Paul Krugman, Joseph Stiglitz, deux prix Nobel défendent la cause d’une Europe unifiée, affrontant tel un seul homme la crise de ces dettes souveraines, encourageant la relance par les dépenses publiques plutôt qu’en « laissant faire » les marchés.
Les citoyens ne connaissant pas, précisément, les rouages de la pensée économique, seraient tentés de suivre l’avis de ces spécialistes aiguisés, d’autant que ces derniers ont l’air de fustiger la politique néo-libérale et anti-sociale de l’austérité. Pour autant, il ne faut pas se méprendre, si ces grands économistes ont été récompensés par le comité nobel, ce n’est pas pour défendre la solidarité entre les peuples et les politiques de relance. Non! Leurs publications académiques décrivent un monde en phase avec celui défendu par les financiers. Le monde du marché dérégulé et de ses habitants, les individus rationnels.
Krugman ce pygmalion
Depuis 2000, Paul Krugman est chroniqueur au New York Times. Fier d’être un faiseur d’opinion, il n’a de cesse de défendre une politique économique interventionniste, contre certains principes capitalistes. Dans ses chroniques au vitriol, Krugman incite sans complexe à faire fonctionner « la planche à billets », quand le crédit vient à manquer. Sa position en faveur d’une intervention publique, pour stimuler le secteur privé, détonne dans l’univers des économistes « mainstream » (car aucun économiste nobélisé ne peut être véritablement « keynésien »). Krugman semble pourtant défendre un discours dans la plus pure tradition keynésienne. Ferait-il donc parti de ceux qui, par exemple, pense que l’économie laissée à elle-même ne peut pas créer les emplois suffisants et qu’il est nécessaire d’encourager la demande (consommation, investissement) plutôt que l’offre (faciliter le crédit par plus d’épargne, réduire les contraintes institutionnelles et règlementaires…)?
Non, lorsque cet économiste reçoit le Nobel en 2008, c’est pour un tout autre discours. Krugman a été récompensé pour ses travaux sur le commerce international et la localisation de l’activité économique. On pensait avant lui que chaque pays devait se spécialiser sur ses points forts, comparativement à ses partenaires.
Dans ses travaux, l’économiste américain encourage l’échange surtout entre pays de mêmes niveaux de développement. Pour arriver à ce résultat il remet en question ce que le jargon économique nomme « la concurrence pure et parfaite ». Il admet donc l’existence d’oligopole capable de fixer les prix en fonction des marges et non de la concurrence. Le chroniqueur démontre ainsi qu’un peu de protectionnisme ne peut faire de mal, pour protéger certaines industries réclamant des investissements importants… Mais que le libre-échange reste la situation idéale. L’investissement public dans certains secteurs de l’industrie et les barrières douanières constituent une protection contre le marché, le temps que l’entreprise puisse atteindre une taille critique pour pouvoir rentrer de plain-pied dans la mondialisation. Krugman admet donc l’intérêt d’un protectionnisme éducateur pour ensuite profiter des joies du libre-échange.
C’est dans cette sphère très restreinte que se situe l’interventionnisme économique de Krugman contre les forces de marché. Une fois l’oligopole ancré dans l’économie, l’ouverture au commerce international (dérégulé s’il vous plaît!) provoque le démarrage du tourne disque et de la douce mélodie libérale aux sonorités libre-échangiste (couramment entendue au FMI…). D’où nous vient alors cet élan « anti-libéral » (en économie tout est relatif) de Krugman? Peut-être du besoin d’être visible et de devenir un intellectuel influent? Malheureusement l’influence du « Krugman scientifique » fut beaucoup plus appréciée par nos gouvernants et les grandes institutions qui nous gouvernent, que celle du « Krugman chroniqueur ». Un prêtre hérétique au dogme qu’il a lui même érigé… Avouez que cela porte à confusion…
Stiglitz et Keynes, même combat ?
Joseph Stiglitz n’est pas en reste en terme d’imposture idéologique. Cet économiste réputé et influent a reçu le prix Nobel pour avoir intégré l’idée dans l’analyse du chômage et du rationnement de crédit que certains agents économiques détiennent davantage d’informations que leur contrepartie. Stiglitz c’est aussi l’ancien président et chef économiste de la Banque mondiale qui n’hésite pas à cracher dans la soupe de ses anciens employeurs, dans La Grande Désillusion, en critiquant dans un style égotripé (moi j’ai tout vu, tout compris, si j’avais été aux commandes j’aurais fait ça…) les politiques mises en œuvre dans les pays en développement, alors que son propos reste pro-mondialisation. Dans cette ouvrage, il enferme le politique dans une perspective strictement libérale. Pour lui, l’État est au service du marché, ce n’est pas un acteur, c’est un arbitre. Le politique n’est réduit qu’à gérer les coûts sociaux (inégalités, assurance sociale…) du système capitaliste, sans influencer sur celui-ci. On remercie Stiglitz de donner aussi peu de crédit à l’intervention étatique. Mais pourquoi être surpris à la lecture de ces travaux antérieurs qui lui ont permis d’être « nobélisé »…
Les travaux reconnus par les hautes sphères académiques portent comme on l’a dit sur l’origine du chômage par des histoires d’ « asymétrie d’information »… Qu’est-ce que cela signifie ? Prenons un exemple simple: je suis travailleur, je suis rationnel, c’est à dire que je suis capable de calculer mes joies et mes peines en fonction de mes choix individuels. Lorsque je me présente auprès d’un employeur, je connais à peu près mes compétences et donc le salaire auquel j’ai droit. Seul hic ! L’employeur lui ne connaît pas de manière exacte ma motivation. Il y a donc une « asymétrie d’information » entre lui et moi. Dans ce cas pour inciter le salarié à l’effort (car par nature je suis « tire au flanc » dixit la théorie…), on me rémunère un peu plus que ce que me propose les autres entreprises. On arrive donc à une situation où le salaire proposé dépasse le montant du salaire qui permettrait le plein emploi (celui obtenu si on « laissait faire » le marché). Il se crée alors sur le marché du travail un chômage dit involontaire (car au salaire du marché tout le monde pourrait être embauché et donc ceux qui refuseraient les emplois seraient des chômeurs « volontaires »).
La cause de ce chômage est à trouver dans un coût du travail trop élevé… douce mélodie… Surtout qu’en plus, si toutes les entreprises font de même pour fixer leur rémunération, alors c’est le chômage généralisé! Et dans ce cas vous avez tout intérêt à accepter un salaire plus faible pour être sûr d’être embauché (la fameuse peur du chômage). Imaginez en plus que vous disposez d’un salaire minimum genre le Smic ! Alors là c’est le pompon ! Il y aura toujours du chômage si ce salaire etait situé au-dessus du salaire plein emploi (et beaucoup le pense pour les travaux peu-qualifiés), sans parler des allocations chômage qui rendraient la reprise d’une activité peu attrayante et inciteraient cette bande de fainéants à profiter des alloc plutôt que d’aller bosser….
Ah il est loin le message de Keynes qui nous disait que même avec un salaire le plus bas possible, il y aurait toujours des individus qui ne trouveront pas d’emploi. Pourquoi ? Tout simplement parce que si une entreprise embauche c’est qu’elle anticipe de nouveaux débouchés pour sa production. Les considérations sur le niveau du salaire n’ont rien à voir, ce qui compte, c’est la demande. Une entreprise, avant de produire, se demande si elle peut écouler sa production. Les presqu’initiés diront « oui mais Stiglitz est néokeynésien…» « Néo » il l’est, oui, comme « néolibéral »… Il préconise dans les revues scientifiques des « réformes de structures » visant à supprimer les « rigidités » (protections contre les licenciements, le salaire minimum ou autres allocations chômage). L’analyse de Stiglitz est perpétuellement sous-tendue par une conception apologétique du marché. Le « néokeynésien » qu’il est accepte simplement que dans la réalité le marché est imparfait. Mais ces imperfections sont à la marge.
« Je suis pour le communisme… je suis pour le capitalisme »
Deux économistes influents au service des peuples européens ? Influents, ils l’ont été par leurs travaux de chercheurs. Beaucoup de crédit dans les sphères décisionnaires. Le FMI ou l’OCDE ont bien retenu les leçons de ces théoriciens pour ensuite nous abreuver de préconisations de réformes libérales allant vers plus de marché au détriment de l’intervention publique. Une posture idéologique en porte-à-faux avec leurs dernières sorties médiatiques, pourtant virulentes à l’égard du capitalisme ou de la rigueur allemande. La crise arrive, et c’est la valse des hypocrites. Quand le libéralisme a le vent en poupe, tous néo-libéraux et quand il est en crise, tous néo-keynésiens. Il suffit de faire un seul geste, celui de retourner sa veste, toujours du bon côté.