Cédric Monget analyse ici la tuerie de Newtown, et notamment son instrumentalisation par les Ricains. Un point de vue que nous publions, parce qu’il est intéressant, mais qui n’est pas celui du magazine.
Un peu avant 9H30, heure locale, Adam Lanza a pénétré dans l’école de Newtown, Conn. Il était, semble-t-il, en possession de deux pistolets et d’une carabine. Une fois à l’intérieur de l’établissement, il aurait tiré plus d’une centaine de coups, tuant 27 personnes dont 20 enfants de cinq à dix ans, avant de se donner la mort.
Shoot and kill
La police, prévenue par le vice-principal réfugié sous un bureau, est arrivée alors que la partie était jouée. Elle n’a pas eu à tirer un seul coup de feu. L’assassin a mis fin au massacre en mettant fin à ses jours. Rien ne s’est opposé à sa volonté. Il a tué ; il s’est tué. Il ne laisse derrière lui que des cadavres et des témoins impuissants.
« Les Grecs disaient que c’était la marque d’une époque troublée lorsque les pères portaient en terre leurs enfants. »
Les Grecs disaient que c’était la marque d’une époque troublée lorsque les pères portaient en terre leurs enfants. Nul ne saurait rester insensible aux larmes des parents ou des proches des victimes. Quiconque osera faire preuve de ce terrible outil qu’est l’imagination pourra peut-être concevoir la peur et la douleur ressenties par ces enfants aux derniers instants de leur vie. Pour autant, ne pas aller au-delà du sentiment et ne pas chercher à comprendre et à expliquer serait une faute.
Mais, avant même que ne sèchent les larmes opportunes de Barack Obama, la politique revient sur le devant de la scène. Les armes à feu tuent, dit-on, une telle tuerie aurait pu être évitée si la législation était plus contraignante ; si les hommes étaient moins libres, ils seraient moins libres de faire le mal et moins de mal serait fait.
Éloge militaire d’Adam Lanza
À la suite de l’habile instrumentalisation de cette tragédie par le président des États-Unis, Michael Moore est sorti de son sommeil repu pour tonner en chaire depuis Twitter. Certains auraient sans doute plutôt espéré qu’il vienne frapper à leur porte.
Le fait divers doit informer les lois ; l’émotion doit être le moteur des réformes ; l’opinion publique veut du Kärcher, du pain au chocolat, du Carpentras. Bien sûr, les plus honnêtes concèdent que la plupart des détenteurs d’armes ne tuent personne, mais que vaut leur liberté de posséder des instruments de mort si un seul d’entre eux finit par tuer des enfants ? La liberté de posséder un substitut de phallus vaudrait-elle plus qu’une vie innocente ?
Non, répondent-ils tous en chœur, aucune liberté ne vaut ce prix. Non, répond des trémolos dans la voix et la larme à l’œil le Nobel de la Paix amateur de drone, de hellfire et de ROE très assouplies…
Certes, il est absurde de comparer la guerre et la paix, l’assassinat et le dommage collatéral, mais ceux qui misent sur l’émotion devraient accepter de voir leurs arguments pris au sérieux. La faute est leur. Leur erreur est cependant plus grave. Elle est de croire à la possibilité de chasser le Mal du monde. Le Bien a des ennemis et tout est permis contre les ennemis du Bien. Al-Qaïda ou NRA, quelle importance ? Après tout, si le redneck ne veut pas rendre son Ruger Mini-14 on lui enverra les blindés et si ses gamins crèvent, tant pis…
Fire and forget
Reste qu’il faut, non sans réserve, faire rendre raison à l’événement et lui faire dire sa vérité. Il la tait encore et l’enquête est loin d’être terminée.
Tout d’abord, selon les éléments connus, il est tout à fait possible que le tueur soit entré légalement en possession de ses armes. La législation du Connecticut n’étant pas des plus restrictives. De toute façon, aurait-il respecté la loi si celle-ci l’avait privé de ce droit ? Pas plus, sans doute, que celle qui interdit de tuer…
Aurait-il pu se procurer des armes illégalement, alors ? Il n’y a pas non plus de raison d’en douter. Bien sûr, il n’était pas, de toute vraisemblance, lié à la pègre. Néanmoins, dans un monde où les frontières sont des passoires, les armes illégales abondent. Par ailleurs, les cuisines regorgent d’armes blanches et le monde d’armes par destination…
La vérité est qu’on ne peut empêcher, en amont, un tueur de tuer. On peut interdire les armes à feu, voire contrôler les objets pointus, rien n’y fera : l’arme n’est qu’un outil, ce qui tue, c’est l’homme. Toutes les lois de la Chine et la brutalité de sa police n’ont pas empêché que le jour même du drame américain, une école y soit l’objet d’une attaque analogue et où le bilan quasi miraculeux ne s’explique guère que par le hasard. À l’inverse, toutes les armes librement possédées par les habitants du Vermont, du Maine ou de la Suisse ne font pas de ces endroits des enfers.
Do you feel lucky, punk ?
« Aucun autocrate n’a disposé d’un pouvoir comparable à celui dont jouit un pauvre bougre qui envisage de se tuer », écrit Cioran dans De l’inconvénient d’être né. Aucun État aussi tyrannique ou bienveillant — cela revient au même — ne peut avoir assez de pouvoir pour empêcher le meurtre et l’assassinat.
Qui veut tuer peut tuer. Empêcher les passages à l’acte est impossible, tout au plus peut-on chercher à prévoir et à prévenir. Mais dans ce cas, il y a bien d’autres pistes à suivre que celle, triviale et si commode, de la possession d’arme. Ainsi, peut-être serait-il fécond de se tourner vers la question de la médication des troubles psychiatriques… Ou bien s’interroger sur l’entrée de la modernité tardive dans l’âge de la barbarie de la réflexion, dont parlait Vico…
Cependant, s’il est à peu près impossible d’empêcher un homme d’en tuer un autre, il est stupide de se priver du moyen de l’arrêter avant qu’il n’en tue un second, un troisième ou une vingtaine ! La règle d’une société civilisée est de faire confiance, a priori, à chacun. Le tueur, en la trahissant, prend l’avantage sur ses premières victimes, mais en faisant cela il se dévoile et il suffit alors qu’une seule personne soit armée et s’oppose à lui pour que le massacre s’arrête.
Que les prohibitionnistes le veuillent ou non, les lieux visés sont des écoles ou des cinémas où la présence d’armes est interdite, pas des stands de tir. La vérité est là : le scandale de Newtown n’est pas que le tueur ait eu une arme, ni même qu’il ait été le seul, mais qu’il ait eu la certitude de n’avoir personne pour lui faire face. Les sociétés armées sont les plus polies et les plus sûres, cela n’implique pas que tous aient des armes, mais que tous puissent en avoir.
No duty to retreat
Dans l’Angleterre médiévale, terre où le droit américain plonge ses racines, il y avait l’impératif de fuir les agressions « jusqu’au mur » . Il n’était légitime de blesser ou de tuer son agresseur que si et seulement si sa propre vie était directement menacée et la fuite impossible.
Cette loi pouvait avoir du sens à une époque où le danger était celui du combat au corps à corps et dans un pays peuplé et policé. Fuir jusqu’au mur signifiait rencontrer d’autres hommes, voire des représentants de l’État.
L’arme à feu, de même que le souci de l’autre, ont changé bien des choses. Si celui-là veut bien assumer le prétendu déshonneur qu’il y aurait à fuir face à un agresseur, est-il prêt pour autant à être le témoin passif d’une agression et se contenter d’un : « Suis-je le gardien de mon frère ? »
Aux États-Unis, la common law britannique a connu un grand changement. À l‘impératif de fuir jusqu’au mur s’est substituée l’absence de devoir éviter l’affrontement, le « no duty to retreat ».
« A man is not born to run away », disait le juge suprême Holmes (Brown vs US 7-2 en 1921). Au-delà de la dimension théâtrale de la formule, de son côté cow-boy diront les ironiques sans imagination, il faut évoquer une victime de la récente tuerie. Elle s’appelait Vicki Leigh Soto, elle avait 27 ans, elle était jolie, elle était professeur. Peut-être pensait-elle tout l’inverse de ce qui a été dit plus haut, mais quand le tueur est arrivé, elle a regroupé les enfants et elle les a protégés de son corps. Elle n’était pas née pour fuir et laisser des innocents être assassinés. Sans arme, elle a fait ce qu’elle a pu. Elle est morte, les enfants aussi.