre) le maintien de ce dispositif jusqu’au moment où le déficit descendrait sous les 3% du PIB, prévu potentiellement en 2029. Initialement, le gouvernement visait une prolongation limitée à 2026. Cette mesure fixe un taux d’imposition minimal de 20% pour les ménages dont les revenus dépassent 250 000 euros annuels, représentant environ 24 000 ménages, selon l’exécutif. Elle pourrait générer 1,5 milliard d’euros en 2026, selon le gouvernement.
La taxe sur les bénéfices des grandes entreprises : modifiée
Les parlementaires ont adopté un amendement qui ajuste le taux de la taxe sur les bénéfices des grandes entreprises. Il prévoit de concentrer l’effort fiscal sur les plus grandes entreprises du pays tout en allégeant la charge pesant sur les entreprises de taille intermédiaire, selon le gouvernement. L’objectif est de faire passer le rendement de la taxe à 6 milliards d’euros, contre 4 milliards prévus initialement dans le PLF 2026. Soutenue par l’ensemble de la gauche et par les députés MoDem, cette modification a divisés les rangs du parti présidentiel Renaissance.
Le doublement de la taxe sur les Gafam : adopté
Les députés ont décidé de porter le taux de la taxe Gafam, visant les grandes entreprises technologiques, à 6%, après un débat en séance publique, après une discussion en commission où certains avaient évoqué 15%. Le ministre de l’Économie, Roland Lescure, avait appelé à la prudence, rappelant le risque de représailles de l’administration américaine : « Si on introduit une taxe disproportionnée, on subira des représailles disproportionnées. »
La taxe sur les holdings patrimoniales : modifiée
Laurent Wauquiez, chef des députés LR, a obtenu l’adoption d’une version édulcorée de la taxe sur les holdings patrimoniales. Le dispositif initial prévoyait une taxe de 2% sur les holdings détenant au moins cinq millions d’euros d’actifs, avec plusieurs exceptions dont l’exclusion des biens professionnels et une estimation favorisant le rendement à environ un milliard d’euros. L’amendement voté limite désormais le nombre de holdings touchées en relevant le seuil de détention par une personne physique de 33% à 50% et en délimitant précisément l’assiette, listant les types de biens concernés. Selon le socialiste Philippe Brun, « À la fin, cette taxe n’est plus un gruyère, c’est une chips : ça ne concerne plus personne ».
La taxe Zucman et sa variante allégée : rejetées
Longuement discutée, très soutenue par la gauche, la taxe Zucman n’a pas franchi l’étape de l’Assemblée nationale. Les députés des formations centrales, de la droite et du RN se sont opposés à ce dispositif qui visait à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines dépasser 100 millions d’euros. Elle a été repoussée par 228 voix contre 172. Les socialistes avaient aussi proposé une version allégée, qui a été écartée.
L’impôt universel ciblé contre l’évasion fiscale : rejeté
Les députés ont rejeté, à une voix près (131 pour, 132 contre), un amendement de La France insoumise sur l’impôt universel ciblé, destiné à dissuader les contribuables partant s’établir à l’étranger pour fuir l’impôt. Eric Coquerel, député insoumis, le présentait comme une « taxe dissuasive ». Le RN a voté en faveur, contrairement au bloc macroniste. L’abstention des socialistes a été pointée par des responsables de La France insoumise. « Le pacte Faure-Lecornu s’affiche au grand jour dans l’hémicycle », a lancé Thomas Portes, accusation que le PS a rejetée.
Le gel du barème de l’impôt sur le revenu : rejeté
En première lecture, l’Assemblée a majoritairement rejeté le gel du barème de l’impôt sur le revenu. Un large éventail de députés, de l’extrême droite jusqu’à l’aile gauche des insoumis, en passant par la droite et une partie des macronistes, ont soutenu un amendement de Laurent Wauquiez, dirigeant du groupe LR, visant à indexer le barème sur l’inflation estimée à 1,1%. Cette proposition a été adoptée contre l’avis de la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, et aurait permis de rapporter environ 2 milliards d’euros.







