En décembre dernier sortait un incroyable documentaire intitulé « Lookin4Galt » sur le canadien Galt Macdermot, célèbre compositeur de la comédie musicale Hair sortie en 1968. L’objectif des journalistes Nicolas Venancio et Mathieu Rochet était simple : retrouver la trace du génial compositeur en interrogeant ceux qui ont samplé son œuvre ; les beatmakers, ces fameux architectes hip-hop à la culture musicale incroyable. L’occasion pour 42mag.fr de revenir sur la base musicale du rap : le sampling.
« Quand t’es producteur, que tu cherches des beats, tu deviens collectionneur. Un mec comme Large Professor est du genre incollable […] tu l’entends dans sa musique, tu sens qu’il s’y connaît grave. Q-Tip a pas énormément de disques, mais il a les disques introuvables. Pareil pour Pete Rock, ces mecs nous ont mis à la page ». Mister Walt, producteur de son état et intervenant dans le très bon documentaire de Gasface, n’aurait pas pu rendre plus bel hommage à sa discipline. Hommes de l’ombre, passionnés de musique et de l’histoire qui l’entoure, les beatmakers sont les premiers pourvoyeurs de frissons pour l’auditeur. Ces mêmes frissons qui le poussent à bouger la tête au rythme des percussions, sans imaginer immédiatement que la boucle qui le berce et l’enivre provient à la base d’une composition d’Isaac Hayes ou George Clinton. Telle est la magie du sampling : réinventer une mélodie tout en gardant ce grain old , impossible à retranscrire autrement que par un échantillonnage musical.
Les origines du sampling sont à mettre en parallèle avec l’histoire de la culture hip-hop. Les conditions de vie dans les ghettos new-yorkais ne permettaient pas à ses acteurs d’avoir accès à la musique si élitiste et théorique. Soit. La débrouille, meilleure amie de la misère, va permettre à ces passionnés de musique de surmonter cette problématique. Sans argent mais avec des idées, les pionniers du beatmaking vont poursuivre le travail de DJ Kool Herc le daron du breakbeat. En amoureux de la musique noire américaine et héritiers de celle-ci, les producteurs vont essorer soul, jazz et funk dans le but d’y trouver cette putain de vibe hip-hop. Bingo. De boucle en boucle, de variation rythmique en variation rythmique, ils vont mettre en place une nouvelle façon de voir et surtout construire la musique.
« Il perçoit puis réajuste, transforme et tant pis si on vient l’emmerder avec ces foutus droits d’auteur. »
Fouineurs insatiables, ils vont profiter de l’héritage culturel laissé par les paternels pour remettre aux goûts du jour une black music toujours plus influente malgré le poids des années. Un vinyle qui traîne dans une vieille chambre, une session digging dans une boutique perdue des États-Unis permettront l’apparition d’instrumentales ahurissantes. DJ Premier ou Pete Rock pourraient en témoigner. Commence alors le travail d’écoute, primordial, où l’oreille du producteur pour déceler la partie du morceau à sampler sera assurément aussi importante que son travail de découpage-recollage par la suite. Car oui, le beatmaker est un artisan. Il n’est pas musicien, il est amoureux. Amoureux de la musique, de l’émotion qui s’y dégage. C’est d’ailleurs ce qui lui permet de déceler la beauté de quelques notes d’un compositeur quand le commun des mortels n’y trouvera rien de plus que deux pauvres notes jouées. Il perçoit puis réajuste, transforme et tant pis si on vient l’emmerder avec ces foutus droits d’auteur.
Un éclectisme dans le choix des samples
Le documentaire de Gasface fait office d’hommage du monde du hip-hop à l’un des compositeurs les plus samplés de son histoire : Galt Macdermot. Source d’inspiration immense pour bon nombre de producteurs des 90’s, à l’origine du missile Woo Hah !! de Busta Rhymes en 1996, Macdermot, comme James Brown, a été un pourvoyeur de choix pour les plus brillants beatmakers américains. En 2006, Oh No le remerciait officiellement en lui consacrant un album utilisant uniquement des samples issus de la discographie du vieux sage. Rechercher le génial musicien à travers le hip-hop, tel était le pari fou des deux journalistes français partis en road trip sur la mythique côte Est américaine. De Buckwild à Prince Paul, en passant par Pete Rock, tous louent le génie musical de l’homme pourtant si discret. « Ce mec nous a éduqués… C’est un modèle. On ne sait pas écrire de partition, on n’a pas les musiciens pour les arrangements mais on connaît la valeur de sa musique. Je l’imagine comme une sorte de génie… » explique Buckwild devant la caméra des deux frenchies. Il faut dire que le producteur du légendaire Diggin’ in the Crates Crew (D.I.T.C) avait lâché une petite bombe d’instrumentale pour le groupe Artifacts en samplant, justement, le Canadien.
L’héritage culturel n’empêche pas pour autant les producteurs américains d’aller voir (et surtout écouter) ce qui se fait ailleurs. L’amour pour les compositeurs soul, jazz et funk n’est pas altéré mais l’envie de découvrir et sampler d’autres courants musicaux se fait sentir après des années de samples de black music. Le génial Dre pense à la chanson française quand il produit What’s the difference, de même que le rappeur Bekay et le producteur Shuko pour Young. Les sonorités les plus intéressantes ne leur échappent pas, même lorsque celles-ci n’apparaissent que quelques secondes au milieu d’un morceau sans grand relief (pardonne-nous Charles). La compétition qui s’instaure entre beatmakers oblige ces derniers à redoubler d’originalité dans leur choix de samples : folk, rock progressif, musiques indienne, tout y passe. Alchemist expliquait en 2011 à l’abcdrduson.com : « C’est comme aller à la pêche à différents points d’eau. N’importe où se trouve le poisson, si c’est le point soul, le point rock progressif, on est au-dessus à pêcher et à attraper du poisson. Ça n’a pas d’importance. Si tout le monde est au-dessus de celui-là, on va aller ailleurs. » Qui s’étonne donc de voir Chucky Thompson sampler Aïcha de Khaled dans un morceau pour Nas ? Personne. Les univers se mêlent, avec plus ou moins de réussite, plus ou moins d’osmose entre le sample et le beatmaker.
Et le rap français n’échappe pas à cela. Comme aux États-Unis, la plupart (pour ne pas dire tous) des meilleurs morceaux jamais réalisés sont basés sur la technique du sampling. De NTM à IAM en passant par ATK qui s’en va sampler du Bach dans Tricher. Les classiques rap US sont également samplés, comme un clin d’œil au(x) grand(s) frère(s) ricain(s). Moins cités (et connus) que leurs collègues d’outre-Atlantique, les beatmakers français continuent tout de même à faire perdurer cette technique de composition musicale. Ils se nomment désormais Kyo Itachi ou Al’Tarba et ont eu le bonheur d’échapper à la mode des instrumentales synthétiques inaudibles et horribles pour nos petites oreilles. D’ailleurs, nombre de rappeurs américains ne s’y sont pas trompés en faisant appel à eux. On pense aux rappeurs bouffeurs de chairs humaines, Vinnie Paz et Ill Bill, et à leur collaboration réussie avec Junior Makhno ou au jeune Perrion avec l’excellent Myth Syzer. Une préférence pour le sampling qui s’explique, là-encore, par un héritage culturel, une transmission de savoir que l’on doit aux vieux briscards de la MPC.