Lutter sans heurts, stoïquement. Lutter et vaincre. Lutter et triompher. Pacifiquement. Dictatures théologiques, militaires, ethniques, rien ne résiste à l’action non-violente. C’est du moins le message que cherche à faire passer ses promoteurs. La réalité rejoindrait-elle le rêve ? Qu’est-ce qui se cache derrière ce fantasme de toute-puissance ?
Le concept de non-violence n’est pas nouveau. Bien que non théorisé ni généralisé, il fut mis en œuvre par le Mahatma Gandhi dans sa lutte contre la puissance colonisatrice. Ce mode de protestation sera repris par de nombreuses causes dont celles de Martin Luther King ou de Nelson Mandela. Prestigieuses références. De nombreuses associations aux profils bien différents se réclament aujourd’hui de ces méthodes.
L’État américain en sous-main
La plus ancienne est certainement Freedom House. Fondée en 1941, elle vise à « promouvoir la démocratie et l’émancipation des peuples opprimés à travers le monde ». Implantée dans de nombreux pays, une grande part de son financement est issue du gouvernement américain. Son rôle est double. Il s’agit d’une part de la production d’analyses et de rapports, dont la plus célèbre est la carte des libertés dans le monde. Cette activité d’observation s’accompagne d’actions concrètes sur le terrain : formations aux méthodes de lutte dites non-violentes, information sur les droits… Supposément indépendante, l’importance du financement issu de l’État américain ainsi que la composition de son conseil d’administration font planer un doute certain. Si on ajoute le manque de transparence de son fonctionnement et de ses actions de terrain, le doute persiste et décrédibilise sérieusement ses agissements.
Du national à l’international
Plus récemment, le Centre for Applied Non Violent Actions and Strategies (Canvas) a été créé à Belgrade par des membres d’Otpor!. Il vise à encourager les actions non-violentes dans le but de promouvoir la démocratie et les droits de l’Homme. Quelle différence ? Le contexte de sa création et son mode de financement. Indépendant de tout État, ce centre est issu de la lutte de la jeunesse serbe contre le pouvoir de Slobodan Milosevic. D’abord concentré dans sur son activité nationale, le mouvement Otpor! (Résistance ! en serbe) ne tarde pas à exporter son savoir-faire. Il soutient notamment la révolution Orange ukrainienne et le mouvement Pora!.
Quel lien entre ces deux acteurs ? Avant tout, un lien de parenté très vraisemblable. Freedom House aurait formé et encadré certains des membres du mouvement serbe. Ensuite, une convergence idéologique indéniable. Enfin, des luttes communes : notamment lors des révolutions arabes. Pourtant, leur rôle ne semble pas être le même. L’un très proche du gouvernement américain paraît agir de façon très incitative, l’autre composé de jeunes ayant vécu les luttes se pose en encadreur. Ainsi l’un des formateurs du Canvas de déclarer au sujet des révolutions arabes : « Aucun changement de pouvoir n’est réalisé avec succès grâce à des formations ou un support international ; le désir de changement au niveau social et politique doit venir des gens. ».
L’existence et la forte implication de ces organisations dans les révoltes actuelles et passées ne sont pas sans soulever de nombreuses interrogations. Comment choisissent-elles leurs interlocuteurs ? Quelle est l’idéologie mise en œuvre ? Plus pragmatiquement quelle est l’efficacité d’une telle action ? Les exemples de la Syrie ou de Bahreïn semblent monter que la lutte non-violente n’est pas sans limite. Elle est très fortement dépendante d’une contingence extérieure. Si le Mouvement de la Jeunesse du 6 avril a réussi à obtenir gain de cause sur la place Tahrir, c’est avant tout du fait de l’inaction de l’armée. Vaste fumisterie ? Réel pouvoir ? Il est bien difficile d’évaluer l’influence et l’importance de tels mouvements. L’aboutissement d’une lutte est le produit de multiples facteurs hétérogènes. L’un d’entre eux est peut-être l’action non-violente. Mais à quel prix ?