Il était l’un des maîtres d’un genre parfois méprisé : le blockbuster dopé à la testostérone. S’il n’avait pas le talent de son frère, Tony Scott aura marqué les années 80 et 90 avec quelques pépites et de nombreux navets. Retour sur le parcours d’un artisan qui se rêvait artiste.
Dans le noir, le bruit de la circulation enfle progressivement jusqu’à devenir assourdissant. L’image apparaît soudain et on est ébloui par les phares qui embrasent la pluie battante, passant à toute vitesse de part et d’autre de l’écran. Comme chassée par les voitures qui balayent le cadre à un rythme effréné, la caméra opère un long panoramique et finit sa course par-delà la rambarde du pont. Le visage plongé vers l’eau noire qui l’attend à des centaines de mètres plus bas, un homme, dont le regard est caché par la visière d’une casquette de base-ball rouge, se redresse et étend ses bras, un sourire indéchiffrable pendu à ses lèvres. Il se fige dans cette posture christique, tournant le dos aux automobilistes indifférents à son sort, puis s’élance dans le vide et disparaît avalé par les flots au terme d’une chute de 460m…
Tony Scott est mort. Dimanche 19 août, le réalisateur et producteur britannique s’est suicidé à l’âge de 68 ans, par un bel après-midi californien – j’ai pensé que pour lui rendre hommage, on se devait d’adapter ses derniers instants à la sauce hollywoodienne. Durant près de 30 ans, le frère cadet de Ridley aura livré aux cinéphiles pêle-mêle des horreurs, dont l’éminent « Top Gun » en 1986, faisant de Tom Cruise la star que l’on sait ; des divertissements efficaces comme le trépidant « Enemy of the State » en 1998, plongeant Will Smith au cœur d’une conspiration d’état ; mais aussi une poignée d’œuvres plus expérimentales et personnelles, à l’image du baroque « Domino » en 2005, qui lui vaudra l’admiration des enfants terribles du cinéma de genre, Tarantino en tête. Le film pourra rebuter par son montage hystérique, ses couleurs sales et saturées et sa narration chaotique. Mais il réussit là où Oliver Stone a échoué en ne s’encombrant pas d’un discours fumeux sur la violence et les médias, et sans jamais céder à une imagerie à la mode héritée des clips et de la publicité. Le réalisateur de « Jackie Brown » comparait récemment Tony Scott à Douglas Sirk, arguant que s’il n’a jamais obtenu le respect de la critique et de la profession, on donne pourtant des cours sur son cinéma aujourd’hui. Un éloge un peu excessif, sans doute pas étranger à leur amitié de longue date, le défunt ayant adapté son premier scénario à l’écran en 1993 avec « True Romance ».
Rest in pieces
Ainsi, le dernier ponte du cinéma d’action américain disparaît et laisse derrière lui la carcasse fumante d’un genre encore révéré partout dans le monde. En témoigne le score plus qu’honorable au box-office du récent « Expendables 2 » de Simon West, réunion en grande pompe de la crème (comme de la lie) des acteurs qui ont contribué au succès mondial du muscle et de la pétarade sur grand écran dans les années 80. Plaisir coupable pour les intellos, chef-d’œuvre chez les bovidés, le film cartonne et on se demande bien pourquoi. La parade de ces figures légendaires refaites au Botox®, nostalgiques des pires heures de leur carrière, laisse aux cinéphiles tout le loisir de s’ennuyer durant les 102 minutes du métrage. Avec Jean-Claude Van Damme en costume de super-vilain ‒ et ce n’est même pas une plaisanterie ‒ que pouvait-on espérer d’autre ? Qu’il se réfère à « First Blood » plutôt qu’à ses suites décérébrées ? Certainement, mais ce n’est pas au programme. Dénué de toute audace formelle et narrative, l’exercice est d’autant plus poussif que le réalisateur doit s’assurer que chaque nom ait ses gros-plans, ses catch-phrases et ses moments de gloire. Avec 12 stars au générique, vous imaginez l’ampleur des dégâts… Il n’en restera sans doute dans les mémoires qu’une excellente punchline, lâchée par Stallone avec emphase : « Rest in pieces ! »
Une sentence hilarante qui entre douloureusement en résonance avec l’état du genre. En vérité je vous le dis, la mort du cinéma d’action yankee a été amorcée avec l’échec cuisant de « The 13thWarrior » de John McTiernan, il y a treize ans justement. Un film saboté par sa production et boudé par le public dont ne se remettra jamais le talentueux père de John McClane. Depuis, la machine tourne résolument à vide et peine à retrouver un second souffle, même si de bonnes surprises peuvent encore en dégorger, à l’instar du brillant « The Bourne Ultimatum », de Paul Greengrass en 2007 ; du barbare « Rambo », réalisé par Sylvester lui-même en 2008 ; ou du postmoderne mais néanmoins jouissif « Machete », mis en scène deux ans plus tard par Robert Rodriguez – qui remettra le couvert l’année prochaine avec« Machete Kills ».
La chute du faucon noir
Comme en écho de l’inexorable effondrement de l’empire américain au profit des nations outre-pacifique, le cinéma de gros bras occidental est poussé vers la tombe par l’irruption régulière de longs-métrages asiatiques construits sur les bases du genre, mais bouillonnants d’audace, de vitalité et d’une science de l’émotion disparues depuis des lustres des bobines made in USA.
Cet été, c’était « The Raid », de Gareth Evans, réalisateur britannique exilé en Indonésie, qui nous clouait au siège par sa violence sauvage et ô combien jouissive, mise en scène avec une virtuosité précoce qui n’est pas sans rappeler « Assault on Precinct 13 » et « Time and Tide », des maîtres John Carpenter et Tsui Hark. Le stupéfiant diptyque « Ip Man », de Wilson Yip, nous charmait à coups de baffes en 2008 et 2010, quand Kim Jee-Woon réalisait son meilleur film avec « I Saw the Devil » la même année, et que Miike s’est réincarné en sage en ressuscitant le chambara avec deux superbes remakes réalisés en 2010 et 2011 : « 13 Assassins » et « Hara-Kiri : Death of a Samurai ».
Loin d’être les seuls, la production asiatique balaye d’un revers de main l’esbroufe américaine avec une classe désarmante, et il est à parier que des nouveaux venus viendront ajouter leur pelletée de terre sur le cercueil de l’Oncle Sam dans les années à venir.