Qui se revendique encore de l’anarchisme de droite ? Il existe des Radicaux de gauche et eut existé des Gaullistes de gauche, mais des anarchistes de droite… Que nenni ! Enfin presque. François Richard, auteur de plusieurs ouvrages sur ce courant, a publié en 1991 un Que sais-je ? (« Les anarchistes de droite », PUF) qui développe et explique la position politique, morale et intellectuelle des anars de droite. Essentiellement portée par des écrivains, tel que Léon Daudet, Georges Bernanos et Louis-Ferdinand Céline pour les plus illustres, cette mouvance littéraire connut un bref versant actif dans les années 70 avec Michel-Georges Micberth (proche de F. Richard) et son parti Nouvelle Droite Française. Ignorés et inconsistants politiquement, les anarcho-droitiste sont des pamphlétaires à la plume acide, décomplexée, imagée – souvent intelligente et drôle – mais parfois proche de l’antihumanisme et du racisme. Aujourd’hui, et sans doute malgré lui, les textes du rappeur Booba font écho, par leurs structures et leurs sous-entendus idéologiques, aux auteurs anarchistes de droite.
Sulfureux
« Comme on ne parvient ni à les situer ni à les définir avec précision, on les ignore officiellement ou on les présente comme des personnages sulfureux et anomiques ». N’en déplaise à François Richard, « sulfureux » les anarchistes de droite le sont pour une bonne partie d’entre eux. Parmi les auteurs qu’il cite comme relevant de cette école, Louis-Ferdinand Céline, considéré comme l’un des plus grands écrivains français de l’histoire, embrassait dans ses écrits un certain antisémitisme (ou antisémitisme certain) : « Les juifs, racialement, sont des monstres, des hybrides, des loupés tiraillés qui doivent disparaître » (L’École des cadavres, 1938). Des propos, parmi d’autres, qui ont provoqué l’annulation de l’hommage national qui devait lui être rendu le 1 juillet 2011, date du cinquantième anniversaire de sa mort. Sulfureux encore, Joseph Arthur de Gobineau, dont François Richard regrette qu’il soit « accusé d’être le père de tous les racismes ». Bien qu’il puisse avoir été, selon lui, opposé à la démocratie colonisatrice, Gobineau fut aussi l’auteur d’un Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855). Essai qui distingue tout bonnement l’histoire des civilisations à travers trois races : la noire, la jaune et la blanche. Effectivement ! Edouard Drumont, antisémite notoire, créateur de la ligue nationale antisémitique de France et auteur du pamphlet La France juive (1886), est considéré comme anarcho-droitiste par F.Richard. Mais n’est-il pas pour autant sulfureux ?
Aristocratique
« Anomiques » ! Les anarchistes de droite le sont aussi, ils le revendiquent en quelque sorte. F.Richard définit d’ailleurs l’anarchisme de droite comme « une révolte individuelle, au nom de principes aristocratiques, qui peut aller jusqu’au refus de toute autorité instituée ». La République démocratique française est une autorité instituée, dont les valeurs et les droits doivent être respectés par les citoyens. Or, les anarcho-droitistes s’y refusent. Ils rejettent le principe démocratique. Pour eux « le nombre n’est rien ». D’après Micberth, la perspective quantitative « met en danger l’intelligence, les capacités créatrices et la singularité ». Les phénomènes de foule et le populisme répugnent les anarchistes de droite. Drumont s’en prend aux supporters du général Boulanger, qu’il qualifie de « fleuve humain, charriant, pendant des heures et des heures, toutes les ivresses, toutes les abjections, toutes les ignominies, toutes les prostitutions, toutes les crapuleries d’une ville comme Paris ». Léautaud est encore plus clair : « Non seulement je ne suis pas pour l’égalité (qui au reste n’existe pas) mais je suis pour les privilèges ». Ce fond de pensée aristocratique, on le retrouve chez l’autoproclamé Duc de Boulogne, le rappeur Booba : « Ce n’est pas qu’j’aime pas me mélanger mais disons simplement qu’les aigles ne volent pas avec les pigeons » (Rats des villes)
Paradoxal
Les anarchistes de droite se définissent également par une haine des intellectuels. Hiatus ! De toute évidence les écrivains (qu’ils sont) sont des intellectuels. Mais les anars de droite s’opposent essentiellement aux intellectuels médiatisés, politiques et idéologisés. « Ce qui est obscène et vicieux et horrible, ce sont les entités et les abstractions malsaines», écrit Georges Darien… Céline est plus direct dans Le Voyage au bout de la nuit : « Il avait le vice des intellectuels : il était futile » et plus insultant lorsqu’il évoque Jean-Paul Sartre, « un foutu donneur, une bourrique à lunettes, une ventouse baveuse ». Le monde des idées est perçu comme un leurre ou une utopie pour les anarchistes de droite. Ils préfèrent s’en tenir aux faits. «Il n’y a pas d’idées généreuses, elles sont bonnes ou mauvaises » pour Jacques Perret. « Je regarde les faits en tant que tels, sans modifier avec passion les règles du jeu. Je considère cela comme de l’hygiène mentale et de la simple honnêteté » poursuit Micberth. Une opposition nature/culture semble se rejouer entre les intellectuels et les auteurs anarcho-droitistes (de gauche comme de droite d’ailleurs; cf. Pauwels, La Droite la plus bête du monde). Il y a cette volonté, chez eux, de se distinguer du reste de la société comme du sous-groupe auquel ils appartiennent. « Ton rap c’est de l’art, moi j’suis pas un artiste », crache Booba. « En un mot je hais la prose… Je suis poète et musicien raté » expliquait Céline.
Révolté
Les anars de droite exècrent le lisse, le conformisme, le carcan républicain. Cette République illégitime. Eux, prônent une révolte individuelle, ce qui les distinguent, voir les opposent des anarchistes « classiques » (type Proudhon, Bakounine…) qui appelaient à l’émancipation des peuples et à l’exercice du pouvoir politique. « L’attitude naturelle de l’esprit est une attitude de rébellion », pour Bernanos. Cette attitude rebelle est un étendard que Céline veut conserver après sa mort : « Sur ma tombe, une seule épitaphe : NON ». Liberté et explosion du naturel au cœur d’une société plate et insipide, « c’est pousser comme une ortie parmi les roses », exprime Booba dans Ma définition. Pour les anarchistes de droite, comme Micberth, la gauche est l’ennemi : « Socialisme = égalisation, nivellement et enrégimentement qui avance de plus en plus ». La droite aussi en prend pour son grade. Micberth est même plus blessant, mais tellement drôle, lorsqu’il s’en prend à la droite populaire qui « pue de la gueule, habite dans des pavillons encaustiqués et enclos, à patins pour les parquets et à chiens méchants pour la trouille; diffuse des lieux communs, moralise, cancane, voue un culte sacré au bon sens, approuve l’armé et l’applaudit, suce les gendarmes et lapide la créature ». Jouissance du verbe, entre vulgarité et intelligence… Dommage qu’il soit si chiant face caméra !
Individualiste
L’égocentrisme est un phare, une conviction, un moyen de vivre pleinement et librement pour les anarchistes de droite. François Richard confirme ce trait : « Ainsi dans ce domaine, il n’y a pas la moindre ambiguïté : le monde, (pour eux), c’est le moi ». L’ « ego trip », pendant rap de l’individualisme littéraire, exacerbe le culte de la réussite personnel à travers un matérialisme de parvenu vulgaire et prétentieux. Ce courant américain fut importé en France notamment par Booba, qui déclare fièrement avoir « le prix d’une clio sur le poignet », avant de dénigrer ses concurrents : « Tu t’fais des casse-croutes j’me fais des restos, j’envoie des diamants à ma go t’envoies des textos ». Il existait déjà ce même désir de supériorité, cette même insolence chez Micberth : « Eux et moi ne faisons pas partie du même monde. Pas confondre. Ce qu’ils imaginent palais, je le vois chiottes ». L’apitoiement n’est pas une solution pour les anarchistes de droite. L’homme se doit d’être responsable de ses actes et de son avenir. « La pitié est un sentiment antinaturel, chrétien, qui ne peut exister que par la somme de dépravations qu’il renferme », affirmait Georges Darien. Même philosophie chez Booba, pour qui les banlieusards ne doivent rien attendre des institutions : « Tout le monde peut s’en sortir, aucune cité n’a de barreaux (…) J’viens d’en bas, j’ai réussi comme toi. J’me lève pour faire des love » (Game over).
Si « la culture moderne et contemporaine refusent les anarchistes de droite », comme le déplore François Richard, les anarchistes de droite rendent pourtant la pareille à cette culture de masse, cette République française, son système démocratique et ses institutions politiques, qu’ils réfutent en bloc. « Les anarchistes de droite ne se commettent pas dans les luttes politiciennes », précise F. Richard. En même temps, comme dit Booba, qui souhaiterait participer à « une partouze de chiens errants ».