Dans L’Histoire de France interdite, Pourquoi ne sommes-nous pas plus fiers de notre histoire ? Dimitri Casali s’interroge sur l’effacement de l’Histoire. L’auteur de l’Altermanuel d’histoire de France, spécialiste de Napoléon, tacle politiques et hauts fonctionnaires et encourage le peuple à se rebeller.
Lorsque l’on est une nation politique, effacer l’Histoire, n’est-ce pas effacer le peuple ?
Un peuple qui n’enseigne plus son Histoire est un peuple perdu. La France est un vieux pays enraciné dans une Histoire, belle, longue, tragique, et qui pèse lourd sur les esprits d’aujourd’hui. Certes, le temps n’est plus à la glorification de la patrie, principal axe d’éducation civique du début de l’école républicaine. L’école de la IIIe République créait le citoyen en même temps qu’elle créait l’identification à la nation, réunissant l’ensemble de la patrie dans un roman national, c’est-à-dire le récit d’une histoire à la fois savante et populaire.
Mais sa principale ligne directrice, qui affirmait que la nation française est avant tout l’œuvre des hommes, des grands personnages, des rois capétiens et de leurs successeurs – jusqu’à nos présidents actuels –, est toujours exacte.
Louis XIV, Napoléon… il semble que les effacements ne se fassent pas seulement aux profits d’autres cultures, mais avant tout contre les symboles forts de l’étatisme à la française…
La France a été édifiée par nos grands hommes. L’unification par l’enseignement historique s’est organisé peu à peu, dans une période au sein de laquelle une articulation très forte entre le local et le national a eu lieu. La royauté, puis la République, ont compris qu’il fallait une conscience collective, un sentiment général d’appartenance à une même communauté pour que ce peuple français puisse s’unir dans ses espérances et dans ses gloires. Au travers des programmes scolaires, une première Histoire fédératrice fut donc bâtie, avec ses plis, ses recoins, ses occultations, ses ambitions et, bien sûr, ses héros. Dans la trame du récit, Vercingétorix, Clovis ou Saint Denis y prenaient une trop grande place et certains faits étaient volontairement enjolivés, enrobés de merveilleux et de sensationnel. Au nom d’une entité supérieure et transcendante, un fort sentiment patriotique naissait de cette école.
Pourquoi est-il aussi important d’effacer l’étatisme que le patriotisme ?
« Schizophrènes, ils ne parviennent pas à relier le passé, le présent et le futur, obsédés qu’ils sont par une pensée technico-économique, ultralibérale ou altermondialiste. »
L’Histoire de la France est l’histoire de nos pères, celle qu’ils nous ont transmise. Toute l’intelligence et la noblesse de nos hommes politiques et des hauts fonctionnaires de l’Éducation nationale serait de parvenir à adapter cette histoire au temps présent. Ce qu’ils ne font pas, soit par manque de culture pour les premiers, soit par manque d’imagination pour les seconds. Schizophrènes, ils ne parviennent pas à relier le passé, le présent et le futur, obsédés qu’ils sont par une pensée technico-économique, ultralibérale ou altermondialiste. Les éléments fondamentaux de la nation sont donc négligés, voire supprimés.
Un peuple qui ne s’aime pas, peut-il se rebeller ?
Oui et il le devrait. La déconstruction de notre Histoire est rampante et les tenants de ces théories révisionnistes creusent lentement leurs sillons. Sans que personne ne réagisse. De plus en plus tournée vers la seule lecture culpabilisante du passé et cet éternel esprit de repentance, la France multiplie les lois mémorielles (comme en 2001 la loi Taubira). Nos hommes politiques sont-ils à ce point désemparés devant les enjeux du présent et les perspectives d’avenir pour se déchirer ainsi sur le passé ? Ont-ils une si noire vision de la France, de son héritage et de ses valeurs qu’ils s’acharnent à salir le pays pour plaire à leurs clientèles communautaires ?
Aujourd’hui l’Histoire de notre pays est condamnée à ne plus être enseignée, honteuse d’être aimée et admirée, telle une lépreuse devenue paria de l’Education nationale. Honte à celui qui aime l’histoire de France synonyme de réaction, de conservatisme, de passéisme, de haine et de destruction. Nouvelle victoire pour le terrorisme intellectuel qui caractérise la folie du temps présent ! La majorité bien-pensante de nos brillants penseurs et de nos politiques a gagné la partie puisque aujourd’hui, en 2012, l’Histoire de France est belle et bien interdite…
Ainsi, oublier le passé, ce serait interdire le futur…
« L’Histoire n’est qu’une longue suite de crimes contre l’humanité. » Pierre Nora
Nous sommes le seul peuple au monde – à l’exception des Allemands pour les raisons que nous connaissons tous – à cultiver la repentance à un tel niveau. Ce sentiment de culpabilité est devenu symptomatique de l’esprit français contemporain. Si cela continue, il va falloir que, tous les matins en se levant, les Français se donnent dix coups de fouet pour se faire pardonner d’avoir été d’horribles esclavagistes au XVIIIe siècle, des colonialistes monstrueux au XIXe et des collabos au XXe ! Une situation de repentir à sens unique : jamais exigé des autres cultures, des autres régimes, des autres peuples. Pourtant, toutes les civilisations ont été expansionnistes : les Arabes, les Chinois, les Perses, les Mongols, les Incas, les Aztèques. Toutes ont semé le feu, le fer et la désolation, détruisant des religions locales, massacrant des populations entières. Rappelons au passage que les conquêtes mongoles initiées par Gengis Khan (v. 1167-1227) en Asie ont provoqué la mort de quarante millions de paysans et, avec leur disparition, le retour à l’état de nature de 309 000 km2 entre 1200 à 1380.
Citons ici Pierre Nora : « L’Histoire n’est qu’une longue suite de crimes contre l’humanité (…) Deux mille ans de culpabilité chrétienne relayée par les droits de l’Homme se sont réinvestis, au nom de la défense des individus, dans la mise en accusation et la disqualification radicale de la France. Et l’école publique s’est engouffrée dans la brèche avec d’autant plus d’ardeur qu’à la faveur du multiculturalisme, elle a trouvé dans cette repentance et ce masochisme national une nouvelle mission. » (Liberté pour l’Histoire, éditions du CNRS, 2008)
Un historien donne-t-il autre chose qu’un point de vue ?
On doit raconter l’Histoire comme un récit. Un roman vrai, pour reprendre l’expression de Paul Veyne. Et comme pour tout roman, utiliser les règles des grandes constructions littéraires, avec des personnages, une intrigue, des anecdotes, une véritable mise en scène avec un dénouement tragique ou heureux et d’une temporalité qui aide à replacer dans le contexte de l’époque. L’Histoire raconte et c’est en racontant qu’elle explique ! Notre rôle en tant qu’historien s’adressant au plus large public, vulgarisateur au sens noble du terme, dans la filiation de Jean Tulard, qui lui savait raconter l’Histoire, et plus généralement de tout pédagogue, est d’éveiller la curiosité, d’attiser le désir d’en savoir plus et de le cultiver. La notion de plaisir doit rester un vecteur d’apprentissage indispensable. Ainsi que le rêve…
On répète souvent, l’histoire est écrite par les vainqueurs. Qui sont les vainqueurs d’aujourd’hui ?
« L’Histoire n’est plus une science, elle est un combat, une sorte d’écran de télévision où se projettent toutes nos passions contemporaines. »
Le maître mot est devenu l’anachronisme. Chaque jour, tel analyste politique, commentateur, refont l’histoire sans la replacer dans le contexte de l’époque donnée. L’erreur consiste à ne pas remettre un événement dans les conditions précises de sa période historique. La confusion entre des époques différentes est devenue la règle. Elle va de pair avec la perte de la profondeur chronologique. Le politiquement correct ne cherche pas à comprendre le passé pour éclairer le présent. Tous nos brillants penseurs ont oublié ce premier devoir, cette première règle, et partent du présent pour juger le passé. Dans cet état d’esprit, l’Histoire n’est plus une science, elle est un combat, une sorte d’écran de télévision où se projettent toutes nos passions contemporaines. Avec eux, Charlemagne ou Saint Louis devraient être condamnés. Pourquoi pas, dans ces conditions, une nouvelle loi… pour avoir violé la Convention de Genève de 1929 et la Conférence de La Haye de 1899 et 1907, ainsi que toutes les conventions sur les règles humanitaires ? Nous assistons à une nouvelle transcription maladroite d’une Histoire globale, thématique et transversale, instrumentalisée avant tout à des fins mémorielles. Les tourments du repentir nous hantent. À ce sentiment de culpabilité, toute une élite intellectuelle et politique participe sans cesse.
La France a-t-elle déjà connu des passages à vides symboliques comme celui d’aujourd’hui ?
Ni frontières naturelles, ni langue commune, ni spécificité religieuse : la France ne possédait rien de tout cela. Les rois capétiens se sont dégagés de l’emprise du pape jusqu’à acquérir une grande indépendance, cela dès Philippe IV en 1302. Ce fut une lente et difficile agglomération de peuples distincts, aux coutumes et aux mœurs différents, qui durent se soumettre à l’autorité de l’État royal. La nation a été ensuite consolidée par la République et par la volonté commune du peuple.
L’argument principal pour trancher dans les programmes se résumerait presque à « l’Histoire, c’était hier… ». Pourquoi est-ce conforme à l’esprit du temps ?
Nos hauts fonctionnaires du ministère ont décidé de former des « citoyens du monde » oublieux de leurs racines nationales, pour en faire des spectateurs critiques et cosmopolites plutôt que des acteurs responsables et conscient des enjeux de la globalisation. Pour cela, ils ont oublié un postulat de base : pour intégrer les jeunes consciences à un intérêt général, il faut d’abord les former en tant que citoyen de leur propre pays. Pour que chacun dépasse les différences individuelles, il faut des bases fondatrices et fédératrices. On a vraiment le sentiment que le ministère de l’Éducation nationale a presque honte d’expliquer à nos élèves tout ce qui a été fait par le passé, la gloire de la France que le monde entier admire (dès que l’on voyage un temps soit peu, on s’en aperçoit)… Il a honte d’expliquer comment s’est patiemment construite l’identité française au fil des siècles. Les élèves n’ont plus aucune notion de la lente édification de notre pays. Ils sont appelés à devenir des citoyens d’un monde global et à renier tout ce qui a contribué à la structuration d’un État tel que la France.