En 2018, Jean-Luc Mélenchon prenait la défense de sa responsable de la communication qui était vivement critiquée pour la façon dont elle avait géré la web-télévision participative Le Média. Dans l’émission « Complément d’enquête », des anciens employés dénoncent des pratiques qui, à leur avis, sont à l’opposé des principes défendus par le parti politique La France insoumise.
L’aventure se promettait d’être excitante pour les créateurs : une web-TV novatrice, fonctionnant sur une logique collaborative et financée via le crowdfunding, défendant un journalisme militant et mettant en avant des valeurs bien ancrées à gauche, « humanistes, antiracistes, environnementalistes, féministes et collectives ». Le Média, lancé en décembre 2017 par des proches du parti politique La France insoumise, se présentait comme une alternative au système médiatique classique, proposant une ligne éditoriale « entièrement libre » ainsi qu’une organisation plate, sans hiérarchie.
Sophia Chikirou, co-fondatrice du projet avec le psychanalyste Gérard Miller, insistait sur le besoin de piloter la gestion des ressources humaines suivant les principes humanistes. Mais des témoignages rapportés par le programme télévisé « Complément d’enquête » peignent un tableau assez différent de ce qu’elle préconisait, voire évoquent une méthode de gestion brutale. Sophia Chikirou, aussi responsable des communications pour les campagnes électorales de Jean-Luc Mélenchon, pourrait-elle agir en contradiction avec les idéaux prônés par La France Insoumise ? Il semble que peu de temps après la diffusion du premier journal télévisé, des tensions sont déjà apparues entre la présidente de Le Média et la rédaction.
« Des employés quittant les lieux en pleurant »
« Je souhaite ne plus jamais travailler dans une structure qui ressemble à Le Média », déclare Kévin Boucaud-Victoire, actuellement rédacteur en chef au sein du magazine Marianne. Il dénonce des journées de travail de 14 heures et des semaines interminables lorsqu’il était en charge du site internet de Le Média. D’après lui, ses confrères se plaignaient d’être « épuisés » par les cadences de travail et « beaucoup critiquaient la gestion de Sophia ». Il affirme que selon la co-fondatrice, au contraire, « ils ne travaille pas assez », et que les journalistes sont des « branleurs ».
Un autre journaliste a témoigné sous anonymat d' »actes inqualifiables » : des employés quittent les lieux en pleurant, des malaises, des disputes dans le bureau de Sophia Chikirou. Il parle également de certains écarts par rapport au droit du travail, comme cet « épisode qui a marqué beaucoup d’employés : une sorte d’épidémie de gale » qui, dans n’importe quelle autre entreprise, aurait occasionné l’intervention d’une entreprise de désinfection. Selon lui, non seulement Sophia Chikirou « a refusé, ne voulant pas dépenser d’argent », mais elle a également demandé aux employés de continuer à se rendre sur place dans les locaux. « On a halluciné. On s’est rendu compte qu’il y avait un problème de management toxique. »
« Une bande de lâches de merde »
« Complément d’enquête » a obtenu des échanges internes au sein de Le Média. « Qui envoie-t’on à l’hôpital aujourd’hui ? », écrit Sophia Chikirou après un malaise qui a conduit un employé aux urgences. On note également sa réaction vis-à-vis de la demande de journalistes appelant Le Média à admettre une erreur dans un communiqué suivant la diffusion d’une information incorrecte : « Ils le font, le signent et se le foutent bien profond, cette bande de lâches de merde. »
Thomas Guénolé, politologue et ancien proche de La France Insoumise qui a rompu avec le mouvement, déclare ne pas comprendre « cet écart fondamental » : « Comment peut-on prôner constamment l’humanisme, le partage, la générosité, la fraternité et, en parallèle, traiter les gens comme de la merde ? » Chikirou, contestant toutes les accusations, quittera Le Media six mois seulement après son lancement.
Extrait de « Sophia Chikirou, l’as des as de Jean-Luc Mélenchon », une enquête à découvrir dans l’émission « Complément d’enquête » le 5 octobre 2023.