La cinéaste russe Marusya Syroechkovoskaya réalise un premier film émouvant, créé à partir des séquences qu’elle a tournées depuis ses 16 ans jusqu’au décès de son partenaire Kimi, en 2016. Il s’agit d’un documentaire fascinant sur la jeunesse au sein de la Russie de Poutine.
Pendant plus d’une décennie, Marusya Syroechkovskaya a documenté sa vie quotidienne avec Kimi, l’amour de sa vie. Le film a été composé rétrospectivement à partir de séquences captées tout au long de ces années, avec de la musique et des images collectées au fil du temps. Il retrace le parcours tumultueux de ce couple au bord du précipice, jusqu’à leur chute finale, sur fond de ce que la réalisatrice appelle la « Russie de la déprime ». Ce film multi-récompensé et projeté dans plus de 60 festivals sortira en salles en France le 28 juin.
En 2005, à seize ans, Marusya prend la décision de faire de cette année la dernière de sa vie. Elle prévoit de mettre fin à ses jours avant ses 17 ans, mais rencontre alors Kimi, un jeune homme aussi désespéré qu’elle. Pour Marusya, Kimi est la « personne parfaite », son « âme sœur de rêve ». Sa simple présence lui permet de surmonter les moments difficiles dans une Russie « pour les gens tristes ». Ils finissent par emménager ensemble et se marier.
Dès le début de leur relation, Marusya filme leur vie quotidienne, y compris les fêtes, l’alcool, la drogue, les moments heureux et ceux de désespoir, les discours du président au nouvel an qui se succèdent sans que rien ne change, les manifestations et l’euphorie nationale lors des victoires au football. Elle documente également la descente de Kimi dans les addictions, d’abord la drogue puis les médicaments, qu’il se fait prescrire à l’hôpital où il finit par passer de plus en plus de temps. Marusya filme, impuissante, la dégradation lente et inéluctable de Kimi, jusqu’au jour fatidique du 4 novembre 2016.
Cri de colère
Ce documentaire est une chronique d’une mort annoncée et une peinture sombre de la Russie de Poutine. Il est composé d’images captées par la réalisatrice pendant près de douze ans, qu’elle a montées après la mort de Kimi et qu’elle commente a posteriori. Marusya Syroechkovskaya travaille son matériel comme une plasticienne, enrichissant ses images d’archives capturées sur le vif, sans but prédéterminé – hormis peut-être, inconsciemment, celui de se sauver elle-même – avec de la musique, des textes, en jouant sur la couleur et la lumière. « Marusya a au moins un but, c’est de filmer toute la journée », lâche Kimi alors qu’il semble définitivement perdu.
Histoire intime, mais également collective, « How to Save a Dead Friend » décrit la génération post-soviétique née juste avant la fin de l’URSS, dont la vie a débuté dans la noirceur de la terrible crise qui a suivi, pour grandir ensuite sous le régime autoritaire et répressif de Poutine. Nombre de ces enfants post-soviétiques sont morts, et leurs noms ainsi que les causes de leur décès – souvent des suicides, des overdoses, des accidents, des chutes de ponts – sont égrenés tout au long du documentaire.
Crise politique, misère sociale, désillusions : le film de Marusya Syroechkovskaya est un cri de colère d’une génération qui paie cher le prix d’une transition qui se révèle impossible. Mais c’est aussi un cri d’amour, et une démonstration éblouissante de liberté. Une liberté que cette jeune réalisatrice s’est permise en consignant, jour après jour, caméra à la main, le journal de sa vie, de son amour et de son pays, pour en faire un film d’une force exceptionnelle.
Fiche technique
Genre : Documentaire
Réalisateur : Marusya Syroechkovskaya
Pays : Russie
Durée : 1h43
Sortie : 28 juin 2023
Distributeur : La Vingt-Cinquième Heure
Synopsis :
À seize ans, Marusya est déterminée à en finir avec la vie, comme beaucoup de jeunes Russes. Puis, elle rencontre l’âme sœur chez un autre millénial du nom de Kimi. Pendant dix années, ils filment l’euphorie et l’anxiété, le bonheur et la misère de leur jeunesse muselée par un régime violent et autocratique au sein d’une « Russie de la Déprime ». Un cri du cœur, un hommage à toute une génération réduite au silence. (Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs)