La France est en émoi après l’annonce de la création d’un fond franco-qatari pour les banlieues. D’un côté, la droite s’offusque en oubliant combien Nicolas Sarkozy fut le premier à mouiller sous les caresses des pétrodollars de Doha. De l’autre, la gauche tente de prendre en marche un train fantôme, lancé sans concertation ni autorisation par une association communautariste. Pendant ce temps, tout en rondeur et politesse, le Qatar étend son emprise économique et morale sur le pays, attestant d’une nouvelle faillite de l’État.
Le Qatar, c’est un peu comme une boite à la mode. Tout le monde y veut entrer mais personne ne reconnaît avoir supplié le physio pour fouler le Graal de son dancefloor, préférant affecter le mépris ou prétendant passer ses soirées dans les pages incestueuses de Christine Angot. À l’heure de l’ingérence économique, hypocrisie et paradoxes se trémoussent hystériquement au son de Go West, des travées du Parc des Princes, aux jardins de Bercy, en passant par les cités de Bobigny.
On s’extasie devant les arabesques du jouet Ibrahimovic, mais on s’effraie à l’évocation de ses émoluments d’émir, sans en mesurer la signification géopolitique. Puisqu’il est question d’émir justement, parlons-en… De celui même qui achète, primesautier et compulsif, les joyaux du patrimoine sportif, artistique et immobilier Français.
Quand on croule sous les milliards sans arriver à s’offrir un statut et une réputation dans sa propre sphère d’influence, il faut bien afficher des velléités expansionnistes. Vu de Riyad, d’Abu Dhabi, ou d’Oman, le Qatar reste une grenouille prétentieuse et moquée, qui sous son exquise politesse masque des humeurs d’Iznogoud et des caprices d’enfant gâté par des parents monnayant leur manque d’attention. Rien de mieux pour se hisser sur ses ergots de coq complexé que d’aller conter fleurette à l’autre coq, le nôtre, ce volatile gaulois qui dans la plainte de Baverez, ou celle de Felix Marquardt et consorts, pleure incessamment sa grandeur perdue, faute d’agir pour la recouvrer.
Le loup est entré dans la bergerie, et on lui tend d’appétissant jarrets avec promesses de retour sur digestion.
Seulement voilà, quand les colons de Doha s’offrent du Cézanne ou la Joconde du football scandinave, ça tousse un peu, mais personne ne cherche vraiment à y attacher une signification politique. Après tout, ces dernières années, les Anglais, les Chinois, les Japonais et bien d’autres ont chacun leur tour mis une pièce dans le petit cochon hexagonal sans déclencher de scandale. Quand le chômage passe la barre symbolique des trois millions d’abonnés, que Bernard Arnault chante sa « belgitude » et Pinault rejoue Les amants de Venise, il faut bien trouver ailleurs qui saura succomber aux charmes de Marianne, même si cela laisse parfois un goût amer dans la bouche.
Oui mais, quand le loup est entré dans la bergerie, encouragé par mille civilités, pourquoi contenterait-il ses crocs sur quelques vieilles poules fanées, alors que les enfants du fermier lui tendent en douce d’appétissant jarrets avec promesses de retour sur digestion.
Qatar Act
Le Qatar peut bien nous assurer de sa récente passion pour l’œuvre de Louise Bourgeois et les pensées de Zoumana Camara, son entrée fracassante dans les banlieues françaises à travers un fond d’investissement destiné à « aider les entrepreneurs des quartiers en difficulté » témoigne d’un appétit bien plus significatif et conséquent. On passe sur le vocable repris la plume et la bouche en cœur par tous les médias, doutant que l’on parle ici des quartiers en difficulté de Limoges ou du Creusot, mais bien uniquement des banlieues nécessiteuses des grandes agglomérations et bien davantage dans une vision communautariste que sous l’angle angélique d’une philanthropie universaliste. Le plus drôle dans cette tragique histoire, c’est d’entendre la droite cul-de-poule et Inrocks se tortiller de gêne devant cette ingérence manifeste alors que c’est Nicolas Sarkozy, se rêvant président du PSG, qui a encouragé le mouvement dans un ballet diplomatique en chaussures à crampons.
Un quarteron d’élus « de la diversité » réalisent l’improbable œcuménisme politique de l’UMP aux Verts.
Mais le plus ahurissant, c’est de voir le gouvernement socialiste faire semblant de reprendre la main dans un dossier initié, sans aucune délégation de compétence, ni légitimité, par un quarteron d’élus « de la diversité », réalisant l’improbable œcuménisme politique, de l’UMP aux Verts, au nom d’une vision communautariste inspirée d’outre-Atlantique. Quand il s’agit de grenouiller pour quelques avantages catégoriels, les convictions politiques ne pèsent pas lourd et méritent bien un combo génuflexion / allégeance sur l’autel du libéralisme mondialiste.
Ainsi, c’est l’Aneld, l’Association nationale des élus locaux pour la diversité, dirigée par l’UMP Kamel Hamza, qui s’est offert les honneurs du palais de l’émir Hamad ben Khalifa al-Thani pour aller lui soumettre, au sens propre, l’intelligence économique de nos banlieues. On suppose que ce deal, échappant à tout contrôle étatique, n’a pu s’envisager sans contreparties touchant au confessionnel, tant le Qatar, sous ses costumes Hugo Boss et son goût du faste bling-bling, ne plaisante pas tout à fait avec la religion.
Pour l’ascenseur social, prière d’attendre dans le hall
Pour l’heure, nous n’en savons rien et ce n’est même pas l’essentiel. Assister impassible à l’intervention d’un État étranger venant acter, avec l’assentiment contrit de celle-ci, la faillite de la France dans la gestion de ses banlieues est à peine croyable. C’est dans la droite ligne des récentes incursions opérées en banlieue par la diplomatie américaine, friande d’immigration choisie et flattée des manifestes sur le mode « Barrez-vous » adressés à notre jeunesse.
Puisque l’État français valide la destruction définitive de l’ascenseur social et n’ose même plus emprunter l’escalier de service, pourquoi les puissances étrangères ne se permettraient pas de faire le pied de grue dans les halls des cités pour ramasser la monnaie ? Après tout, qu’ils s’appellent Farid, Jean-François, Ibrahima ou Esteban, les talents pullulent dans nos banlieues, comme dans nos villes et nos campagnes. Pourquoi se priver de les encourager, quitte à privilégier un angle ethnique et confessionnel, selon les critères qui prévalent chez soi ?
Convier une puissance étrangère au banquet des banlieues
Ainsi le Qatar, outre de repérer les meilleurs éléments pouvant lui servir dans le futur (on parle bien de jeunes Français ici, de Français), peut joyeusement étendre sa vision politique et sociétale au cœur de nos quartiers abandonnés à la guerre du tous contre tous et à la déshérence. Le tout avec le quitus d’un État rendu sourd par les sirènes d’Alerte enlèvement qui résonnent dans le vide après la fugue désespérée du 75e plan Banlieue.
What the fuck ! Imaginerait-on François Hollande aller proposer son obole à la jeunesse perdue du Watts pour la délivrer de la guerre des gangs ? On nage évidemment en pleine science-fiction, dont ne se relèverait pas la fierté américaine, pourtant peu autorisée à se glorifier du désastre engendré par son communautarisme institutionnalisé.
Il y a un défi fondamental à relever en banlieue, comme dans l’ensemble des territoires oubliés par la République. Il doit se formaliser davantage par le mérite et l’exemplarité que par le communautarisme. Il passe avant tout par une réaffirmation active de l’État de droit et le repérage de tous les talents, en leur permettant de tirer leur quartier par le haut sans être obligé de les en exfiltrer. C’est une mission aussi impérieuse que difficile. Mais ce n’est certainement pas en lâchant la bride à quelques associations aux discutables motivations, ni en conviant une puissance étrangère au banquet de l’édification, que la France y parviendra ou en sortira grandie.