C’est la débâcle du cinéma français. Ce que la fuite de Depardieu a camouflé, Vincent Maraval – distributeur et producteur cinéphile et couillu – se charge de nous le rappeler dans sa tribune salutaire parue dans Le Monde : nos vedettes sont trop payées. Et quand on voit qui sont les vedettes en question, on est pris de nausées. Mais comme il ne faut pas attendre de prompte réaction de la part du Ministère ou du CNC, la solution est entre les mains des apprentis cinéastes.
Il a raison Vincent Maraval, nos stars chéries sont trop payées. C’est tellement indécent qu’il propose la limitation de leur cachet à 400 000 euros par film – « et peut-être un peu plus pour un réalisateur. » C’est une proposition qui apparaît raisonnable au vu de ce qui se pratique dans nos contrées pour la poignée d’égéries qui parasitent nos écrans semaine après semaine. À ce tarif, se contenter d’un film par an ne les laisserait pas croupir dans une misère noire… mais il en va sensiblement autrement, d’autant que les starlettes en question ont un goût rance de pacotille. D’abord… D’abord il y a l’aîné, lui qu’a un gros melon. Toute une génération de grands acteurs, qu’on emploie de moins en moins ou de mal en pis, et qu’on aimerait revoir davantage dans des rôles marquants plutôt que dans des productions populardes et pisseuses qui n’ont pour seule ambition que de leur regonfler le portefeuille, à ces étoiles mourantes – Daniel, si vous nous lisez.
Et puis il y a les autres, les nouveaux (par)venus, les petites connasses poudrées qui se pavanent devant l’objectif avec le même talent qu’à la météo de Canal +, les humoristes qui troquent leurs mimiques contre des froncements de sourcils qu’ils voudraient dramatiques, les chroniqueurs en vogue qui délaissent leur plume acerbe pour les enlacements lisses de comédies navrantes… Enfin bref, Charlotte Le Bon, Nicolas Bedos, Louise Bourgoin, Gad Elmaleh, Kad Merad, Patrick Bruel, Norman Thavaud et toute leur bande de tartufes. Quand il s’agit de faire la pute, il y a du monde. Pour montrer sa belle gueule de Don Juan impertinent ou ses courbes de fausse prude dans les pages des journaux, on ne se fait pas prier. Parce qu’aujourd’hui, si l’audience est au rendez-vous dans la petite lucarne, le billet pour le grand écran est généreusement offert, un signe de plus s’il en fallait que la fornication entre cinéma et télévision roule à contresens.
Mais peut-on seulement le leur reprocher ? Bien sûr, on serait tenté d’avancer que s’ils étaient davantage préoccupés par l’amour du cinéma que par leur image et leur compte en banque, ils pourraient avoir l’humilité de s’en tenir à ce qu’ils savent faire, et réciproquement – Mélanie, plus d’album s’il vous plaît ! Mais courtisés comme ils sont, applaudis frénétiquement par les masses anonymes et flattés par des cuistres qui ne voient que leur poids en or, comment pourraient-ils s’en rendre compte ?
Le cinéma de demi-papa
Les acteurs sont du « bon côté » de la caméra, du côté de l’évidence, et pourtant derrière elle il y a les producteurs, les financiers, et finalement les réalisateurs. On a fait grand cas de la prestation de Marion Cotillard dans The Dark Knight Rises, grande démonstration de médiocrité cinématographique et idéologique, dont les Français aiment à ne retenir que la mort lamentable de l’actrice. Mais un acteur peut rater une prise. La responsabilité revient au réalisateur de la garder et de considérer qu’elle a sa place dans son film. Sous l’œil de Jacques Audiard et bientôt de James Gray, en est-il de même ? Non.
Exception faite du sympathique Marsupilami d’Alain Chabat, les films dont nous parle Vincent Maraval valent-ils la peine d’être vus ? Les Seigneurs, Stars 80, la Vérité si je mens 3, Bowling, Nous York ou Populaire, et jusqu’à la Stratégie de la Poussette – aujourd’hui sur vos écrans – ne méritent pas de se déplacer (c’est-à-dire si vous espérez voir un bon film de cinéma). Ces réalisateurs qui misent sur le name dropping pour attirer les foules n’ont tout bonnement rien à montrer que de vide. La mise en scène ne présente dans tous les cas aucun intérêt et leurs histoires ont été contées mille fois, aussi mal ou bien mieux. C’est l’évidence même, si ces gens-là (producteurs, réalisateurs, acteurs) font ces films-là, ce n’est pas par amour du cinéma, c’est par amour de l’argent. Quand on aime le cinéma et qu’on n’a pas d’argent, on peut faire À bout de souffle, Eraserhead, Festen ou Pater (voire même Primer et ses 7000 dollars de budget !)… et si l’on a tout de même besoin d’argent pour les besoins de l’œuvre, on court-circuite le système et l’on fait Irréversible.
Fort de l’exemple donné par Godard et sa bande à part, qui fustigeaient dès les années 1950, depuis les pages des Cahiers, le « cinéma de papa » pratiqué par leurs aînés, trop sage et moraliste à leur goût, nous pouvons aujourd’hui reprendre le flambeau et cracher sur le cinéma de ceux qui n’ont pas l’âge d’être nos pères, mais qui ont pris possession du champ cinématographique populaire à grands coups de millions, pour remplacer l’émotion et la réflexion par le divertissement mal dégrossi, où règnent en despotes décervelants l’absence de forme et un fond souvent nauséabond.
DIY
À de rares exceptions près (parmi lesquelles Gaspar Noé, Abdellatif Kechiche, HPG ou Kervern & Delépine), les découvreurs de talents et les (ré)inventeurs de formes peinent à émerger du magma imbécile qui gangrène nos salles obscures. La faute à un système de subventions par trop sclérosé qui broie les jeunes réalisateurs et les contraint à faire de drastiques concessions scénaristiques et formelles, afin de décrocher le moteur essentiel à toute production cinématographique : l’argent.
Et pourtant, à l’heure où les moyens techniques dont on dispose pour réaliser un film n’ont jamais été aussi abordables pour tout un chacun, que ne leur fait-on pas un virulent bras d’honneur en prenant les chemins de traverse ? Armé d’un appareil photo numérique au capteur suffisamment sensible, de rails de travelling, de grues et de steadicams bricolés dans une cour d’immeuble, de logiciels de postproduction obtenus par les moyens que vous savez et d’acteurs amateurs triés sur le volet, le cinéaste en herbe a tous les outils en main pour mener à bien ses ambitions. Au diable les autorisations, au diable le concours des pontes de la profession et la gloire immédiate. Reste le talent. Mais le talent, disait Brel, c’est l’envie.
Une bonne connaissance de ses outils et du cinéma lui-même, une écriture solide et des partis pris formels et narratifs originaux ne manqueront pas d’attirer l’œil sur vos films de producteurs de la trempe de Maraval. Car comme le disait si judicieusement Quentin Tarantino à qui l’on demandait la recette de son succès : « Vous n’avez qu’à faire Reservoir Dogs. » Si ce que vous avez à dire et à montrer vaut la peine de l’être, nos vedettes en toc peuvent bien bouder vos plateaux et le CNC garder ses petits sous.
« C’est pas grave, on fera le tour… »