Le célèbre réalisateur de documentaires chinois, Wang Bing, présente un long-métrage sur les travailleurs des industries textiles chinoises qui secouent le domaine au niveau mondial.
Le cinéaste français Wang Bing, plusieurs fois récompensé pour ses documentaires et lauréat du Léopard d’or au Festival de Locarno en 2017 pour Mr Fang, aborde cette fois-ci la question de la main-d’œuvre bon marché en Chine qui permet à ce pays de dominer le secteur textile mondial. Wang Bing est en compétition pour la première fois à Cannes avec Jeunesse (Le Printemps) et a assisté à la projection de son film, ce qui montre que Pékin est satisfait de voir ce film sur la Croisette. Mais si on lit entre les lignes, il forme une critique moins favorable pour les autorités chinoises.
Joie générale
Située à 150 km de Shanghai, la ville de Zhili est spécialisée dans le textile et attire de nombreux jeunes des régions rurales, qui espèrent y faire fortune. Des femmes et des hommes d’une vingtaine d’années partagent ateliers et dortoirs, mangent dans des couloirs encombrés de détritus et s’amusent lors de soirées festives. Ils ont tous les mêmes rêves : se marier, avoir des enfants, devenir propriétaires ou créer leur propre atelier. Les relations amicales et amoureuses se forment et se défont au fil du temps, en fonction de la productivité et des tensions familiales.
Tourné caméra à l’épaule et sans commentaire, Wang Bing suit de près les ouvriers et ouvrières attachés à leur machine. Ils travaillent souvent en duo homme-femme, ce qui favorise les rencontres. Malgré la pression et les bas salaires, il règne une incroyable légèreté dans ces ateliers : musique, blagues, rires, chamailleries, flirts rythment les journées. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, car les cadences élevées et les salaires bas n’empêchent pas de vivre heureux et productif. Mais en montrant cela, Wang Bing ne dénonce-t-il pas en abyme la manipulation du gouvernement chinois sur ses citoyens ?
Une critique à double tranchant
Il ne faut donc pas tomber dans le piège de cette joie apparente à l’écran. Si elle semble réellement vécue par les protagonistes, elle est d’autant plus inquiétante sur le plan politique qu’elle démontre comment un système pernicieux impose et fait intérioriser une idéologie économique et sociale à la population. Les aspirations de ces ouvriers et ouvrières se confondent avec celles d’une partie de la population occidentale, comme posséder le dernier smartphone, par exemple. Et leurs rêves reflètent les paroles d’une chanson populaire : « Je t’aime, je veux t’épouser, avoir un enfant et une maison avec toi, ce serait la Lune pour nous deux ». Des objectifs idéalisés qui justifieraient les efforts et les sacrifices nécessaires pour les atteindre.
Le film est donc dangereux, car il peut être pris au premier degré et servir un système bien ancré dans les mentalités chinoises. L’accent mis sur les négociations salariales toujours possibles prône également l’ouverture d’esprit des employeurs, mais celles-ci restent très paternalistes et minimales. L’épisode où une ouvrière est poussée par l’autorité et sa famille à ne pas avorter montre, de son côté, l’intrusion du système dans la vie personnelle. Toutefois, dans un film de 3h30, ce propos est plutôt marginal. De ce point de vue, la durée et la temporalité du film (tourné sur cinq ans) entraînent une certaine répétitivité. Si cela sert la dénonciation de l’aliénation au travail (comme dans Les Temps modernes de Chaplin en 1936), on peut trouver le temps long.
Fiche technique
Genre : Documentaire
Réalisateur : Wang Bing
Pays : Chine
Durée : 3h32
Sortie : prochainement
Distributeur : Le Pacte
Synopsis : Zhili, à 150 km de Shanghai. Dans cette cité dédiée à la confection textile, les jeunes affluent de toutes les régions rurales traversées par le fleuve Yangtze. Ils ont 20 ans, partagent les dortoirs, mangent dans les coursives. Ils travaillent sans relâche pour pouvoir un jour élever un enfant, s’acheter une maison ou monter leur propre atelier. Entre eux, les amitiés et les liaisons amoureuses se nouent et se dénouent au gré des saisons, des faillites et des pressions familiales.