Chaque semaine, Clément Viktorovitch aborde les discussions et les problématiques politiques. Le dimanche 16 avril, le sujet de l’immigration est remis sur le tapis par le responsable national du Parti communiste, Fabien Roussel.
Fabien Roussel s’est exprimé le lundi 10 avril à Marseille, lors du congrès de son parti. Au cours d’un discours de 50 minutes, il a déclaré : « Franchement, regardez ce qu’ils ont fait de notre pays ! Ils ont mis la France sur LeBonCoin, ils ont conclu des accords de libre-échange à tour de bras, ils ont transformé nos frontières en passoires et ouvert la France à tous les vents, aux commerçants et à la finance. »
« Les frontières sont des passoires » : une déclaration qui lui a immédiatement valu les critiques d’une partie de la Nupes. Sandrine Rousseau a réagi sur Twitter : « Nos frontières ne sont pas des passoires. Mais surtout, les humains qui tentent de les traverser risquent leur vie chaque jour. » En réponse, Roussel a déclaré : « S’opposer aux délocalisations de notre industrie et à l’évasion fiscale devrait être un pilier de la gauche. » Selon lui, la controverse n’aurait pas lieu d’être : il souhaiterait contrôler la circulation des biens et des capitaux, et non l’immigration.
Fabien Roussel plaide pour le malentendu. Et, en apparence, lorsqu’on examine le passage en question dans le discours de Marseille, il y est en effet question de souveraineté économique. Cependant, il y a parfois un écart entre ce que l’on dit et ce que l’on fait comprendre : c’est ce qu’on appelle, en rhétorique, la dimension implicite du langage. Les métaphores, en particulier, ne sont jamais neutres. Elles portent toujours le poids de ceux qui les ont utilisées auparavant. Et cette métaphore, les « frontières passoires », a précisément une illustre filiation : Marine Le Pen en 2022, Éric Zemmour en 2018 et, en 2007, un autre Le Pen, Jean-Marie. Peu importe, donc, ce que dit Fabien Roussel. Avec cette métaphore, il nous fait clairement entendre un discours critique sur l’immigration.
Procès d’intention ?
Cela pourrait éventuellement l’être, si Fabien Roussel ne s’était pas lui-même dévoilé. Sur BFMTV, il a été poussé dans ses retranchements par Apolline de Malherbe et a laissé échapper qu’il fallait être « plus ferme » sur la question de l’immigration.
Fabien Roussel demande plus de fermeté sur l’immigration. L’image de la passoire n’était donc pas si anodine et n’était pas non plus si surprenante. Le secrétaire du Parti communiste ne fait que renouer avec le discours d’un illustre prédécesseur, Georges Marchais en janvier 1981 : « Il faut arrêter l’immigration officielle et clandestine. Il est inadmissible de laisser entrer de nouveaux travailleurs immigrés en France, alors que notre pays compte près de deux millions de chômeurs, français et immigrés. »
Lutter contre les travailleurs immigrés, qui nourriraient le chômage et tireraient les salaires vers le bas : une position assumée à l’époque par le PC, à laquelle Fabien Roussel nous ramène aujourd’hui.
L’immigration nuit-elle à l’économie ?
Cette question a été bien étudiée par l’économie et la science politique. Hélène Thiollet et Florian Oswald ont rédigé, pour Sciences Po, une synthèse de ces recherches. Leurs conclusions sont sans appel : les données collectées dans les pays de l’OCDE montrent que l’immigration n’a pas d’impact sur l’emploi des habitants et que l’effet global sur les salaires est neutre, voire légèrement positif.
Ce sont bien sûr des moyennes. Si l’on s’attarde sur certains détails, on se rend compte que, à court terme et pour certaines catégories d’emplois, notamment les moins qualifiées, des effets négatifs peuvent apparaître. Cependant, ils ne sont pas systématiques, pas permanents, ils sont compensés à l’échelle globale et, surtout, ils demeurent d’une ampleur extrêmement limitée. Rien ne justifie donc de condamner l’immigration à coups de métaphores fiévreuses. Lorsque Georges Marchais le disait, ces recherches n’existaient pas : il pourrait encore plaider l’ignorance. Mais aujourd’hui, quand Fabien Roussel aborde ce sujet, il le fait en toute conscience… et en ignorant la science.