Avez-vous vu Douaumont ? Immense monument funéraire ; Christ collectif, érigé au sommet d’une petite colline verdoyante… Un ossuaire, dans lequel repose la poussière des martyrs de Verdun. 700 000. Personne n’a mieux décrit l’endroit que Montherlant, dans Mors et Vita.
Sur les flancs de la colline, des milliers de stèles blanches. Des croix. En s’approchant, quelques étoiles juives, et un carré musulman. Ils furent 75 000 soldats Français de confession musulmane à tomber au champ d’honneur, entre 1914 et 1918.
Pas nécessaire de faire comme les tartuffes, qui tentent de trouver de fausses racines musulmanes à la France. Mis à part Charles Martel et Godefroy de Bouillon dans l’inimitié, et François Ier dans l’amitié, elle n’en a pas. Mais la Première guerre mondiale fut une eucharistie patriotique : catholiques, libres penseurs, musulmans, juifs, tous ont communié de leur sang. Pour la liberté. Les tombes de ces hommes qui reposent, tournés vers La Mecque, dans la terre de France, sont tout ce qu’il faut de racines et de fierté aux Français d’origine, de culture ou de confession musulmane. Ils n’ont pas à se justifier. Ils sont de la Patrie. Leurs ancêtres ont mérité de la Patrie. Et je n’ai pas évoqué le Mont Cassin.
À peine découvraient-ils la mère Patrie que déjà ils mouraient pour elle. Ceux qui affirment qu’ils n’étaient que chair à canon manipulée perpétuent une mentalité coloniale absurde : ils ne l’étaient ni plus ni moins que le petit Corse et le petit Breton, qui ne parlaient pas un mot de français. Les chiffres sont formels : les officiers mouraient plus que les premières classes, les métropolitains plus que les troupes coloniales. Ce qui n’enlève rien à nos héros musulmans.
Les identitaires de droite et de gauche, qui invitent les musulmans à choisir entre leur terre et leur religion ne sont pas seulement des gens malhonnêtes ; ce sont des traîtres à la Patrie. Il n’y a évidemment aucune incompatibilité entre la religion musulmane et l’appartenance au peuple français. Grotesque d’avoir à le rappeler. Qui peut se dire patriote et ne pas être ému en pensant aux tirailleurs faisant leurs ablutions avec l’eau de la Marne, à l’aube de la contre-offensive du 5 septembre 1914 ? Quel imbécile peut soutenir que le fait de prier en direction de La Mecque cinq fois par jour empêche d’aimer son pays ? À l’inverse, on peut bien sûr être musulman et s’écarter de ces traditions. Ou même se reconnaître de culture musulmane et non-croyant. Il n’y a que les bourgeois de l’UMP et les identitaires de tous bords qui, ne connaissant pas la France d’aujourd’hui, peuvent penser cela. Traîtres, pleutres et arrivistes pernicieux…
Nos ancêtres les Gaulois étaient frondeurs
Le Français est frondeur, cela ne date pas de 1905. La loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État ne fait qu’avaliser un état de fait bien plus ancien : ce n’est pas de la foi dont les Français ne voulaient plus, mais de l’ordre clérical ; de la contre-révolution de bénitiers. La foi, en France, fut toujours affaire personnelle. L’essentiel n’est jamais dans la loi, toujours dans l’esprit.
Un certain nombre de jeunes filles qui mettent le voile en France ne le font que pour choquer le bourgeois. Il suffit d’entendre les discussions de certaines d’entre elles, même de celles portant l’abaya, pour comprendre que l’oppression des femmes afghanes est bien loin. Est-ce à dire qu’il ne faut pas combattre les pressions culturelles – lorsqu’elles se font jour – qui s’exercent parfois sur les jeunes filles ? Non. Simplement, ne pas confondre colère dévoyée, rébellion maladroite, exutoire à l’ordre libéral-libertaire avec intégrisme religieux. Tant que cela choquera, cela sera subversif, donc cela sera fait. Réagir avec véhémence, c’est servir de cabinet de recrutement aux véritables extrémistes. Attention au copié-collé, dans le paragraphe suivant.
Merguez et chipolatas
Le Français est frondeur, cela ne date pas de Charlie Hebdo, pas même de la Révolution française. Charlie Hebdo est un journal de libres-penseurs, qui tire à vue sur toutes les religions. Toutes. Et ils doivent continuer. Que les croyants se rassurent : ni Jésus, ni Mahomet, ni Moïse ne prendront ombrage de ces enfantillages. Que les socialistes se rassurent : le social-traître Philippe Val n’est plus à bord. Charlie Hebdo a publié aujourd’hui des caricatures de Mahomet : c’est là qu’intervient mon Ctrl-C Ctrl-V. Tant que cela choquera, cela sera subversif, donc cela sera fait. Réagir avec véhémence, c’est servir de cabinet de recrutement aux véritables extrémistes.
Qui condamne les caricatures ? Le Figaro et Le Monde ne sont pas des amis du peuple. Charlie Hebdo est libre, et en France, on ne l’est jamais trop. On ne doit pas demander aux caricaturistes d’être respectueux, comme l’on ne doit pas demander au pape sa position sur le préservatif : ce sont des ordres différents. Rien n’empêche tout un chacun de lire Charlie Hebdo – ou pas, puis d’aller prier à l’église, à la mosquée, ou à la synagogue. Ou, bien sûr, comme une majorité de Français, de rester chez soi et de se faire une grillade. Chipolatas, merguez, ou les deux.