Ce calice venimeux, portons-le à nos lèvres, et sirotons-le jusqu’à la lie. Perdu dans la vallée de l’ombre de la mort, ne nous reste, comme berger, que l’obscur éclair germanique d’Hölderlin, « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ». Car au fond de cet hiver slave, qui, depuis toujours, dévore tous les espoirs, éteint toutes les volontés, au fond d’une vie de souffrance étouffée par l’appât du gain, dans le cœur meurtri, le crâne usé d’un vieil acteur, il faudra bien que nous trouvions quelque salut. Que 42mag.fr ou Ivan le Terrible empale ce traître, le laissant agonisant, un gros menhir dans le fondement, n’y changera rien : il le déclarait en 2009, « personne ne pourra [le] détester autant [qu’il se] déteste [lui] même ».
Hier, sur Canal +, Mathieu Kassovitz, a réagi à la russifiction de Depardieu, affirmant que lui aussi était « en train de dégager ». Offrant une suite grotesque à la polémique lancée par Vincent Maraval, prolongée dans ces colonnes par Nicolas Prouillac, le fils – très – prodigue du cinéma français, déclarait que « créativement parlant, [il avait] du mal à continuer de travailler dans un pays qui [avait] enfermé le cinéma ». La France est en droit de demander à Mathieu « Mon fils, qu’as-tu fait de ton talent ? »
Luc 12, 16-21 : « Mais Dieu lui dit : insensé ! cette nuit même ton âme te sera redemandée ; et ce que tu as préparé, pour qui cela sera-t-il ? Il en est ainsi de celui qui amasse des trésors pour lui-même, et qui n’est pas riche pour Dieu. »
C’était en 1995 : plongé dans l’obscurité totale, l’hypnotique chute d’un cocktail Molotov, sur une planète terre en noir et blanc. La Haine ; césarisé, cannisé, starisé. Hubert Koundé, caillera sans concession, face à un keuf pas moins voyou, se braquant l’un l’autre. Noir, détonation. Plus qu’un grand film, le manifeste de la génération HLMs, qui jamais ne s’était reconnue dans le touchepasamonpotisme de ce Désir qui n’avait d’Harlem que le nom.
Qui était Mathieu Kassovitz ? Un « enfant de la balle », comme dirait Rockin’ Squat. Avec son second film, le jeune réalisateur donnait voix à une génération perdue. Beau, sensible, visionnaire, le film disait tout de la bombe sociale et identitaire qui couvait dans nos banlieues. Il lancera aussi une vague de « Hood Joints » à la française, imitant les Boyz’n’da’hood et Menace 2 society américains : Raï, Ma6TvaCraquer, La Squale. Inégaux.
L’axe du fail
C’est en 1997, lorsque Mathieu Kassovitz adapte en long son court, Assassin(s), que son histoire d’amour avec le cinéma français vire au cauchemar. Conspué, jugé gratuitement violent, le film crée une polémique dont le cinéaste ne se remettra jamais vraiment. Blessé, il considère toujours Assassin(s) comme son meilleur film.
« J’étais au milieu de ma course, et j’avais déjà perdu la bonne voie, lorsque je me trouvai dans une forêt obscure, dont le souvenir me trouble encore et m’épouvante. » L’Enfer, Chant premier, Dante [traduction d’Antoine de Rivarol]
Assassin, certes, mais également suicidaire. En septembre 2009, sur le plateau de Ce soir ou jamais, il déclare estimer nécessaire de clarifier des aspects des évènements du 11-Septembre. Couillu, sans doute, tant le sujet cristallise les passions. Inutile, car il n’apporte au débat que foutaises et donquichottises. Pitoyable : entouré de Christine Boutin, Marion Cotillard et Jean-Marie Bigard, dans un désespérant « axe du fail ».
En 2011, il sort L’Ordre et la Morale, un film sur la prise d’otages de 1988, dans la grotte d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie. Le film, plutôt bien reçu par la critique, est spectaculairement boudé par le public, et, plus grave, snobé par les césars. Mathieu Kassovitz dégoupille sur Twitter : « J’encule le cinéma français. Allez-vous faire baiser avec vos films de merde ».
L’oublié de Mulholland Drive
« C’est l’histoire d’un homme, qui tombe d’un immeuble de 50 étages. Au fur et à mesure de sa chute, pour se rassurer, il se répète: “Jusqu’ici, tout va bien.” […] Mais l’important, c’est pas la chute. C’est l’atterrissage… » La Haine, Mathieu Kassovitz, 1995
« Incompris », « conspué », « mal-aimé », en France, Mathieu Kassovitz va, tout au long de sa carrière entretenir un rapport ambigu au cinéma américain. De Spike Lee, et notamment de son Do the Right Thing (1989) il va s’inspirer en 1993, pour son premier long-métrage. Métisse, une ode yannicknoahiste au multiculturalisme, alors présenté non comme un fait, mais comme un bien en soi.
Un détour par le Mulholland Drive de David Lynch permet de comprendre la relation teintée de fascination, d’amour et de déception que Kassovitz entretien avec Hollywood. Mal compris, le film raconte l’histoire d’amour et de domination entre une jeune fille blonde, perdue à Hollywood, et une brune vénéneuse, qui, en fait, est une allégorie de l’industrie cinématographique américaine. Des Rivières pourpres, hommage français au film de genre « à l’américaine », à Gothika, film de commande saboté par ses propres producteurs, Kassovitz n’en avait pas encore assez. Grâce à Babylone A.D. , ambitieuse adaptation d’un roman de Dantec, il connut enfin le goût acre d’un plantage mondial et homérique, comme seule la démesure américaine sait en enfanter.
Pourtant, Hollywood semble avoir des raisons que la raison ignore, car dans son interview d’hier, il déclare, confus : « Moi, j’aime le cinéma. C’est devenu un média, mais c’est avant tout un art. J’aime l’industrie qui tourne autour de ça […] aux États-Unis, les choses sont plus carrées, car il y a des empires qui sont basés autour de cela. En France, on a tout cela mais, malheureusement, le public ne suit pas ». Plus loin, il dénonce paradoxalement le système français comme « copie conforme du modèle américain ». À qui la faute, donc ? À la France ? Aux États-Unis ? Au public ? À Cannes ? À l’industrie ?
La faute de « la France » évidemment
De La Haine aux Rivières Pourpres, de Gothika à Assassin(s), on peut chercher longtemps le fil directeur de l’œuvre de Kassovitz. On discerne une très actuelle et juvénile fascination pour la violence mais qui, pour une œuvre dont la temporalité recoupe presque exactement celle de Tarantino, ne peut constituer que le prétexte à une cruelle comparaison. La cohérence est à chercher ailleurs. De Métisse à L’Ordre et la Morale, c’est bien le très classique procès de la France qui est fait, de ses préjugés racistes, de sa République hypocrite, tout un verbiage que chacun ne connaît que trop bien. Celui d’une gauche qui n’a d’extrême que la bêtise, une gauche libérale et petite bourgeoise, détournée du peuple. Celui d’admirateurs de Martin Luther, qui aiment à oublier qu’il fut avant tout un pasteur, et qu’il demeure la dernière grande figure populiste de l’histoire des États-Unis. Mort pour le Salut du peuple américain tout entier.
Alors que nous écrivons ces lignes, au loin, les camarades les plus farouches aiguisent déjà la belle lame oblique. Quelques secondes, Messieurs les bourreaux ! Mathieu Kassovitz est un impulsif, un sentimental. Il est, avant tout, comme Gérard Depardieu, un homme blessé, comme chacun peut l’être à un instant de sa vie. Que l’on soit un enfant de la balle, déçu parce que mal-aimé, ou un enfant de la DASS qui tente de noyer son chagrin dans une pluie d’argent, toujours un vrai socialiste vous tendra la main.
Un mec bien
C’est ce qu’a tenté de faire Kassovitz, hier : « Depardieu a oublié que c’est un copyright comme le camembert. Depardieu représente la France. Depardieu est la France ». La remarque ressemble à celle qu’ont eu des milliers de Français ce dernier mois. Elle ressemble à celle de Jamel Debbouze, que les ignorants auront trop vite fait de classer chez les traîtres : « Oui, il s’est barré. Effectivement, il est emblématique mais on s’en fout. Gérard Depardieu, il fait très très bien son travail. C’est la raison pour laquelle il nous fait rêver. Maintenant, qu’il aille à Néchin ! C’est pourri Néchin, Gérard ! Qu’est-ce qu’ils vont faire de tout ce cholestérol ? Ils vont galérer les mecs ». Dans un français plus soutenu, voilà sans doute ce qu’aurait dû déclarer Ayrault. Peut-être aurait-il épargné à la France la honte de voir Poutine pérorer aux côtés d’Obélix, faute d’avoir pu construire son infâme cathédrale orthodoxe aux pieds de notre Tour Eiffel.
La France est une barque battue par une mer démontée. Du ciel descendent des éclairs d’une blancheur lugubre. À l’horizon, une sombre flotte se rapproche, l’équipage distingue désormais clairement l’étendard noir des pirates financiers. En ces circonstances, que les rats quittent le navire, c’est bien normal. Mais les vrais bonshommes, eux, doivent rester à leur poste.
Wallah, j’ai maturé
Luc 15:11–32 : « Je vous le déclare, c’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel, pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion. »
L’engagement politique de Jamel Debouzze avait mal commencé : sur le plateau d’En aparté, feu l’émission de Pascale Clark, il déclarait il y a quelques années : « Je n’ai rien contre le sang impur ». Interdits, nous écoutions le jeune comique balayer d’un point Godwin maladroit 200 ans de gloire révolutionnaire. Jamel était alors un improbable agrégat du pire de Faudel et du plus insignifiant de Yannick Noah.
Un peu plus tard, dans son avant-dernier spectacle, il déclarait, dans sa gouaille banlieusarde : « La vérité wallah j’ai maturé ». Lorsqu’on le vît à Cannes, les larmes aux yeux, avec ses camarades, entonner Le chant des africains, on se dît que c’était vrai. La bataille de boue déclenchée par la sortie du très décevant Obélix en Sibérie nous fait oublier le sublime. Interviewé par Claire Chazal, au journal de TF1, Jamel Debbouze, après avoir défendu Depardieu, comme symbole gaulois, tout en ayant affectueusement tancé sa démarche, conclut ainsi : « On a mis trop de temps à pouvoir s’installer […] Je serai le dernier à partir, c’est même moi qui fermerai la porte ! »
« Je baiserai la France jusqu’à ce qu’elle m’aime » Tandem
Mathieu, fais pas ton petit bourgeois. Reste, ne serait-ce que parce que Vinz, Hubert et Saïd, eux, ne peuvent toujours pas se barrer. Et qu’en plus ils ne veulent pas. Une vraie caillera ne peut qu’être patriote. La France, on l’a tellement niquée, jeune, que l’on devait finir par en tomber amoureux.
Robespierre et Peguy le savaient, elle est belle à en crever.