Des systèmes de formation, de nouvelles professions et des assurances dédiées sont progressivement instaurés dans l’industrie cinématographique pour lutter contre le harcèlement et les violences à caractère sexuel sur les lieux de tournage.
L’émergence d’une parole libérée sur les violences sexistes et sexuelles dans la foulée du mouvement #MeToo a commencé à modifier certaines habitudes sur les plateaux de cinéma français. Ces changements se matérialisent par des formations anti-harcèlement obligatoires, la création de cellules d’écoute et parfois même le confinement « auto-imposé » d’un réalisateur sur son propre tournage.
Imaginez le pire des scénarios pour un producteur : un réalisateur accusé de viol par un membre de son équipe pendant le tournage. C’est précisément ce qui s’est produit l’été dernier pendant la réalisation du film Je le jure, dirigé par le réalisateur et acteur Samuel Theis, connu pour son rôle dans Anatomie d’une chute. Un technicien de plateau a accusé Theis d’avoir maintenu une relation sexuelle non consentie après une soirée festive. Theis, qui fait l’objet d’une plainte, dément ces allégations, affirmant que le rapport était « consenti ».
Le réalisateur mis à l’écart
Est-il possible de poursuivre un tournage dans de telles circonstances ? Une solution inédite a été mise en œuvre : un protocole strict de confinement pour le réalisateur, mis à l’écart de son équipe pour le reste du tournage, mais qui continue de superviser à distance. Il s’agit d’un compromis visant à garantir la continuation du travail de l’équipe, tout en respectant la présomption d’innocence et la parole de la victime présumée.
« Étant donné les circonstances et les réactions de certains, ce protocole était le moindre mal. Cependant, sa mise en place a été difficile pour le réalisateur qui s’est naturellement senti exclu de son propre tournage », a fait savoir Samuel Theis par l’intermédiaire de son avocate.
Ces évènements démontrent à quel point le sujet est sensible. « Il y a une prise de conscience de la part des professionnels et une libération de la parole », se réjouit une responsable en lien avec tous les acteurs du 7ème art. De plus, il y a une volonté croissante de ne pas nuire à l’image des films.
Le film Le Retour de Catherine Corsini sert d’exemple. Il s’est vu priver d’une partie de son financement public après qu’il a été découvert qu’une scène sexuellement explicite, simulée, impliquant une actrice mineure, n’a pas été déclarée correctement aux autorités.
Formation et prévention
« La seule façon de faire plier des producteurs est de frapper à leur porte-monnaie », argumente l’actrice Ariane Labed, l’une des initiatrices de l’Association des acteur.ices (Ada). « En travaillant davantage à l’étranger qu’en France, je suis choquée par le retard pris par le cinéma français, principalement dû à l’idée du réalisateur tout-puissant » sur son plateau, explique-t-elle.
Des changements sont en cours, sous l’impulsion du CNC et de l’Afdas, l’organisme de formation du secteur. Désormais obligatoires, les formations pour prévenir les violences vont concerner l’ensemble des équipes avant même le début du tournage dès le printemps.
Le déploiement d’une assurance spécifique, couvrant jusqu’à cinq jours d’interruption de tournage si les faits sont signalés au procureur, vise à empêcher les producteurs de négliger les cas de harcèlement.
Le collectif 50/50, très engagé sur la question, a salué ces progrès lors de ses assises en décembre. Cependant, il trouve que les choses avancent trop lentement, malgré l’obligation de désigner des « référents harcèlement ».
« Beaucoup de gens ne sont pas du tout sensibles à la question et ne s’en soucient pas vraiment. Je pense qu’il est toujours très difficile de s’exprimer, de faire part de son inconfort face à une situation » de harcèlement ou de violence, expliquait Clémentine Charlemaine, coprésidente de l’association, à l’AFP.
Perçus comme une « police des mœurs »
Influencés par l’industrie du cinéma américain, les « coordinateurs d’intimité », dont la mission est de superviser les scènes sexuelles lors des tournages, émergent timidement en France. Les séries Emily in Paris (Netflix) et Skam France (France TV), ainsi que le film Une zone à défendre (Amazon Prime) avec François Civil et Lyna Khoudri, ont fait appel à leurs services.
« Nous sommes souvent perçus comme la police des mœurs », regrette auprès de l’AFP Paloma Garcia Martens, l’une des rares coordinatrices d’intimité en activité en France, qui se voit plutôt comme un « secours mis en scène ».
Elle rencontre plusieurs obstacles dans son travail, parmi lesquels le rejet de l’intrusion dans la « relation sacrée » entre le réalisateur et l’acteur, la méfiance des producteurs, mais aussi celle des acteurs eux-mêmes, qui pensent parfois qu’ils doivent tout accepter pour réussir leur carrière.