Toute la vérité sur la mort de Tim Burton
Le 26 août 1994, Ed Wood est projeté en avant-première au Lincoln Center de New-York. Sixième long-métrage du réalisateur hirsute, réussite artistique incontestable, il signe néanmoins son arrêt de mort. Confronté au désamour d’un public écervelé qui l’expose à la déconsidération de ses producteurs, Burton voit sa carrière pulvérisée en quelques semaines. Le film récupérera moins de 6 millions de dollars au box-office sur les 18 de son budget originel. Inconsolable, le cinéaste part mener une existence recluse dans sa maison de Burbank, loin des foules imbéciles qui le guettent au-dehors, la fourche au poing et les visages déformés par la haine, que les flambeaux éclairent d’une lumière infernale. Le 23 novembre 1995, abruti par l’alcool et décidé à en finir, Burton arme sa carabine et ouvre la bouche pour engloutir son canon froid. C’est alors qu’on frappe à la porte. Interrompu dans cet ultime geste de désespoir, Tim émerge à grand peine de son ivresse de huit jours et se traîne jusqu’à l’entrée de sa demeure. La porte s’ouvre sur une nuit de pleine lune, dont la lueur pâle glisse sur le visage cireux de Helena Bonham Carter. Un sourire rassurant, des bras qui se tendent, le cinéaste s’abandonne à l’étreinte et fond en larmes contre l’épaule qu’il n’attendait plus. La belle lui offre le refuge de son manoir victorien et les délices empoisonnés de son cœur. À minuit le soir de Noël, les joues rougies par l’espoir retrouvé, Burton s’attable et se jette sur la dinde aux marrons, sans se douter que son amante a farci la volaille d’arsenic. Trois bouchées plus tard, Tim tombe à la renverse et succombe au poison, se recroquevillant sur le tapis en vomissant ses entrailles, sous l’œil avide et rieur de l’ensorceleuse. Frankenstein en jupons, elle donnera naissance dans son laboratoire des horreurs à une créature abjecte née de la dépouille du malheureux génie : l’infâme Tim Burtoon.
Il fallait que l’effroyable imposture soit révélée au grand jour et que justice soit rendue à ceux qui désespéraient de voir leur réalisateur fétiche se vautrer film après film dans une caricature sordide de ses premières heures de gloire. Vous qui restiez impassibles devant les gags lourdingues de Mars Attacks! et conchiiez l’écriture de Sleepy Hollow, vous qui étiez pris de haut-le-cœur au sortir de Big Fish et ne compreniez pas l’engouement des masses pour le navrant Charlie et la chocolaterie, vous que les chansons de Sweeney Todd ont manqué de rendre fou et qu’Alice aux pays des merveilles a presque poussé au suicide, séchez vos larmes et calmez votre colère ! Le sortilège est levé et bientôt, tous reviendront à la raison. Le règne sinistre du magnat gothique et de sa horde de muses en toc, Johnny Depp en tête (ou devrais-je dire Johnny Doop ? Mais c’est une autre histoire…), touche à sa fin et vous êtes délivré de son emprise… tout comme votre ex-petite amie, que vous aviez laissée pour morte sur le trottoir à la sortie de Dark Shadows, qui la faisait glapir de joie bêtasse. Profitez donc de cette nuit pour vous réconcilier autour d’un seul et même cri : Tim Burton est mort, haro sur Tim Burtoon !
Dix visages de la peur
Ainsi donc, vous vous apprêtez à passer une nuit blanche en compagnie de vos proches, triés sur le volet pour leur appétit de frisson cinématographique. Une bien belle idée s’il en est, tant il est vrai que le cinéma rapproche les êtres – à plus forte raison le film d’épouvante, qui laisse à votre instinct de mâle protecteur ou de femelle sans défense tout le loisir de s’exprimer. À cette occasion, il convient évidemment de mettre à la poubelle les Saw, Rec, Paranormal Activity et autres produits insipides et formatés, au profit des grands classiques de l’horreur, dont nous pouvons citer une poignée de chefs-d’œuvre tels que The Shining , de Stanley Kubrick ; l’Exorciste, de William Friedkin ; Rosemary’s Baby, de Roman Polanski ; Halloween, la Mouche et l’essentiel de la filmographie des maîtres Carpenter et Cronenberg ;Carrie, de Brian De Palma ; les Dents de la mer, de Steven Spielberg ; Massacre à la tronçonneuse, de Tobe Hooper ; la trilogie zombiesque originelle de George Romero ; ou encore des films plus récents – mais non moins impressionnants – comme les Autres, de Alejandro Amenabar ; Shaun of the Dead, de Edgar Wright, et Scream, de Wes Craven, dans un registre plus comique ; ou encore The Devil’s Rejects, de Rob Zombie, et Audition, de Takashi Miike, dans un registre plus abject.
Mais il se peut que vous désiriez explorer d’autres contrées, certaines oubliées, d’autres plus récentes mais éclipsées par le flot des sorties, et nous nous proposons de dresser une liste (non exhaustive, cela va de soi) d’une dizaine de films qui devraient combler vos envies de frisson, et avant tout de cinéma.
1. Cat People (La Féline), de Jacques Tourneur, 1942
Commençons par un voyage aux sources du genre avec le dixième film de Jacques Tourneur, qui révolutionna l’épouvante avec l’invention de l’effet-bus. Il s’agit de faire monter graduellement la tension au cours d’une scène avant de la désamorcer, lorsqu’est atteint son paroxysme, par l’intervention d’un élément extérieur. Ce procédé, qui tire son nom d’une célèbre séquence du film, hante depuis sa création le cinéma d’horreur américain et sera repris par les plus grands.
La Féline, par sa mise en scène suggestive, sa lumière expressionniste et son exploration sous-jacente de la psyché féminine, est un chef-d’œuvre fondateur du cinéma fantastique, reposant sur « un équilibre fragile entre le psychologique et le surnaturel, capable de faire tomber les barrières de votre incrédulité et de vous faire entrer de plain-pied dans l’histoire », ainsi que le définissait Stanley Kubrick.
2. Operazione paura (Opération peur), de Mario Bava, 1966
Peu connu du grand public, nombreux sont pourtant les réalisateurs à s’être inspirés du maître italien Mario Bava. Considéré comme l’inventeur du giallo – genre baroque et sensuel à la lisière du film policier et de l’horreur, où le tueur opère généralement au couteau, les mains gantées de noir –, père spirituel de Dario Argento, Tarantino déclare lui avoir emprunté totalement son utilisation de la couleur. Opération peur est un grand film gothique, sur lequel plane l’ombre d’
Edgar Allan Poe , d’une rare beauté et traversé par une inquiétante étrangeté aussi séduisante qu’effroyable.
3. Suspiria, de Dario Argento, 1977
Chef-d’œuvre absolu du cinéma d’horreur, Suspiria est à ranger aux côtés des grands classiques cités plus haut, mais il apparaît que beaucoup de cinéphiles en herbe sont passés à côté de cette œuvre maîtresse – reprise par David Lynch et Darren Aronofsky – et nous tenions à la mettre en lumière. Porté par la musique hypnotique de Goblin, d’une beauté visuelle inégalée et viscéralement terrifiant, Suspiria fait partie de ces films qui hantent une vie de spectateur. Révélée dans Phantom of the Paradise, de Brian De Palma, la charmante Jessica Harper y incarne Suzy, une jeune Américaine qui débarque à Fribourg pour étudier la danse classique dans une prestigieuse école. Mais dès son arrivée, des événements terribles frappent l’académie. Conjointe aux décors inspirés par Escher et Chirico et à l’utilisation baroque et violente de la lumière, la mise en scène virtuose de Dario Argento donne au film une ambiance incroyable, et s’embarrasse à peine de justifications narratives – en témoigne une scène d’exposition expéditive et confuse – pour laisser libre-cours à ses visions les plus folles. Sublime et traumatisant.
4. E tu vivrai nel terrore – L’aldilà (L’Au-delà), de Lucio Fulci, 1981
Celui-ci s’adresse aux amateurs de gore et de sensations fortes. Enfin gore, entendons-nous bien, pas d’outrance grand-guignolesque façon Braindead, Lucio Fulci est une affaire sérieuse et carrément crade.
L’Au-delà suinte, bouillonne, vomit et dégage une puissante odeur de putréfaction qui donnera du fil à retordre aux plus chevronnés d’entre vous. Mais par-dessus tout, nous sommes en présence d’un poème macabre d’une indicible beauté, hanté lui aussi par les fantômes de Poe et de Lovecraft, et dont l’influence s’est perpétuée jusqu’à imprégner un jeu vidéo tel que Silent Hill. Un véritable bijou du genre qui, s’il n’est pas à mettre entre toutes les mains, ne manquera pas d’enchanter le grand malade qui sommeille en vous.
5. Angst (Schizophenia), de Gerald Kargl, 1983
Film de chevet du cinéaste Gaspar Noé – il a eu une influence considérable sur son travail – Angst
est ce qui s’est fait de mieux et de plus dérangeant au cinéma dans l’exploration de la psyché d’un tueur en série. Oubliez Henry : Portrait of a Serial Killer, oubliez Maniac, on est à des lieues de ces deux films – par ailleurs sympathiques – avec le présent métrage. Glaçant et magnifiquement interprété par Erwin Leder, Angst jouit par ailleurs d’une ambition formelle et narrative jamais vue auparavant et sur laquelle on n’est pas près d’épuiser nos interrogations admiratives.
6. Dark Water, de Hideo Nakata, 2001
Papa de The Ring, Hideo Nakata est le chef de file du film d’épouvante japonais moderne, dans lequel les fantômes revêtent le plus souvent l’apparence de jeunes filles aux cheveux noirs coiffées à la cousin Machin. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ces apparitions sont proprement terrifiantes. Toutefois, s’il fallait en choisir un, ce serait celui-ci. Bien qu’ayant moins marqué les esprits que la franchise à la cassette tueuse, Hideo Nakata n’a jamais aussi bien maîtrisé sa mise en scène qu’avec Dark Water, inspirant la peur à travers des objets inertes et inoffensifs. Il y instille par ailleurs une poésie et un aspect sociocritique d’une sobriété et d’une profondeur qui forcent le respect.
7. Cabin Fever, de Eli Roth, 2002
Eli Roth est surtout réputé pour avoir réalisé le diptyque Hostel, dont les défauts éclipsent souvent les qualités. Quatre ans plus tôt, le cinéaste nous offre son premier film avec Cabin Fever, une comédie d’horreur reposant sur un détournement particulièrement intelligent des codes du genre. À la croisée du survival façon Deliverance et du film de monstre à la Evil Dead, le film repose sur une idée pour le moins ingénieuse : et si en fait de monstre, nous avions affaire à une maladie ? Ainsi donc, nous assistons à la lutte à mort d’une bande de teenagers insupportables contre une menace invisible… avec tout ce que ça suppose d’horreur et de drôlerie. Avant de céder à l’appel du lourdingue Cabin in the Woods dont on nous rabat les oreilles en ce moment, précipitez-vous sur ce véritable bijou, bourré d’idées de cinéma malines, de références digérées et d’acteurs aussi drôles qu’attachants.
8. Låt den rätte komma in (Morse), de Tomas Alfredson, 2008
Il fallait bien que quelqu’un s’y collât, et c’est Tomas Alfredson qui s’est dévoué le premier pour dépoussiérer le film de vampires en adaptant le roman Laisse-moi entrer, de John Lindqvist
. Découverte indispensable de l’an de grâce 2008, Morse nous conte l’histoire d’Oskar, un gosse persécuté à l’école, reclus dans la solitude glacée d’une petite ville suédoise. Sa vie est bouleversée par l’apparition d’Eli, une « fille » un peu bizarre dont il devient l’ami. Sidérant de beauté et de douceur, regorgeant d’idées de mise en scène marquantes, Morse est peut-être avant tout une très jolie histoire d’amour et de solitude, pure et sans ambages, envoûtant au-delà de toute expression.
Guillermo Del Toro en dira d’ailleurs qu’il est « le film le plus poétique et obsédant qui soit ». On n’ira pas le contredire.
9. Thirst, de Park Chan-Wook, 2009
Huitième long-métrage du réalisateur de Old Boy, le film a désarçonné plus d’un spectateur malgré son Prix du Jury décerné à Cannes. Film de vampires transfigurant lui aussi les codes du genre, Thirst est une relecture personnelle et brillante de Thérèse Raquin, d’Émile Zola.
Le vampirisme y est l’expression fantasmagorique de la bête affamée de chair qui grogne au creux du ventre des deux amants, animés par des pulsions complices de sexe et de sang. Park Chan-Wook y livre ses plus belles séquences érotiques et ses dérapages les plus sanguinolents, et l’ensemble dégage une folie amère qui contamine l’esthétique même du film, poétique et malsaine.
10. Kinatay, de Brillante Mendoza, 2009
Brillante Mendoza est le fer de lance du nouveau cinéma philippin, arpentant les rues de Manille caméra DV au poing pour en saisir la vérité la plus crue, la vie qui s’ébat dans un chaos déboussolant. Ses films mettent en lumière des individualités sensibles aux prises avec un système monstrueux, où les hommes se font loups et où le danger frappe ceux qui n’aspirent qu’à vivre en paix. Dans Kinatay, nous suivons le parcours de Peping, jeune étudiant en criminologie qui accepte de travailler pour un gang local afin de nourrir sa famille. Appâté par le gain, il participe à une mission spéciale qui va l’entraîner malgré lui aux confins de l’horreur. Film radical, difficile à appréhender mais bluffant de maîtrise et d’audace narrative, Kinatay est le travail d’un grand réalisateur qui n’opère aucune distanciation avec son sujet et vous prendra aux tripes comme rarement au cinéma.