Le 25 novembre 1970, Yukio Mishima et ses disciplines investissent la base militaire d’Ichigaya pour protester contre la démilitarisation du Japon…
« Vive l’empereur ! » Il est un peu plus midi quand Yukio Mishima achève son discours par ce dernier hommage. Il pensait que l’assistance serait sensible à ses appels à la fierté nationale et à l’honneur militaire ; il espérait même qu’elle le suivrait dans sa rébellion. Il n’en est rien : les insultes des soldats nippons ont fusé durant toute son intervention, se mêlant au vacarme charrié par les hélicoptères de la police. Désormais, il va mourir – la prise d’otage de la base militaire d’Ichigaya, à Tokyo, aura tourné court. Ce 25 novembre 1970, le Japon assiste au suicide de son écrivain le plus célèbre. Un geste dont émanent la rébellion, l’honneur et la liberté de son auteur.
Lorsque Mishima accomplit son seppuku (selon le rituel des samouraïs), son talent d’écrivain est reconnu dans le monde entier. « Confessions d’un masque », « Le Pavillon d’or », « La Mer de la fertilité » : à 45 ans ses écrits lui assurent déjà la postérité. Mais l’homme vit mal son époque, ou plutôt, il abhorre ce que l’époque a fait subir à son pays. Depuis 1945, son Japon est mort : il est américanisé ; les valeurs traditionelles laissent place à celles de la modernité ; sa nation, désormais aussi pacifique qu’humiliée, a perdu sa grandeur. En prenant en otage le général Mashita, puis en haranguant les troupes de la base d’Ichigaya, Yukio Mishima proteste contre un pays qui a renoncé à son honneur en renonçant à son passé ; en s’éventrant, il témoigne que lui, l’homme du passé, ne renoncera pas : il mourra avec honneur, pour des idées.
Le savoir-vivre et le savoir mourir
« Il y a deux sortes d’êtres humains : ceux qui écartent la mort de leur pensée pour mieux et plus librement vivre, et ceux qui au contraire, se sentent d’autant plus sagement et fortement exister qu’ils la guettent dans chacun des signaux qu’elle leur fait à travers les sensations de leur corps ou les hasards du monde extérieur. », écrit Margueritte Yourcenar dans « Mishima ou la Vision du vide ». Pour l’auteur la mort était une vielle amie, du moins si on l’a choisissait. Comme tout bon Samouraï, il sacralisait le Hagakuré, un guide datant du 18ème siècle composé de maximes philosophiques. La première d’entre elles : « J’ai découvert que la voie du Samouraï réside dans la mort. Lors d’une crise, quand il existe autant de chances de vie que de mort, il faut immédiatement choisir la mort ». Le 25 novembre 1970, Mishima a suivi le précepte du Livre des Samouraïs. Le geste aurait même, selon certains, été prémédité bien des années plus tôt. En 1966, dans son film « Yûkoku », il se met en scène, mimant le rituel morbide qu’il accomplira quatre ans plus tard. Dans une époque orpheline des valeurs morales traditionnelles, dans une société « décadente » où la vie est sacralisée, Mishima s’est violemment enfoncé un poignard dans le ventre avant de se faire trancher la tête : ultime pied nez à la modernité, dernier hommage à une ère révolue, et accomplissement fatidique du soi. Son suicide fut, selon Marguerite Yourcenar, « l’une de ses œuvres et même la plus préparée de tous. »